La societé des masques dogons
La société des masques est organisée à l'image de la société dans son ensemble. Les masques ont une mère, un père, des frères et une sœur. C'est l'association sociale la plus secrète. On ne peut pas parler des masques comme cela... " Aussi, parler des masques revient à proférer des paroles graves, surtout quand on se trouve dans un groupe de non-initiés.
"Si tu dis son nom on te tue !"
circonstances de production du masque
les circonstances de production, sont celles qui occasionnent la sortie des masques. On peut en citer trois : la première, et la plus importante, est le Dama, la deuxième, le décès d'un vieillard membre de la société des masques et la troisième, la perturbation de l'ordre social.
Le Dama
Le mot dama (variante : dawan) signifie "interdit". Pendant longtemps les ethnographes ont considéré ce phénomène uniquement comme une cérémonie de levée de deuil. Aujourd'hui, il convient de revoir le contenu de la notion car dans la confédération villageoise d'Ireli, comme dans beaucoup d'autres, le Dama est une circonstance exceptionnelle de renouvellement des masques. Dans ce village, le plus grand de ces événements appelés Dawan-na ("grand" Dawan) date de 1956. En 1969 a eu lieu une autre cérémonie de masques appelée Dawan-tdi ("vrai" Dama) qui a précédé le soixantenaire du Sigui. Les préparatifs combien difficiles, qu'exigé l'organisation de la cérémonie, expliquent les écarts entre deux Dama.
L'organisation d'un Dama doit coïncider avec une année faste, car il faut beaucoup de céréales
pour la préparation de la bière de mil ainsi que d'ovins et de caprins à immoler sur les différents autels du village .. Quand bien même l'année du déroulement d'un Dama est fixée (pour savoir si l'année sera faste, on consulte les devins), il est difficile de préciser le mois et encore plus la semaine, parce qu'un ultime sacrifice est obligatoire. Si celui-ci ne s'opère pas avant fin mai, les cérémonies sont reportées sine die.
Les hommes font leur retraite lorsque le sacrifice ultime a été fait. En principe, pendant cette retraite (de quarante-cinq jours à trois mois), les jeunes "apprennent à danser aux masques", et surtout à se familiariser avec les épreuves qu'un homme est censé rencontrer au cours de sa vie. Jeunes et vieux, femmes et enfants... toute la communauté est mobilisée pour l'organisation d'un Dama.
La mort d'un vieillard
Lorsqu'un vieillard qui appartenait à la confrérie des masques meurt, les masques honorent sa sortie de ce monde et facilitent son entrée dans le monde des ancêtres par une cérémonie de danses masquées. Tant que les masques ne dansent pas en son honneur, l'âme du défunt est condamnée à errer, menaçant les vivants. Les cérémonies sont organisées par le fils aîné du défunt. La partie essentielle a été l'arrivée des masques dans la famille mortuaire : ils sont montés sur le toit de la maison dans laquelle le vieillard dormait ; au-dessus de la porte sont accrochés quelques objets usuels du défunt, que les danseurs masqués ont décrochés un à un et jetés par terre en remerciant le mort : "Va en paix et dors en paix ! Merci pour hier ! Merci pour l'eau ! Si les sacrifices offerts ne t'ont pas plu, lève la tête ! Merci ! Va en paix !" À la fin de ce rituel, l'aîné dans un long soupir dit : "Père, merci pour hier" et, à notre intention, il a ajouté : "Maintenant je peux dormir en paix. Voilà trois pluies qu'il est mort et toutes les nuits, il venait demander à ma mère son viatique." Cela voulait dire que depuis la mort de son père, il ne dormait pas, tant il vivait dans la psychose, la culpabilité et le déshonneur vis-à-vis de lui.
La fabrication des masques
Les masques sont fabriqués pendant la retraite
. Chacun commande celui qui lui convient. Les hommes qui sont sûrs d'eux se font tailler les plus prestigieux, comme le masque à étage ou arbre. Certains jeunes quittent alors la falaise pour la plaine où l'on trouve des arbres dont le bois est léger. Ils font ainsi plus de 60 km pour se tailler un masque et le transportent de nuit afin de le cacher aux yeux indiscrets des femmes et des enfants. À l'approche d'un grand Dama, les forgerons les plus "adroits" sont assaillis par les commandes de masques. Malgré tout, certains danseurs sculptent eux-mêmes leurs masques, comme le masque échassier qui demande beaucoup de connaissances secrètes. Dans certaines régions du pays dogon, le grand masque, qui est la propriété de toute la communauté (ginna), ne peut être taillé pour un individu. Le moment de la retraite est aussi l'occasion pour les jeunes d'approcher les maîtres sculpteurs, très sollicités en ces circonstances, et d'apprendre un peu de leur art.
