Omolo ou la religion dogon
le mot ômôlô estt utilisé par les dogons pour qualifier leur propre paganisme, dans un esprit de fierté, de particularisme revendiqué, d'authenticité, de fidélité à L’atèm (à la tradition, aux us et coutumes des ancêtres). .
La représentation de deux niveaux d'ancêtres (les morts anciens comme "législateurs", les morts récents comme "juges" gardiens de l'ordre) et les pratiques adoptées dans la gestion des rapports sociaux (la garde de leurs cultes et les avantages et prérogatives auxquels elle donne droit) constituent l'essentiel de la religion dogon.
LE CULTE DES ANCÊTRES
Certains anthropologues (Louis-Vincent Thomas et René Luneau) qualifient la religion dogon d'ancestrisme" et ces rites d'ancestrôlatrie.
L'ômôlô, qui marque un souci de fidélité à la loi des ancêtres (atèm), est le fondement légitime de la société ; c'est ce que la conscience populaire a retenu des ancêtres, des "héros culturels", en l'érigeant en loi. Une loi qui gère les rapports sociaux : les règles de dévolution du patrimoine, les normes matrimoniales, les formes de solidarité, les interdits, les comportements sociaux idéaux à hiérarchie sociale, le système de contrôle des cultes et des rites. Une analyse de la notion d'"ancestralité" dogon permet de distinguer deux niveaux d'ancêtres : les morts anciens et les morts récents, jouant chacun un rôle distinct dans la genèse de l'atèm et le respect des règles qui en découlent. Ils sont par conséquent soumis à des traitements différents.
Les morts anciens
Le discours indigène désigne les morts anciens par des termes variés se rapportant à un même contenu : anré-nam ou wonron-nam ("ceux d'avant", "ceux d'antan"), yagalumgô ("ceux qui sont passé hier"), emintirèm ("nos ancêtres") qui renvoient tous aux premiers hommes et à leur culture dont se réclament les Dogon. Ils sont la source de l'atèm, c'est-à-dire de la tradition et des institutions. Tout ce qui se fait aujourd'hui n'est qu'une imitation de ce qu'ils ont fait (loin de nous toutefois de soutenir la thèse d'une histoire répétitive). Les morts anciens sont les fondateurs des "lois" et les législateurs. Ils sont anonymes et ne bénéficient donc d'aucun autel personnalisé à leur honneur, mais se confondent tous dans le wagem (culte clanique représentant tous les morts anciens du groupe). ômôlô est aussi la conséquence de la violation des recommandations des ancêtres. Ce terme désigne donc également le désordre (au sens de Louis-Vincent Thomas et René Luneau, qui soutiennent que "respecter l'ordre c'est [...] se soumettre à la loi des ancêtres'] engendré par l'entorse faite à l’atèm. Ce concept religieux englobe les notions de désobéissance, de rébellion, d'insoumission, d'injustice, de péché, de mal, avec leur corollaire : la menace de châtiment. L'observance de certaines pratiques contraignantes (dans les relations sociales, les alliances matrimoniales, la dévolution du pouvoir et des patrimoines matériels et symboliques) répond à la peur de l’ ômôlô. C'est l'arme spirituelle d'imposition et d'acceptation de l'ordre social, car lui sont attribués plusieurs faits sociaux fondamentaux : la maladie, la mort, la stérilité, l'absence de réussite dans les projets individuels, etc.
Le wanu (divination par les cauris), yurugu kunu (divination par le renard pâle), le déde-guékunu sont les arts divinatoires ayant pour objet premier la recherche de la faute, du désordre. Ils consistent à déceler, à "faire sortir" l’ômôlô. Les morts anciens sont seulement "législateurs" ; ils ont tracé la ligne à suivre afin d'assurer la cohésion sociale, la marche de la communauté.
Les morts récents
Les morts récents occupent une place capitale dans l’ancestrisme" dogon. Ils se distinguent des ancêtres anonymes, que le vocable indigène ne qualifie plus de "morts" car ils sont confondus avec les temps initiaux, et représentent les ancêtres encore présents dans la mémoire des différents segments de parenté. Désignés par les termes gnlwim (les "morts") ou gniwim nam ("ceux du monde des morts"), les morts récents jouent le rôle de gardiens de l’atem. Ils veillent au règne de l'ordre, de la justice, de la droiture, de la solidarité entre les "frères", mais aussi à l'observance de la tradition, de la loi légiférée par les morts anciens. Leur incombe de protéger les femmes des hommes, les faibles des forts, les cadets des aînés et vice versa. En tant que corps exécutif des ancêtres, ce sont eux qui châtient et punissent (c'est le fondement d'une anthropologie de la maladie et de la mort). L’ômôlô représente aussi leur colère, le résultat de leur constat d'entorse à \atèm, à la loi des morts anciens. Afin d'assurer l'intimité entre les morts et les vivants du groupe ; l’ômôlô dans son acception totalisante, englobante (qui lui confère le statut de religion) a abouti à la formation de deux institutions politico-religieuses : le bunon et le narin.
