Je suis femme qui regarde au dedans, dit l'enfant sacré
Je suis femme de lumière, il dit
Je suis femme qui tonne, il dit
Je suis femme savante en médecine, il dit
Je suis femme savante en Langage, il dit
Je suis femme grande étoile, il dit
Je suis la femme qui sait nager dans le sacré
Je vais chez Rêve chercher la petite âme, dit l'esprit du chamane. Il la prend sous son bras et, tchou!, il la remet dans la bouche du malade ...
Chamanisme et culte de possession sont les deux principaux systèmes élaborés par les sociétés humaines dans diverses régions du monde, pour donner sens aux événements et pour agir sur eux Dans les deux cas, le rituel repose sur l'idée centrale d'une rencontre entre l'initié et l'invisible, face-à-face conduisant à une transformation profonde de sa personne.
« Des mots ont été créés par les voyageurs, adoptés ensuite sans réflexion par les dilettantes de l'ethnopsychologie et employés à tort et à travers. Parmi ces mots vagues, l'un des plus dangereux est celui de chamanisme. »
(Van Gennep, 1903, .)
Le terme de chamanisme a été forgé à partir de saman, ou çaman le nom utilisé par les Toungouses (ou Evenk), une petite population répandue dans toute la Sibérie orientale.
Dans un premier temps, la littérature ethnologique réserva l'emploi du terme chamanisme pour décrire les pratiques propres à l'aire sibérienne et asiatique. Des systèmes comparables sont signalés dès la première moitié du XXe siècle dans l'Amérique indienne (du Nord puis en Amazonie), chez les Eskimo, au Népal mais aussi en Chine, au Japon ou en Corée. À l'heure actuelle, de l'Afrique à l'Australie il n'est d'aire culturelle qui ne présente des phénomènes de type chamanique. Peu à peu le terme toungouse supplante le nom vernaculaire en usage dans les populations étudiées. Selon les dictionnaires historiques, le mot apparut pour la première fois en français sous la forme « schaman » en 1699 dans Relations du voyage de Monsieur Evert Isbrand. La forme « chamane » apparaît dans le Complément du Dictionnaire de l'Académie française de 1842. Cette écriture, influencée par l'anglais, est, avec « chaman », celle qui est donnée dans la plupart des dictionnaires actuels.. Dérivant de ça-, « connaître », çaman signifierait « celui qui sait », mais cette étymologie est très contestée. Une autre fait dériver le mot d'une racine verbale signifiant « s'agiter, bondir, danser ». il sert aujourd'hui à qualifier un personnage cumulant les fonctions de magicien, de sorcier, de guérisseur et de devin. Les incertitudes liées à son étymologie exacte reflètent parfaitement toute l'ambiguïté pesant, selon le point de vue occidental, sur ces curieux manipulateurs du sacré en lesquels l'ethnographe Arnold Van Gennep (1903) voyait « une certaine sorte d'homme »
Le mot « chamane » tend aujourd'hui à se substituer à ce que le langage populaire appelait auparavant sorcier, guérisseur, magicien ou devin, c'est-à-dire toute personne censée faire appel à des dons magiques. Il y a trente ans, en Amérique latine, personne ne connaissait le mot, hormis les spécialistes en sciences humaines. Rares sont aujourd'hui les ethnologues qui utilisent par exemple le terme medecine man caractéristiques des amérindiens des plaines de l’Ouest américain ou de brujo (le sorcier-guérisseur) pour l’Amérique latine.
Une autre tendance, commune aux ethnologues et à ceux qui, en Occident, recherchent une nouvelle spiritualité, consiste à qualifier de chamaniques un grand nombre de pratiques. Cela va de pair avec un usage de plus en plus lâche de la notion, aussi bien dans le grand public que chez les chercheurs, ces derniers se raccrochant peut-être inconsciemment à cette mode pour poursuivre un objet qui s'effrite dans des sociétés de plus en plus soumises à l'Occident.
