La sculpture africaine comporte deux domaines dominants : la statuaire et le masque.
Il y a un paradoxe des masques : ceux-ci qui n'ont de sens que par le mouvement - apparaissent pourtant plus immobiles que les statues. Pris en dehors de l'action ils sont morts, incapables de manifester la moindre vie. La seule exception à la règle se trouve dans les expressions du visage. Pourtant, ils constituent chacun une matrice de mouvements qui est en soi le mouvement même en puissance.
Dans la tradition africaine, le masque est perçu comme étant quelque chose de divin. Il n'a de sens que dans son rapport avec les dieux. Considéré dans sa nature propre, le masque n'est pas un objet et encore moins une créature humaine. Il est le sacré se manifestant aux hommes à l'occasion de cérémonies spécifiques (initiation, fête annonçant l'ouverture des activités agricoles, décès d'un gardien des traditions, épidémies, par exemple). C'est pourquoi les jeunes initiés bobo (dans l'ouest du Burkina Faso) se rendent en brousse à l'écart des regards indiscrets pour entrer en communication avec ces dieux qui viendront auprès des hommes à la fin du cycle d'initiation. Le masque a pour fonction de réaffirmer, à intervalles réguliers, la vérité et la présence des mythes dans la vie quotidienne. Il a aussi pour but d'assurer la vie collective en toutes ses activités et en sa complexité; chez les Dogon, s'exhibent des masques d'étrangers (Peuls, Bambara, Européens) qui, avec leurs caractéristiques, manifestent la diversité du monde. Ces cérémonies sont des cosmogonies en acte qui régénèrent le temps et l'espace : tentant, par ce moyen, de soustraire l'homme et les valeurs dont il est dépositaire à la dégradation qui atteint toute chose dans le temps historique. Mais ce sont aussi de véritables « moments cathartiques » au cours desquels l'homme prend conscience de sa place dans l'univers, voit sa vie et sa mort inscrites dans un drame collectif qui leur donne un sens.
Ainsi perçu, le masque est une présentification (et non une représentation) ; il est ce processus à travers lequel un être invisible vient à la visibilité. Il est ce à partir de quoi un mouvement est possible. Celui du passage d'un état à un autre de l'invisible au visible, de l'immatériel au matériel, l'univers des dieux à celui des hommes.
Le masque est donc mouvement parce qu'il est le processus par lequel le dieu advient et c'est précisément ce qui lui donne son sens, sa raison d'être comme masque. Cette notion du mouvement associée au masque essentiellement de sa destination, qui est de danser. Voir le masque danser, c'est participer à une fête dont le caractère est bien particulier. La danse du masque est, en effet, l'occasion d'un. évènement qui concilie le profane et le sacré, le naturel et le surnaturel. Comme telle, la danse du masque exprime une fête de l'harmonie des contraires et, ainsi, détermine l'ensemble de l'univers ce union perpétuelle des contraires dont le bien-être dépend de la conservation de l'équilibre des différences.
En ce sens, il s'agit d'une fête proprement sacrée (distincte du religieux mais manifestation même de la religion). C'est pourquoi la danse du masque est celle des dieux hommes ; elle manifeste la présence des dieux auprès des hommes, ce qui, autrement, impossible. À travers le masque, les hommes invitent les dieux, qui donnent leur accord manifestant par la danse et qui, de la sorte, partagent le même espace avec leurs hôtes pour un temps donné : celui de la durée de la fête comme rencontre des dieux et des hommes, « occasion »,
L’homme acquiert des attributs divins et le dieu des qualités humaines. Cela est d’autant plus vrai que lors de la danse, le danseur dissimulé sous le masque n'est jamais un être en disparaissant dans son costume de fibres ou de feuilles, il ne cherche pas à se « déguiser disait Jean Laude, pour le plaisir ou la joie de la fête ; il se retranche derrière une image conforme aux exigences du mythe qui font de lui une individualisation, un miroir du dieu . En même temps, le masque, au moment de la danse, est bien une entité indépendante perceptible et mobile. Il est matériel et, par conséquent, appartient à la sphère de la sensibilité
Se servir d'un support humain pour produire un être nouveau n'est d’ailleurs pas sans danger pour l'homme masqué. Le masque figure un être connu, répertorié dans la nomenclature des dieux, génies, etc., possédant une histoire, une biographie, mais il doit aussi protéger celui qui le porte contre les effets de la personnalité qu'il endosse provisoirement et littéralement l'investit
En aucun cas, le danseur ne doit être reconnu. A cet effet, de multiples précautions sont prises : pour qu'il ne se détache pas, le masque est complété par une cagoule de fibres enveloppant la tête; ou il a la forme d'un heaume; il est fixé à l'aide de bretelles qui l'assujettissent fermement aux épaules. A l'intérieur du masque est fixée une languette de cuir que le porteur serre entre ses dents. Lorsque la dimension du masque et la nature de la chorégraphie l'exigent, le danseur est assisté d'un aide : chez les Dogon, dans la danse du grand masque sirige, il doit se rejeter complètement en arrière : aussi, un de ses camarades se place devant lui pour dérober sa gorge aux regards. Le visage du danseur se trouverait-il, momentanément, à découvert et visible pour les spectateurs, de graves conséquences s'ensuivraient. Les précautions sont étendues à tout le corps, pour éviter de découvrir une partie par où pourrait s'introduire le génie.
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