Nos étions partis d’une question concernant les arts premiers.(dont les peintures navajos, objets actuels de nos musées).ces dernières sont elles des œuvres d’art, sachant par exemple que le mot n’existe pas pas plus en navajo qu’il n’existe en lobi, au sens que nous lui donnons ?
Au terme de cet étude, c’est un paradoxe fort que nous rencontrons : non seulement il y a dans ces cultures une reconnaissance du beau (un vrai culte du beau chez les navajos !) mais encore elle peuvent nous apprendre combien nous méconnaissons celui ci en le restreignant le plus souvent à la contemplation passive d’œuvres réservées à des lieux prévus à cet effet(ou pour produire cet effet.), les musées , les galeries. Une telle méconnaissance s’étend à la nature ou à la maladie qui n’est plus simple phénomène biologique à moins qu’on ne renouvelle le concept de biologie lui même (par exemple par celui d’eco-système)
On pourrait donc affirmer, qu’à l’instar des peintures de sable qui ne peuvent être séparées de la « Voie », qui sont la Voie, l’œuvre d’art navajo ne peut être séparée de la vie , de la nature et de la sante-harmonie..
Qu’au contraire, être navajo c’est en quelque sorte faire de sa vie elle même une oeuvre d’art., rejoignant ici les intuitions d’un Nietzsche. En ce sens on peut parler de beauté agissante et de beauté/santé.
C’est ce qu’indique Harry Walters Anthropologue navajo, directeur du Hataalii Muséum.
hozho, ce mot essentiel de notre philosophie désigne un état de paix, d'harmonie et d'équilibre. Non que nous ignorions les contraires. La beauté, chez nous, a deux faces : l'une est mâle, guerrière, agressive, et correspond à l'est. A l'ouest se trouvent la compassion, la douceur, tout ce qui est féminin. Mais il n'y a pas domination de l'une de ces faces sur l'autre ; dans la culture navajo, il n'existe pas de hiérarchie entre les hommes et les femmes, mais une complémentarité.
Cet ordre est inscrit dans la nature, avec le cycle des saisons, avec le printemps qui succède à l'hiver, le soleil qui se lève à l'est et se couche à l'ouest, la lumière puis la nuit... Toute chose vivante se rattache à cet ordre, à cet état d'équilibre : hozho veut dire cela.
Le problème, c'est que la culture occidentale s'aligne rarement sur cet ordre. Elle ne reconnaît pas qu'il y a du feu en nous, de l'eau en nous, en nous de l'air, de la terre, de la lumière, du soleil. Ce qui nous compose, compose aussi le monde. Ces éléments se trouvent dans l'univers sous forme libre. Aussi, ce qui arrive à la lumière, à l'air, nous concerne énormément. Veiller à ce que l'eau, l'air, le feu, restent propres, de cela dépend directement la survie du genre humain. L'eau, l'air, le feu... sont des valeurs, communes à tous, universelles, bonnes pour les Navajos aussi bien que pour les non-Navajos.
Les couleurs des peintures médicinales renvoient elles aussi à l'ordre inscrit dans l'univers. C'est l'ignorance ou la violation de cet équilibre qui engendre la guerre, les tensions, la maladie. Chaque cérémonie, d'ailleurs, met en scène l'état décrit par hozho ; c'est à la fois un processus de guérison et une méthode d'éducation ; vous vous instruisez et votre confiance en vous-même s'accroît. Ainsi, dans notre université, le cours sur la santé couronne les études de philosophie. Accomplir les cérémonies, c'est se remémorer cette histoire, notre histoire, depuis les origines jusqu'à aujourd'hui, c'est réintégrer nos valeurs, retrouver l'état décrit par hozho, alors il devient possible de reprendre sa place dans l'univers et de guérir.
La "beauté" navajo est liée non pas à l'art mais à la guérison, à l'équilibre. Le mot "art" n'existe pas en navajo. Lorsque nous parlons de "beauté", nous parlons nécessairement de religion, de philosophie, de santé.
Pour nous, rien n'est isolé ; seul compte le tout.