Domaine du « sacré sauvage », expérience vécue d’un invisible et d’un ineffable, mêlant extase, possession et fureur, le chamanisme est pourtant une religion pratique et pragmatique qui ne saurait se limiter au mysticisme et à la prolifération de superstitions irrationnelles caractéristiques de notre monde « désenchanté »
Il est donc difficile de convenir d’une définition et d’un modèle .les modèles, toujours marqués par la spécificité de l'expérience qui les a inspirés, risquent ensuite d'être « sacralisés », leurs adeptes tentant à tout prix de les reconnaître ici et là, aux dépens de la réalité complexe et au risque de rester aveugles face à d'autres configurations. Le « chamanisme » n’est au mieux qu’un universel conceptuel, ideal type ou définition repère dont il faut reconnaître la part d’arbitraire et d’abstraction par rapporte à la richesse de la réalité et à son évolution historique- le chamanisme réel faisant preuve quant à l’évolution du monde d’une grande capacité d’adaptation (voire d’une naissance où il n’existait pas) du fait de sa fonction.
Il implique une représentation particulière de la personne et du monde, suppose une alliance spécifique entre les hommes et les « dieux », et il est contraint par une fonction, celle du chamane, qui est de prévenir tout déséquilibre et de répondre à toute infortune : l'expliquer, l'éviter ou la soulager. Le chamanisme est donc un ensemble d'idées justifiant un ensemble d'actes. On ne peut le comprendre si on comprend que l'homme doit payer une dette au monde autre qu'il pille ou dégrade pour assurer sa subsistance. Les raisons souvent évoquées pour légitimer une conception persécutive du mal sont résumées par des images empruntées à la chasse : de même que les hommes tuent les animaux pour se nourrir et, plus généralement, agissent en prédateurs vis-à-vis du milieu, les êtres du monde-autre se comportent comme des chasseurs vis-à-vis des humains. Ils les pourchassent pour s'en nourrir et, surtout, pour s'en venger. Car ces êtres sont les maîtres de ce milieu, ils le contrôlent. La maladie ou la mort, mais aussi la sécheresse et la famine, c'est la dette.
L'être humain ne cesse d'examiner et de modifier son environnement. Simultanément, l'univers physique agit sur lui, et l'homme se retrouve uni au monde dans un circuit d'activités et de sensations. Ni l'homme ni son environnement n'ont de sens ou d'identité l'un sans l'autre. Par exemple ,une étude (Hamayon, 1990), montre que, dans le cas sibérien, il y aurait un parallélisme entre le système d'alliance du chamane avec la « surnature » et deux autres systèmes d'échanges : celui qui légitime la chasse et celui de l'alliance matrimoniale.
Cette image d'interdépendance qui pourrait chez nous définir une position écologique fait partie intégrante de la vision chamaniste du monde où tout - non seulement les animaux, mais les plantes et les rochers, le vent et la pluie - est imprégné « d'esprit ».(ce qu’on nomme faute de mieux l’animisme) chaque torrent, chaque montagne aura un nom, des particularités, et influencera les hommes. Le monde ainsi est double ou, mieux, pris entre deux pôles, chacun étant un repère théorique agissant comme une sorte d'attracteur. Il y a ce monde-ci, visible, quotidien, profane, et le « monde-autre » habituellement invisible aux hommes ordinaires. C'est le monde des dieux et de leurs émissaires, des esprits de toutes sortes - célestes ou chthoniens, pathogènes ou bienveillants... -, le monde des maîtres des animaux ou des végétaux, des ancêtres, des morts... C'est le monde que décrivent et explorent les mythes, le monde du « sacré ».
