Exposition du 25 mai au 18 novembre 2007
L'Abbaye de Daoulas ( non loin de Brest) organise chaque année, depuis 1986, des expositions archéologiques, historiques et ethnographiques d’une grande originalité et d’une grande qualité : je citerai par exemple celles consacrées aux Amérindiens, aux masques d’asie, au Vaudou et aux dogons .le tout dans un site qui ajoute encore une réelle dimension architecturale- cloître du XIIe siècle, oratoire et fontaine monumentale du XVIe siècle, maison conventuelle du XVIIIe siècle . cette ancienne abbaye abrite également un superbe jardin de plantes médicinales qui regroupe près de 250 espèces.
Œuvres de beauté (extrait du catalogue)
L'exposition « Primitifs ? » obéit au double mouvement, très senghorien, de convergence et d'ouverture : convergence des arts et des créations formelles autour de structures élémentaires de l'imaginaire mais ouverture sur l'infinie capacité des hommes à puiser dans leur patrimoine commun des formes d'art nouvelles, expressives de la façon dont la vie et le monde retentissent en nous. « Je suis fasciné de voir, a confié le sculpteur Arman, à quel point il est important d'appréhender toutes les facettes de l'art, toutes les expressions qui traduisent à la fois l'adaptation à des milieux, à des genres de vie, à des difficultés, à des visions du monde, à des cos-mogonies, qui renvoient profondément à nous-même. »
C'est dans la création artistique que l'homme se révèle et se sublime - et que les arts dits « primitifs » trouvent la place qu'eux seuls peuvent occuper : arts magiques, ils éclairent de façon unique et irremplaçable ce que Malraux appelait « la face nocturne de l'homme ».
Arts « primitifs », « sauvages », « premiers » : arts autres, arts nôtres.
Ne peut-on pas finalement voir dans ces arts sans âge, expressions tout à la fois d'une primitivité originelle et d'une modernité toujours renaissante, la vérité de l'aventure humaine qui, riche de ses dissemblances, est « convergence vers l'Universel » ?
Malgré la distance géographique, tous les passionnés d’anthropologie ne regretteront pas leur visite, étant donné la qualité des objets présentés dans une belle scénographie(tradition propre à ce centre culturel.)
Pour ma part, séduit par l’exposition, je regrette d’autant plus de ne pouvoir adhérer à l’idée directrice qui a orienté le projet, à la conception des Arts premiers qui fonde ce dernier et au contenu des textes qui constituent le catalogue.
L’ensemble mérite donc un examen critique à la lumière de l’anthropologie contemporaine que je développerai dans un autre article. On pourrait citer en vrac:
- · l'appropriation décomplexée et la métamorphose revendiquée des objets "autres" en œuvres d’art au nom de l’ universalité de l’art et du « musée imaginaire » , sans même se demander si ces notions simplement postulées ne demeurent pas un des derniers avatars de L’ethnocentrisme,
· -Evolutionnisme implicite de certains textes (dont celui de M.Onfray ) pour aboutir à restaurer malgré les dénégations, l'idée même de "primitivité " ou de structures élémentaires .
· Affirmation ,dans cette perspective ,du primitivisme (au sens de vie primordiale) permettant un rapprochement sans surprise avec la « celtitude », elle aussi censée être primitive .
· Emploi comme s’il allait de soi, dans les textes du catalogue, d’un terme aussi sujet à caution que celui de « fétiche. »(cf mes articles sur l'historique lourd de sens des prétendus fétiches.)
· Réaffirmation d’une part obscure de l’homme qu’exprimeraient justement les arts premiers..
Mais prendre d’emblée une distance critique sans permettre au lecteur de saisir à quoi elle correspond, serait contraire à toute probité intellectuelle/ c’est pourquoi je veux avant toute analyse reproduire, outre le texte ci dessus de présentation de l’exposition, des extraits significatifs du propos du commissaire à l’exposition j.r. bourrel : » .
L'exposition «Primitifs?» cherche à atteindre deux objectifs et à réaliser une ambition.
Rassembler et mettre en présence des œuvres des arts dits «primitifs» venues du monde entier autour de quelques structures élémentaires de l'imaginaire et rendre ainsi perceptibles les parentés secrètes qui les unissent, à travers l'espace et le temps - et quelles que soient les cultures -, est le premier de ces objectifs. Car ces œuvres, avant d'être devenues des objets de contemplation ou de commerce, furent d'abord des manifestations de «l'industrie humaine»: activités ou pratiques par lesquelles les hommes organisent leur vie individuelle et collective, maîtrisent leur environnement naturel, répondent aux questions que leur pose la conscience de leur destin.
C'est parce qu'elles sont d'abord des témoignages d'humanité que ces œuvres retiennent notre attention. Mais si, plus encore, « [elles] nous arrêtent et nous interrogent», pour parler comme Paul Valéry, c'est parce que, dégagées précisément de la gangue d'humanité périssable qui les a façonnées, elles ont acquis la puissance interrogative des œuvres d'art. Souvent déroutantes par leurs formes, leurs couleurs, les associations de matériaux hétéroclites dont elles sont faites ou encore par l'obscur registre de significations dont elles procèdent et qui nous sera à jamais inconnu, elles ne sortent pas pour autant de la voie tracée à travers les siècles par l'aventure humaine. Aussi une œuvre peut-elle nous paraître étrange, elle ne nous sera pas pour autant étrangère. Et si le sacré est souvent secret dans les mentalités de nombreux peuples extra-européens, si les objets
rituels et cultuels exposés dans nos musées échappent à notre ferveur, il est indéniable qu'ils appellent en nous une vénération nouvelle et, si l'on peut se permettre pareil rapprochement sémantique, une vénération laïque.