Le bunon, le culte des morts récents
L e bunon (la poterie funéraire) relève du culte rendu aux morts récents. On y fait des sacrifices pour apaiser leur courroux ou bénéficier de leur protection, mais aussi pour leur "donner à boire" car ils ont souvent soif, comme le dit la pensée locale. Les jarres d'une famille ne doivent jamais être vides la nuit car les morts récents viennent s'y désaltérer. Chaque mort récent, accepté dans l’ancestralité", dispose de son bunon personnalisé à travers lequel les membres vivants de son groupe de parenté s'adressent à lui. Les moments de crise (maladies, épidémies, difficultés pendant l'accouchement, etc.) et les grandes fêtes traditionnelles sont les occasions propices aux sacrifices sur les bunon. Dans chaque famille, une case était réservée aux poteries funéraires. Le bunon se situe au niveau des segments du lignage (les tiré). Les morts anciens, en revanche, se confondent tous dans un culte anonyme dénommé wagèm ("loin dans le temps et dans l'espace") et placé sous la responsabilité du chef du lignage. Le wagèm est donc le gouffre, le creuset généalogique où viennent se confondre, finalement, tous les morts oubliés du groupe. Lorsque le Dogon offre un sacrifice à ses ancêtres, il les appelle nominalement jusqu'à la cinquième génération ; à partir de la sixième, il dit "que tous ceux qui sont passés viennent boire »
Le narin a pour fondement la croyance en la réincarnation des morts dans un nouveau-né du groupe de parenté. Ainsi, à la naissance d'un enfant, dès les premiers signes de malaise, les parents partent consulter un devin pour connaître l'ancêtre protecteur (le narin) de l'enfant. Chaque année un sacrifice est offert à cet ancêtre par le père.
le narin est une institution sélective. Les vivants peuvent ainsi refuser la volonté ou la demande de réincarnation de certains ancêtres récents -s'il s'agit de parents ayant succombé à une mort violente (suicide, homicide, etc.) ou à une "mauvaise mort" (lors d'un accouchement, en grossesse, pendant les règles, etc.). Un parent refusera aussi que son enfant ait pour narin un ancêtre qui était marginalisé de son vivant. La raison fondamentale de cette sélection semble être la croyance en la transmission des caractères et des chances (donc de la malchance) de l'ancêtre narin à son narin répondant. Pour éloigner un mort candidat au narin d'un nouveau-né, le père de l'enfant dépose une branche d'épines sur le chemin des morts, lieu où l'on fait habituellement des offrandes aux morts, où on leur "donne à boire" lors de circonstances mineures. Le père demande alors à l'intéressé de laisser cet enfant et d'attendre une prochaine naissance. Cette méthode dénommée narin tingu (barrer, empêcher la réincarnation) atteste que le refus de funérailles n'est pas le seul moyen discriminatoire dans le traitement des morts. Tous les morts ne deviennent donc pas ancêtres. L'institution du narin marque aussi la frontière entre les niveaux d'"ancestralité" (entre les morts anciens et les morts récents). Par l'effet du temps, les morts cessent de se réincarner ; ils tombent dans l'oubli, dans l'anonymat. Le vocable indigène dit alors qu'ils "ne viennent plus en narin" ou qu'ils "ne sortent plus en narin. En général, la réincarnation ne va pas au-delà de trois générations
Mais le spirituel va au-delà des rapports entre les hommes : il couvre également les rapports entre ceux-ci et la nature comme manifestation d'une représentation de l'univers.
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C'est en octobre 1946, par la voix d'un vieux chasseur aveugle, que fut révélé à Marcel Griaule , ce qu'il considèra comme "le mythe fondateur de la société dogon", "une cosmogonie aussi riche que celle d'Hésiode" dira-t-il plus tard. Ces trente-trois jours d'entretiens avec Ogotemmêli, rassemblés dans « Dieu d'eau », apportèrent aux travaux de Marcel Griaule une dimension nouvelle et lui ouvrirent de nouvelles pistes de réflexion : l'importance de la pensée symbolique, le rôle métaphysique et social de la parole, la dualité de l'être humain. En 1965, le monumental ouvrage Renard Pâle coécrit avec Germaine Dieterien, se fixa l'ambition de révéler l'ensemble du mythe.
[Certains travaux critiques des ethnologues plus contemporains (hollandais et anglo-saxons) peuvent laisser à penser cependant que le livre culte de Griaule ,qui eut un succès mondial, serait peut être "un mythe sur les mythes" au point d'infléchir paradoxalement dans son sens (avec l'appoint du tourisme) l'identité dogon elle-même.(un prochain article traitera de cette problématique)]
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