Il serait vain de chercher des «origines» aux multiples décorations corporelles car elles appartiennent à la condition humaine et, sous une forme ou une autre, les sociétés remanient le corps de leurs membres.
l a décoration du corps est ainsi utilisée à des fins de séduction. Lorsque les hommes souhaitent valoriser leur jeunesse, la beauté de leur corps ou leur virilité, plus particulièrement à l'occasion de danses et de cérémonies faisant partie du processus d'acquisition d'une épouse, l'importance de la décoration est fondamentale. Les femmes ornent aussi leur poitrine et leur ventre de motifs peints en blanc, et leurs compagnons leur corps tout entier.
Ces peintures sont associées, par ailleurs, à certaines professions détenant des pouvoirs exceptionnels : les circonciseurs, en relation avec des forces extraordinaires, les joueurs de tuba n'exerçant leur art que le corps couvert de peintures, et les guerriers vainqueurs, atteignant par leurs exploits à la plus grande virilité. Pour les deux sexes, les dessins peuvent être réalisés avec les doigts, des brindilles faisant office de pinceaux, seul, ou avec l'aide de parents ou d'amis.
Certaines ethnies du soudan ont élevé la peinture corporelle au rang d'un véritable moyen d'expression artistique. Celui-ci, d'une manière générale, s'appuie sur un principe de structuration asymétrique des surfaces colorées, à partir de figures principalement géométriques.
Comme des tableaux vivants, les corps et les visages sont travaillés par des formes primordiales, tels le triangle ou le cercle, par des figures stylisées ou par de simples aplats bruns, ocres ou blancs, signes d'un univers qui s'élabore secrètement ou de visions s'incarnant dans le tracé des dessins. À travers cette peinture « polyphonique », où les symboles foisonnent et se combinent indéfiniment pour maintenir la cohésion des groupes claniques ou pour assurer la médiation entre les humains et le reste de l'univers, se révèle parallèlement un acte de création plastique. Les variations progressives des figures géométriques soumises à la coloration peuvent transformer les points en cercles, puis développer des spirales ; les rythmes imposés par l'organisation spatiale referment les lignes en carrés et rectangles, ceux-ci se multipliant pour constituer une grille.
La composition des motifs est déterminée par une volonté d'efficience. Si la décoration dont toutes les pratiques se répondent les unes les autres, peintures, scarifications, coiffures et bijoux, se définit par rapport à des règles de comportement social et traduit la condition et le statut d'un individu, sa fonction est aussi de sublimer le corps, dans sa force et sa beauté.
Les peintures faciales Nuba mettent en jeu un phénomène de dissociation. Ainsi, les plages de couleurs discontinues, où parfois s'opposent le rouge, le blanc et le noir, décomposent parfaitement le visage : soit les orifices et les protubérances sont isolés et accentués, soit ils sont oblitérés lorsque la peinture les recouvre presque totalement, comme pour mieux effacer la symétrie des traits. Ce type de métamorphose physique, analysé par M. Thévoz pour d'autres cultures, pourrait correspondre à une « transgression d'identité et une sorte de migration mentale10 ».
Le fait de se coiffer de plumes d'oiseaux, de revêtir des peaux d'animaux sauvages ou de recouvrir son corps des signes et des couleurs nécessaires pour effectuer des voyages dans l'au-delà, peut favoriser la transformation de l'individu, par une sorte d'identification à l'animal, grâce à la captation de certains de ses pouvoirs. Cette transcendance de l'humain trouve ses justifications mythologiques ou religieuses. Toutefois, peut-on en conclure que les décorations corporelles rituelles, si diverses soient-elles par leurs fonctions dans les différentes sociétés, seraient presque toutes déterminées par leurs liens avec le surnaturel ? celui-ci reste appréhendé dans des limites spatio-temporelles clairement circonscrites, lors des fêtes et des cérémonies initiatiques. Mais d’une autre façon chacun trace à sa guise avec l’aide des autres, mélange de transmission et d’intuition, soit toute une esthétique de la jubilation de se montrer
Ainsi chez les Nuba, si l’utilisation de la couleur obéit à une réglementation stricte, les dessins sont laissés à l’appréciation personnelle : ils suivent les formes du visage et du corps, accentuant ou estompent les traits, certaines peintures animalières le sont pour l’élégance du motif et l’adéquation avec le corps
LES PEUPLES DE L’OMO
. Dans cette dépression du Rift se côtoient sur quelque 60 000 kilomètres carrés une vingtaine de tribus fortes d'un millier à plusieurs dizaines de milliers de personnes. La terre des origines de l'humanité les a accueillies au terme de lointaines migrations parties des rives du Nil. Dans cette région perdue qui jouxte le Kenya et le Soudan, où ne mènent que des pistes impraticables pendant la saison des pluies, ces tribus nomades et d'autres presque sédentarisées aux abords du fleuve gardent à peu près intactes leurs traditions Chacune a gardé sa propre identité, ses propres coutumes et même sa propre langue. Depuis toujours, elles guerroient entre voisins pour des questions de pâturage.