Arts «primitifs», arts «premiers» : qui ne voit aujourd'hui l'inadéquation de pareilles épithètes ? Ces arts ont quitté depuis longtemps les cabinets de curiosités d'une élite sociale cultivée et éprise $ «étranges idoles». Dans nos musées, réels et imaginaires, ils ont acquis une présence qui les rend actuels. Peut-être parce qu'ils se sont aventurés au plus loin pour porter éclairage de ce que Malraux appelle «/a face nocturne de l'homme», qu'ils ont poussé les plus lointaines incursions dans les hautes profondeurs de notre nuit. «L'homme de l'espace dont c'est le jour natal, écrivait René Char en 1959, sera un milliard de fois moins lumineux et révélera un milliard de fois moins de choses cachées que l'homme granité, reclus et recouché de Lascaux, au dur membre débourbé de la mort. »
Ce n'est pas seulement l'homme de Lascaux mais les hommes dits «primitifs» qui sont pour nous, nous le savons désormais, des «contemporains capitaux».
«Nos ancêtres, les Gaulois», enseignait l'école coloniale française, de façon absurde, aux jeunes Africains. Débarrassée de son idéologie assimilationniste, la phrase relève aujourd'hui, paradoxalement, de ce postulat universaliste qui prend acte de l'existence de cultures plurielles mais néanmoins d'un héritage unique. Aussi, en faisant entrer dans notre «Musée imaginaire» telle sculpture malagande Nouvelle-Irlande ou tel masque ejumba du Sénégal, nous autorisons-nous à revendiquer, en quelque sorte, des ancêtres madak ou diola. Parce que «le temps du mépris», dont ont si longtemps pâti les peuples et les arts dits «primitifs», est enfin révolu et que les cultures mondiales sont enfin reconnues à parité les unes avec les autres, notre «culture artistique», ouverte à l'universel, fonde aujourd'hui nos identités métisses : nous sommes autres.
Le second objectif de cette exposition est de faire percevoir que les arts «primitifs» ne sont pas «d'ailleurs» mais que nos cultures natives et identitaires sont elles-mêmes «primitives».
Où, mieux qu'en Bretagne, ce pays «non terni de poussière latine» (Maurice Barrés), peut-on faire percevoir que le primitivisme, loin d'être exotique ou exogène, est une manière d'exprimer le monde, sinon une façon de le vivre ? Qu'il n'est pas l'apanage de peuplades lointaines (et, dans l'esprit de certains, reculées) mais une forme originale d'appréhender l'au-delà des apparences, de figurer et de signifier la «sur-réalité»! Et en Bretagne, où, mieux qu'à Daoulas, retrouver cette «poésie des rapprochements» qui naît de la comparaison de cultures différentes ? N'est-ce pas ici même, en effet, que Gustave Flaubert, en 1847, la sentit «sourire en [son] esprit» lorsqu'il établit une comparaison, au demeurant assez saugrenue, entre les ex-voto de l'église du village et «ceux que mettent les musulmans dans les mosquées » ?
Découverts voici exactement un siècle par les peintres cubistes, les arts qualifiés de «primitifs», élargis à nos arts populaires dits «retardataires» (sic), ont en fait provoqué la métamorphose de nos regards. Une métamorphose majeure. Dans un texte de 1962, que nous avons repris dans ce catalogue, Emmanuel Berl fait justement remarquer que les fétiches d'Afrique et d'Océanie - rapportés en nombre dès la fin du XIXe siècle par les administrateurs, les militaires et les missionnaires européens - trouvent leurs frères sur les chapiteaux romans, puissamment expressionnistes, de l'église de Chauvigny, en Poitou, mais que, «avant les cubistes, on ne les voyait pas plus que Boileau ne voyait le portail de Notre-Dame ».
Ces œuvres dites «primitives» nous révèlent ainsi à nous-mêmes et les peuples qui les ont réalisées, que l'on a qualifiés de «peuples hors de l'histoire», nous invitent à faire retour sur la nôtre. C'est ainsi que l'évocation du monde celte, de ses modes de vie, de ses croyances et de son imaginaire, nous rend perceptibles notre propre primitivisme d'Européens mais également les secrètes parentés qui relient les Celtes aux peuples d'autres continents et d'autres époques. Tous semblent partager les mêmes capacités d'adaptation et des croyances souvent similaires dans l'existence de «l'Autre Monde». Aussi la connaissance que nous pouvons prendre des peuples « primitifs» et de leurs œuvres, en nous amenant à mieux nous comprendre nous-mêmes, réalise-t-elle le précepte de Heidegger : «II nous faut nous dépayser dans nos propres origines. »……
j.r. bourrel : « pluralité des peuples , convergence des arts » catalogue de l’exposition
Les commentaires récents