Les épreuves de l'initiation
En principe, tous les jeunes qui s'apprêtent à s'initier aux masques se regroupent en un même lieu : en général une grotte servant de lieu de décharge. Autrefois, le nettoyage de ce lieu rempli de déchets humains était la première épreuve puisqu'il fallait le faire les mains nues, sans se servir de balai. Le régime alimentaire était "inhumain". Aujourd'hui on observe un certain relâchement dans le respect de ces principes rigoureux. L'épreuve la plus difficile consistait à placer ['"apprenant" à quelque 100 m du lieu de rassemblement et à lui faire couvrir cette distance en dansant sous le soleil des mois d'avril et mai. Celui qui n'exécutait pas correctement les pas appris la veille couvrait la distance plusieurs fois en dansant. Quand un membre d'une classe d'âge commettait une faute, tous les membres du groupe s'alignaient et couvraient la distance en faisant le "roulé-boule" sous le soleil d'après-midi d'avril. Ces épreuves étaient redoutées, certaines personnes ayant gardé des marques à vie, cicatrice ou attribution d'un sobriquet. Des épreuves de courage étaient organisées, qui consistent à faire s'affronter deux camps de jeunes en simulant un combat au terme duquel on pouvait dénombrer un certain nombre de blessés, soignés dans le camp de retraite, une sorte d'école de guerre où l'on apprenait non seulement à danser mais aussi à défendre le groupe en cas de menace extérieure. Ce n'était qu'une fois ces épreuves passées que l'on pouvait mériter le titre d'"enfant du masque" .
Les bergers des enfants du masque
La désignation de bergers des masques témoigne de l'importance du masque dans le monde dogon. Pendant tout le temps que dure la retraite, aucun "apprenant" ne garde son masque dans le camp de retraite. Le masque est confié à un "berger", un jeune frère ou un neveu utérin qui, chaque matin, vient remettre le masque à son propriétaire (grand frère ou oncle maternel, ninyu) et le rapporte le soir dans la maison paternelle. Sur le chemin du retour, personne ne doit voir le nouveau masque, qui ne sera exposé au regard extérieur que pendant le grand défilé du Dama, considéré comme un jour de naissance et/ou de renaissance.
Sacre et profane
Ce qui fait du masque un objet sacré est moins la fonction qu'il joue, que les circonstances de sa naissance et de sa sortie lors des cérémonies funéraires. Le masque, par son essence, appartient à la fois aux mondes domestique et sauvage, en tant qu'œuvre d'art et puissance dévastatrice. L'homme masqué n'est plus lui-même, mais l'incarnation d'une force, d'un souffle vivant provoqué par un groupe, à travers la bouche des plus âgés (dans le masque, il faut voir le visage du père, son autorité et ses avatars socio-psychiques, les ancêtres, les esprits...). L'être humain, mais aussi l'animal, est ainsi doté d'un caractère sacré, imprimé dans l'image de la figure abstraite rendue visible par un discours collectif. Quand par exemple on dit : "Emina gowa de sanakure so-ila" ("Les masques sont sortis, les habits de feuillages n'ont pas leur place"), tout adulte initié comprend de quoi il s'agit. Le caractère imprimé dans chaque image n'est pas périssable, même si celle-ci est soumise à l'évolution du groupe. Les exemples montrent qu'étant "essentiellement de nature religieuse, le masque est souvent, au plan social, signe hiérarchique symboliquement relié aux systèmes prégnants des relations et des pouvoirs" Aucun garçon ne passe automatiquement des "habits de feuilles", qui ne représentent rien, au bois taillé, sans passer par la circoncision qui est une étape importante de l'apprentissage . Ces exemples sont assez éloquents pour faire comprendre qu'en milieu dogon, le vouloir, le savoir et le pouvoir sont tous détenus par les anciens, dont les exécutants sont les masques et leurs acolytes, les prêtres.