Hamar, Mursi, Surma, Bume, Karo, Bana, sont organisés en clans divisés en classes d'âge et dominés par les anciens. Polygames, ils assurent la survie du groupe en ayant beaucoup d'enfants le plus vite possible Tandis que les femmes s'occupent des récoltes, les hommes prennent soin des troupeaux, leur richesse et leur passion. Chaque garçon se voit attribuer un jeune animal qu'il élève et chérit particulièrement, pour qui il compose un chant et dont il hurle le nom quand il monte au combat.
La « civilisation » a d'abord touché ces ethnies lorsque sont arrivés les réfugiés qui fuyaient la guerre du Soudan. D'où les armes, et l’alcool, qui lui aussi commence son travail de mort parmi les petits peuples de l'Omo. D'occasion, en bon état, la kalachnikov vaut 8 zébus. Neuve, elle se négocie entre 30 et 40.. Les guerriers de la basse vallée de l'Omo l'apprécient tant qu’ils la portent souvent comme unique parure : ils vont nus mais ne se séparent pas de leur A.k.-47 ou M-16 importé du Soudan, que le père transmettra par héritage à son fils aîné. Pour le reste, leur mode de vie a peu changé. Depuis toujours, les peintures corporelles, les bijoux, les scarifications, l'élaboration des coiffures leur offrent un champ d'expression où donner toute la mesure d'une inventivité et d'une adresse inégalée
L’Exemple SURMA
Parmi les tribus de l’Omo, et selon la tradition orale, les Surma seraient originaires de la région de l’Omo inférieur au nord du lac Turkana, même si leur langue fait plutôt penser à une ascendance nilotique.
. Il n’y a pas de route, pas d’école, pas d’hôpital. Les montagnes comprises entre le cours du Kibish et l’escarpement qui domine la vallée de 1’Omo comptent parmi les zones les plus reculées et les plus inaccessibles de tout le continent. Les pluies — près de six cents millimètres par an — tombent au printemps et en été sous forme d’averses violentes. Durant la saison sèche, les températures moyennes ne descendent jamais en dessous de trente-trois degrés Celsius et, dans les bas-fonds infestés de mouches tsé-tsé, la chaleur est insupportable.
Tous les villages sont protégés par un système de tours de guets réparties autour des habitations et champs de sorgho ou autres céréales comme le maïs ou le mil. Des gardes armés y scrutent la savane, prêts à déclencher l’alerte à la moindre intrusion d’étrangers. Juste avant la saison des récoltes, les enfants ont la dure tâche de veiller à ce que les oiseaux ou insectes ne dévastent les cultures, sources de survie. Par après ce sont eux ou les femmes qui en journée récolteront les précieuses graines qui ultérieurement seront accommodées de diverses façons. Les femmes pillent les grains qu’ensuite elles moudront pour en tirer une fine farine. D’autres grains seront mêlés à de l’eau, puis macèreront jusqu’à obtention de boissons alcoolisées, rappelant nos bières locales.