Et encore faut il se méfier de l’ethnocentrisme de mots tels que religions, foi,philosophie, Ainsi nature :
Celle-ci constitue une entité vitale, harmonieuse, dont chaque partie est douée de vie et qui peut, grâce à son inépuisable pouvoir, résoudre tous les conflits individuels. Il ne s'agit pas là d'une maîtrise de la nature, comme celle que cherchent à acquérir les tenants de maintes disciplines scientifiques, mais d'un puissant désir d'union avec les forces naturelles. Les Navajos n'entretiennent pas de rapports avec une nature « sauvage », telle que la voit souvent la science, (de même la nature n’est pas l’ immense et « inépuisable » réservoir de matière première de nos industries) mais avec une nature symbolique hautement affinée, qui est intensément vivante et dotée d'une forme intérieure d'une rayonnante beauté. Au cœur de ce mystère se situe Femme-Changeante. Elle est le symbole archétypique du cycle naturel de la naissance, de la mort et de la renaissance. Les contacts avec elle au travers des rituels des chants, en particulier de la Voie de la Bénédiction, remplissent le patient de joie et de paix et lui apportent un renouveau, de la même manière que Femme-Changeante se renouvelle elle-même lors de chaque ronde des saisons, ou lors de la rotation des quatre directions dans sa demeure magique
De même religion
S.Grossman et jp barou citent ainsi le débat entre un anthropologue spécialisé dans la linguistique et un homme-médecine. Existait-il un mot, dans la langue navajo, pour désigner la religion ? Le linguiste soutenait que le mot nahaga signifiait cela. L'homme-médecine, qui parlait l'anglais aussi bien que le navajo, soutenait sans s'énerver que le mot nahaga ne pouvait se traduire que par "la Voie", ou par cette périphrase : "être dans un état conforme", ou encore par "la Voie, suivre une cérémonie".
Il n'y a, chez les Navajos, ni paradis ni enfer. Il n'y a pas non plus de notion de commencement, d'origine fondatrice qui fasse autorité. Enfin, les Navajos ne reconnaissent pas de causalité extérieure. Une longue vie salue une bonne conformité aux canons de l'ordre et de la beauté, elle prouve qu'on a su recourir aux pratiques d'ordre et d'embellissement que cette exposition célèbre. Une longue vie est une récompense en soi Mais les Navajos ne doivent pas se cantonner au seul maintien de l'ordre, de la beauté et des relations sociales selon les critères initialement fixés par les Etres sacrés. Il ne s'agit pas seulement pour eux de préserver un statu quo, d'éviter toute transgression, mais d'agir afin que ces valeurs s'incarnent..
Le but ultime de la vie des Navajos, « marcher jusqu'au vieil âge sur la piste de la beauté », est donc très différent des objectifs avoués de la mythologie chrétienne. Les Navajos ne se préoccupent pas d'une éventuelle survie de l'individu après sa mort. Ils ont une vague idée d'une vie après la vie, qui se déroulerait dans un monde souterrain situé au Nord, que l'on atteindrait par une piste descendant une falaise de sable. En règle générale, ils pensent que les parties mauvaises ou insatisfaites d'un mort peuvent errer sur la terre sous forme de fantômes, ou subir une période de tourments dans un monde souterrain sale et enténébré. Pour eux, le plus grand des biens pour un homme est de connaître une vie longue, harmonieuse, puis d'être réintégré dans la nature comme une des parties de son indivisible unité. C'est là le sort final des héros mythiques de tous leurs chants, sort qui est décrit d'une manière véritablement poignante dans une des mélopées de la Voie du Sommet de la Montagne. Après que le héros est revenu sur terre à la fin de ses périlleuses aventures et a transmis à son jeune frère la connaissance sacrée qu'il a arrachée aux Êtres Saints, les dieux le supplient de les rejoindre dans leur monde. Finalement, un jour où il est sorti chasser avec son frère, les divinités impatientes viennent le chercher. Avant de partir avec elles, il adresse un ultime chant d'adieu à son cadet :
Adieu, mon jeune frère.
Des hauts lieux, des saints lieux
Tu ne me reverras plus jamais.
Mais quand l'averse baignera ta tête
Et que le tonnerre grondera,
Tu penseras :
C'est là la voix de mon grand frère.
Et quand la moisson mûrira,
Quand tu entendras la voix de toutes sortes de petits oiseaux,
Et le grésillement des sauterelles,
Tu penseras :
C'est là l'œuvre de mon grand frère.
C'est là la trace de son esprit.
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