En milieu dogon, l'idée du "profane" n'a pas le même sens que celui admis en anthropologie. Comme l'a si souvent souligné Leiris, le sacré est partout présent. "Ce qui était sacré, même désacralisé, garde une partie de sa puissance d'hier" dit-on ; maxime dont la réplique profane est : "On trouvera assez de piment dans un sac vide ayant contenu du piment pour irriter les yeux quand on le secoue." On entend très souvent les gens dire que lorsque les cérémonies du Dama sont passées, les anciens masques sont "souillés". Cela signifie qu'après les cérémonies du Dama, les masques ne peuvent et ne doivent plus servir aux cultes. Aussi sont-ils brûlés ou jetés dans des grottes comme objets anciens à garder loin des regards des enfants et des femmes, de crainte que leur vue porte malheur. C'est une des raisons pour lesquelles, quand une femme voit un masque jeté sur un lieu abandonné, elle doit dire : "mes yeux noirs", formule consacrée pour conjurer l'effet maléfique de cette rencontre et l'interdit même de la nommer.
esthétique des masques
Le bois taillé, même pour des circonstances particulières, est vu comme un objet sans vie, inerte et à la limite du profane. ne devient lazugou lawa ("masque" en langue secrète) que lorsqu'il est incarné dans et par un porteur pour devenir mouvement et vie.
Le masque dogon est par essence mouvement et son esthétique en cela réside dans le mouvement même de la chose inerte qu'est le bois (l'observation d'un certain nombre de masques déposés contre un mur, sans distinction de taille et de volume, laisse appréhender la présence à la fois intrinsèque et extrinsèque du mouvement en tout masque et/ou en tout objet taillé). Le mouvement est surtout exprimé par le contour des objets et l'habillage des porteurs-danseurs : souplesse et densité des fibres autour de la taille, largeur et densité des habits en coquillages. Pour que le porteur-danseur exprime l'élégance du personnage qu'il incarne, il est indispensable qu'il y ait une parfaite harmonie entre ces différents éléments. Le masque le mieux sculpté, le mieux réussi en tant qu'œuvre d'art inerte devient laid lorsque son porteur est reconnaissable par tout le monde à travers son masque, tout comme le meilleur danseur qui porte un masque dissymétrique paraîtra ridicule quand bien même ses pas seront synchronisés à ceux des autres danseurs. Le masque doit avant tout donner à voir du « beau » comme l'atteste la parole des maîtres-guides : "Wanran fe)/"(" nez ! Approchez !"), " Yara yèw ("C'est beau, c'est correct"),"Le huitième à partir de la queue ne suit pas la tête", les expressions les plus usitées.
Les masques dansent pour le plaisir des yeux, pour être appréciés des spectateurs. Chaque geste doit imprimer dans les fibres des volumes qui rendent la danse des masques surréelle, à la limite de la transe : jeux de rein, de jambes, de cou et de bras participent tous ensemble « cet effet de volume, rendant le " texte chorégraphique " surréaliste. Ce qui fait la beauté du masque est qu'il est une double expression : celle d'une "forme achevée" dans la matière inerte et celle d'un "ensemble de mouvements" (costume corps, rythme) dont la forme achevée se trouve dans le rhombe son expression musicale.
L 'arène des masques est un lieu de rivalité par excellence. Il existe un très grand nombre d'anecdotes relatives à des faits divers liés aux rivalités entre jeunes danseurs de masques. On raconte qu'un jour un jeune danseur de masque tègèn-tagan ("échassier") se trouva confronté à un problème très grave. En pleine cérémonie de danse, un des pieds du masque se cassa. Et sans la vigilance des maîtres-guides et des spectateurs, le jeune homme serait tombé, se blessant grièvement. On rapporta l'aventure à son père resté à la maison ce jour-là. En apprenant la nouvelle, il fut indigné. Il tira alors de son togu (abri des hommes) une tige de mil qu'il envoya au malheureux danseur, en remplacement du bois afin de réparer le tort causé à son fils. On raconte que le jeune porteur de masque dansa toute la journée un pied posé sur du bois taillé et l'autre sur une tige de mil, défiant ainsi les rivaux de tous âges
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