Protégés par cet environnement dur et peu accessible, les Surma (environ vingt mille individus), ont conservé les traditions de leurs ancêtres La société surma est basée sur une organisation clanique, elle-même étayée sur le système des classes d’âge. Les tenants d’un même lignage, ou clan, ne sont pas obligés de vivre au même endroit, mais peuvent se déplacer à loisir et choisir le lieu de résidence qui leur convient le mieux, sans pour cela amoindrir la forte solidarité qui les lie et qu’ils manifestent surtout lors des cérémonies et dans les moments de crise. . les anciens, les maîtres des rituels, jouissent d’un grand respect. On tient compte de leur avis, sans pour autant être contraints de s’y conformer car la liberté individuelle est, chez les Surma, une réalité. Ils n’ont pas de chefs. Leur système, privé de structure politique centralisée susceptible d’imposer une volonté coercitive, est dit par les ethnologues « acéphale » ou « segmenté ». La famille, avec femmes et enfants, est l’unité basique de leur organisation. Les hommes, généralement polygames, assument les tâches qui leur incombent loin du foyer. Ils défendent leur territoire, s’occupent des troupeaux parqués dans des enceintes construites à proximité des pâturages, parfois situés jusqu’à plus d’une journée de marche du village. La chasse aux petits et aux grands animaux est pour eux une source non négligeable de nourriture, aussi aller braconner jusque dans l’Omo National Park voisin, compte-t-il parmi leurs pratiques habituelles. Les femmes s’occupent des champs et de tout ce qui se rapporte à la sphère domestique. Elles travaillent le cuir et façonnent de très belles poteries de terre cuite destinées à la cuisine, dont elles vendent le surplus au marché ou qu’elles échangent contre des denrées de première nécessité.
Leur indépendance économique et l’absence de règles morales précises leur laissent une certaine liberté. Le sexe avant le mariage étant pratique courante, Les mères apprennent à leurs filles à s’orienter dans leurs affaires amoureuses et quels sont les moyens de contraception les plus efficaces. Chez les Surma, la beauté physique est de première importance. Tous prennent grand soin de leur aspect extérieur, accordant une place de choix aux peintures corporelles.
Encouragés dès leur plus jeune âge à imiter les adultes, les enfants Surma s’enduisent le corps et le visage de pâtes calcaires diversement pigmentées suivant la roche utilisée, selon des contours d’une extrême fantaisie .Certains motifs font allusion à la nature ou aux animaux : robes des vaches, faciès des singes colobes, pelage des prédateurs... Lorsque plusieurs personnes se peignent de façon identique, cela signifie qu’ils sont liés familialement ou d’amitié. Ces décorations répondent à un code social bien établi, et ils existes diverses façons de se peindre selon le but recherché : séduction ou peintures de guerre devant effrayer l’ennemi. La coiffure est un autre élément prépondérant dans la fierté des guerriers Surma. Ils se rasent le crâne avec des lames de rasoir en laissant quelques lignes décoratives.
Ainsi qu’il en va chez les Mursi, les colliers de verroterie et les bracelets métalliques sont, avec le labret, les objets obligés de la séduction féminine. Façonné dans du bois ou de l’argile, ce plateau est rond ou trapézoïdal, et peut atteindre un diamètre considérable.
Avec son labret de balsa et ses oreilles percées, la femme Surma représente une valeur enviable. La largeur du labret donne une estimation de la dot dont aura à s’acquitter tout prétendant. La dot peut représenter jusqu’à une soixantaine de bêtes. Les labrets en bois peuvent être de forme trapézoïdale ou demi sphérique, tandis que ceux en argile seront généralement ronds. En âge de se marier, la jeune fille Surma, après s’être fait percer sa lèvre et extraire des dents de la mâchoire inférieure, mettra tout en œuvre pour distendre cet orifice en y insérant des labrets successifs, de taille toujours croissante. Pour les hommes, il est d’usage de procéder à des scarifications sur le torse, ventre ou bras, afin de rendre un éloge à leur bravoure. Les cicatrices survenant lors de combats aux bâtons, les Donga, laissent des marques indélébiles relatant les haut faits et le courage démontré.
Le goût des parures s’exacerbe à l’occasion des festivités données lors des récoltes, à la fin de la saison des pluies. C’est la saison de repos consacrée à la séduction et aux mariages. Les hommes y font assaut de force et de virilité, s’affrontant à la perche en duels acharnés sous l’œil des jeunes filles qui, parmi eux, choisissent leur mari. Celles ci vont quotidiennement aux carrières de craie pour renforcer leur charme en se couvrant de nouveaux dessins.
Quant aux célibataires masculins, ils consacrent des heures à parfaire leur apparence .après s’être enduits le corps d’un mélange d’eau et de craie, ils tracent des motifs complexe laissant apparaître la noirceur de la peau. Trois couleurs. Ocre rouge, ocre jaune et blanc. Elles viennent de la terre et s'accompagnent de pigments végétaux. On les applique le plus souvent avec les doigts, parfois à l'aide d'une brindille, d'un roseau. Elles forment des rayures, des ocelles, des étoiles, des corolles comme celles que l'on peut voir au flanc des animaux de la forêt, sur les poissons, les oiseaux, les lianes et les fleurs. Les peintres n'ont qu'à regarder autour d'eux pour renouveler la fraîcheur de leur inspiration. Tracées d'une main sûre, les lignes s’incurvent en suivant le relief des corps, le soulignent autant qu'elles le transcendent. Dans sa splendeur la nature tout entière s'invite sur les visages, les torses à l’occasion des fêtes rituelles, préparation au combat mais aussi fierté, voire coquetterie au quotidien et enfin jeu de séduction inlassablement recommencé.