Les esprits peuvent épouser des êtres humains ou leur transmettre certaines de leurs capacités. Et ces mêmes capacités sont susceptibles de nous écraser. Ces alternatives reflètent les qualités ambiguës d'un environnement où les animaux, le paysage et le temps peuvent aussi bien nous nourrir que nous détruire, selon leur humeur. Car les grandes infortunes qui frappent les hommes sont supposées être dues à l'action du monde-autre, qu'il s'agisse d'infortunes climatiques, économiques, biologiques ou sociales : sécheresses, famines, maladies, etc. Et ce monde-autre est anthropomorphisé : il est une projection de ce monde-ci. Les êtres qui le peuplent sont animés par les mêmes pensées et les mêmes passions que les hommes qui les ont imaginés, mais leurs pouvoirs sont supérieurs.
D ans la pensée chamanique, l’« esprit » désigne plutôt l'« essence » ; c'est ce qui fait qu'un animal est un animal et un objet un objet. L'esprit désigne en outre la conscience : les êtres animés, de même que les arbres, les rochers et les outils ont une conscience semblable à la nôtre. Existant par eux-mêmes, les esprits peuvent délibérément s'en prendre aux hommes et provoquer certains événements de leur vie. Ils peuvent aussi s'éprendre d'un être et le nourrir avec compassion. Ils ont des besoins et des émotions, comme la faim, la jalousie ou l'orgueil, et ils peuvent nous attaquer, nous dévorer ou nous rendre fous.
À un cycle court d'échange entre la société humaine et le monde des espèces animales ou végétales, dont chacun, en quelque sorte, nourrit l'autre, peut s'ajouter un cycle long donnant un sens plus profond à la mort et élargissant la notion même d'échange. Ce cycle suppose qu'à long terme, les âmes des morts sont libérées et contribuent, de diverses façons, à la perpétuation du monde, de la société et du milieu. Par exemple, elles se réincarneront ou seront « assimilées » par des « dieux » et reviendront sur la terre sous forme de pluie, de végétation, etc.
Le chamanisme suppose que certains humains savent établir à volonté une communication avec l'invisible. Ils peuvent le voir et le connaître, à la différence des autres hommes, qui ne font que le subir ou le pressentir. Ce sont les chamanes. Ils sont désignés et élus par le monde-autre. . L'expression « monde-autre » évite celle d' « au-delà », qui évoque trop notre conception de l'après-mort, . celle de « monde surnaturel »est aussi inadaptée puisque le monde-autre gère justement les phénomènes que nous qualifions de naturels.
Comme si, tout en persécutant l'humanité, le monde autre en faisait pourtant son partenaire, offrant une parcelle de son pouvoir aux chamanes pour qu'ils puissent comprendre le sens profond des événements, soulager les infortunes, et retarder la mort en différant le paiement de la dette précédemment évoquée. En échange une sorte de contrat lie le chamane au monde-autre, un contrat qu'il devra faire respecter
Le pouvoir chamanique s'établit de deux façons. Il peut entretenir une relation privilégiée avec des entités émanant de l'invisible, que les ethnologues appellent des «esprits auxiliaires». (On parle aussi d'esprit tutélaire, d'allié, parfois d'esprit électeur ou protecteur. Le chamane peut aussi dépêcher à volonté son âme dans le monde invisible. Bien souvent les deux modes coexistent..
Le chamane, devient ainsi un médiateur, il chevauche les frontières, dans la mesure où, durant ses fonctions, il peut, à volonté, relever alternativement du « monde-autre » et de ce monde-ci ou bien être l'élément actif d'une chaîne reliant un pôle à l'autre. L'aléatoire l'a cédé au volontaire.
Le chamane est socialement reconnu. Il se met dans un état de réceptivité au monde-autre à la suite d'une demande. En principe, il n'agit pas pour lui-même. Il intervient pour éviter ou résoudre telle ou telle infortune. Ce peut être celle d'un individu frappé de maladie ou de tout autre malheur, ou celle de la communauté entière, si elle souffre par exemple d'une sécheresse ou d'un manque de gibier, ou si elle envisage une guerre.
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