Parfois le tableau vivant s'enrichit d'une coiffure singulière, qui peut être élaborée à base de végétaux, de plumes ou de tout autre ornement piqué dans les cheveux que retiennent argile et huile. Il faut alors prévoir un accessoire, le repose-tête, qui permet de dormir sans saccager la savante composition.
Bien que dans leur disposition elles relèvent d'un même esthétisme, les scarifications transmettent un autre message : les guerriers s'incisent la peau à chaque victoire sur l'ennemi, à chaque acte de bravoure. Plus les marques sont nombreuses, plus ils inspirent le respect. Les femmes, elles, se parent de cicatrices. Soulevée à intervalles réguliers à l'aide d'une épine d'acacia, la peau, incisée avec une lame de rasoir, forme de petites plaies qu'on empêche de guérir en les infectant jusqu'à ce que leur renflement soit jugé de taille harmonieuse. Les lames de rasoir font partie des cadeaux les plus appréciés car elles servent aussi a se raser en partie le crâne selon des schémas complexes.
Les Surma utilisent donc leur corps comme une toile où ils expriment leur créativité. Outre leur fonction esthétique,destinée à attirer le sexe opposé, les peintures servent à intimider l’adversaire et renforcer la puissance du combattant lors des duels au bâton.
Lors du Donga, joute à la perche de bois, les adversaires seront mis face à face, deux par deux. La violence des affrontements contraint les participants à se protéger la tête et les articulations au moyen de fibres végétaux tressés spécialement à cet effet. Les spectateurs se placent tout auteur des deux adversaires. Tandis que le vainqueur attend son prochain adversaire, le vaincu sort de l’arène sous les honneurs, car le seul fait de participer est un signe d’honneur et de courage. A la fin il restera le vainqueur final, qui sera porté en triomphe sur une claie de perches. Puis il sera présenté par ses pairs au groupe de jeunes filles à marier qui choisiront entre elles celle qui le demandera en mariage.
Force, adresse et élégance sont de mise, et très souvent ces combats servent de prétexte à régler de vieilles querelles. Après un certain temps, l’excitation due à la vue du sang et à l’alcool absorbé, atteint son paroxysme, et le climat devient souvent électrique . Ces combats entre habitants d’un même village ou de villages alliés, servent d’exutoire à l’agressivité des jeunes hommes des deux premières classes d’âge entre 16 et 32 ans. Lors de ces combats tous les coups sont permis, mais il est interdit de tuer son adversaire. Si par mégarde cela devait arriver, le fautif est banni du village avec toute sa famille. Il devra en outre laisser une jeune fille aux parents de la victime en compensation de la vie prélevée. Une fois qu’une jeune fille aura choisi son valeureux futur époux, les familles se lanceront alors dans des tractations qui peuvent durer des mois avant de s’accorder sur la date et sur la quantité de bêtes et de fusils de la dot. Les épousailles, qui scellent l’alliance de deux clans, sont célébrées par des chants, des danses et des libations de bière, et elles s’achèvent lorsque la jeune femme pénètre dans sa nouvelle cabane, construite par le mari
VOIR LES ALBUMS PHOTOS CONSACRES AUX PEUPLES DE L'OMO ET A LEURS PEINTURES CORPORELLES
merci, c'est magnifique...
Rédigé par : chrystelle | lundi 20 oct 2008 à 19h58
De magnifiques photos, j'admire leurs talents pour le body art.
Rédigé par : Visiteur | mercredi 11 mar 2009 à 22h31
j'ai fais un voyage en Papouasie nouvelle Guinée voici mon site de photographies
http://www.regardby.com
Rédigé par : Bruno Timmermans | mardi 29 déc 2009 à 02h30
Je me sens fort peu romanesque devant certaines de ces pratiques encore vivantes de nos jours. Désolée. Je sais que je ne ferai pas plaisir à bien des gens mais que voulez-vous... on ne se refait pas.
Rédigé par : Christine | mercredi 16 mar 2011 à 17h12