Quelle est donc cette culture qui n'a pas laissé de monuments, de sculptures ou de bibliothèques, mais qui pourtant continue de nous habiter et d'habiter la terre ?
Au cœur de l'Amérique, les Plaines s'étendent, infinies, océan herbeux selon les uns, grand désert selon les autres. Les étés y sont torrides, les hivers glacials et la végétation varie selon que l'on se trouve au nord, dans les provinces canadiennes de l'Alberta ou du Saskatchewan, ou au sud, dans les étendues arides du Texas ou de l'Oklahoma
Parler d’indiens des plaines c’est s'intéresser tout à la fois aux communautés d'agriculteurs des prairies de la partie est, et aux groupes de chasseurs des hautes plaines de la partie ouest, depuis le bassin de la Saskatchewan, dans l'Ouest du Canada, jusqu'à la vallée du Rio Grande, à la frontière des États-Unis et du Mexique.
Bien qu'elle n'ait duré que quelques générations, la période traditionnelle (approximativement de 1750 à 1890), est demeurée bien vivantev dans la mémoire collective de la plupart des peuples de la Terre. À cette époque, les Indiens des Plaines bénéficiaient de modes de vie « captivants », extrêmement attrayants pour la plupart de ceux qui entraient en contact avec eux. Les Blancs et les autres Indiens les admiraient et les copiaient. Bien sûr, les Indiens des Plaines n'étaient pas tous semblables, les différences étaient même considérables, mais leurs économies basées sur le cheval et le bison donnèrent à leurs sociétés un ensemble de traits culturels communs à la fin du XVIII et au début du XIXe siècles.
Les récits des premiers explorateurs, tous, sont traversés, soulevés par un même frisson, ce même émoi. Les étendues sans limites, les troupeaux de bisons par milliers, par millions, déferlant depuis l'horizon, et régnant sur ces splendeurs, véritables seigneurs de la Prairie, les peuples du bison et du cheval, Sioux, Crows, Cheyennes, Blackfeets, Comanches : pour longtemps, ils vont incarner, aux yeux de l'Occident, la figure du « noble sauvage », l'idéal que l'on croyait perdu depuis le «miracle grec» (ou romain) d'une alliance entre la nature et la culture - objets, du même coup, de tous les fantasmes et de toutes les nostalgies, dans le temps même que la civilisation commençait à les exterminer... Se déprendre de ce regard, de ces images, diront les Indiens engagés aujourd'hui dans la lutte pour la reconquête de leur identité ne fut pas le plus facile.
Aussi en guise d’introduction à une série d’articles je citerai le magnifique texte d’yves berger qui pose le problème(notre problème) avec lucidité
« Les Indiens encore et toujours : encore, si l'on en juge par le nombre d'ouvrages qui les évoquent, par centaines chaque année aux États-Unis, par dizaines en France (pour nous en tenir à ce pays seul) où l’on a pu voir, en outre et dans les deux décennies qui viennent de s'écouler, maintes expositions profuses et ambitieuses, révélatrices d'un art dont André Breton, Paul Eluard, les surréalistes en général, André Malraux et Claude Lévi-Strauss avaient longtemps prêché, dans le désert, la merveille. Toujours : car il est vrai que l'intérêt que nous portons, Européens, aux Indiens ne date pas d'hier. Le moi fascination viendra et reviendra et lui seul rend compte du véritable état de dépendance psychique où nous sommes (et où se trouvent beaucoup de ceux qui ne le savent pas...) à leur endroit.
« Découverts » par les Blancs à la fin du xve siècle, ils deviennent un siècle et demi plus tard une des composantes du « rêve américain ». L'Européen, qui les voit de loin vivre dans une nature grandiose et sans limite, où ils galopent, envie la liberté, d'apparence absolue, qu'ils manifestent.Il les édénise. L'Indien, depuis cinq siècles, a certes changé mais le regard de l'Européen est resté le même. Davantage : plus le monde va, aujourd'hui, son train (un train d'enfer) et plus les Peaux-Rouges nous manquent. Qu'est-ce à dire ? Le regard que nous posons sur eux est faux . Ils n'habitaient pas le paradis et, partant, ne connaissaient pas le bonheur parfait. Ils souffraient horriblement de maux dont nous ne savons plus rien, ou presque, depuis cinquante ans - et de plus loin encore. Leur espérance de vie était courte et ils ne survivaient qu'en affrontant une nature prodigue de pièges, capricieuse, paroxysmique, portée, selon les lieux, des grandes plaines du Canada au golfe du Mexique, à la glace, à la neige, au blizzard, aux tempêtes, aux vents, aux pluies diluviennes, à la canicule... Instabilité d'un « état naturel » qui influait sur les cultures, les migrations du bison... Pour ne rien dire des haines tribales et, à cause d'elles, de la mort qui courait la Prairie. Oui, certes pas le paradis. Or tout se passe comme si on ne sait trop quel élan, quel emportement, quelle anxiété en nous (on va tenter de les dire) ruinaient notre savoir et, sur leurs décombres, fabriquaient l'Eden en Amérique du Nord, d'où il découle que les Indiens vivaient, à peu près, une vie paradisiaque. Le voilà bien, le mythe : conséquence du regard faux. Etonnant : aucune autre partie du monde, ni l'Europe, ni l'Asie, ni l'Afrique, ni même fortement l'Océanie ne disputent à l'Amérique du Nord (cette seule Amérique-là, dite septentrionale, constatation qui ne manque pas d'intriguer : pourquoi le Mexique, l'Amérique du Sud sont-ils exclus ?) la place qu'elle tient en nous et que nous lui accordons en quelque sorte spontanément, comme par besoin : sans réfléchir, sans savoir (c'est-à-dire, en dépit du savoir). Certes la culture, qui fait la sensibilité, joue là un rôle capital : mais c'est reconnaître que les récits des voyageurs d'Amérique du Nord, les « Relations » des Jésuites et Cartier et Champlain et Cavelier de la Salle et Rousseau et Chateaubriand (pour ne rien dire des peintres...), l'ont emporté sur Cook, La Pérouse, Bougainville et qu'ils ont comblé le vieux besoin humain d'un monde paradisiaque en le fabriquant dans leur Amérique. Premier mystère, qu'explique sans doute, en partie, une production littéraire et artistique plus riche, plus talentueuse, plus porteuse de mythes, pourvoyeuse de plus grands échos. Reste à connaître ce qu'elle racontait. Elle racontait - où ne cessent de renchérir les nostalgiques d'une Amérique perdue - une nature comblée, somptueuse, effarante de contrastes, de diversité, avec de grands fleuves, de grands animaux, un grand ciel, de hautes herbes, des forêts. Comme le monde à sa naissance et ce monde, pour l'Europe, naît au xvr siècle - voici moins de quatre cents ans : de là que l'Européen, aujourd'hui, puisse accommoder et, de son regard faux, voir (alors qu'il ne sait pas voir le paléolithique, par exemple, trop loin dans le temps, et perdu dans l'espace). Puis cette production américaine et américanisante s'est mise à la tâche de montrer, expliquer l'autochtone, l'Indien en l'occurrence, admirablement adapté à cette nature, à cet ordre, dans la vénération, la crainte, l'espoir. Des dieux - des esprits - partout et toujours présents dans l'arbre, le poisson, le rocher et le bison, les Indiens n'attendaient rien de moins que la vie - une vie meilleure - quand nous l'attendons, nous, depuis si longtemps et de plus en plus, de la société, d'hommes politiques, d'une administration, d'un supérieur - ce qui ne porte guère à l'exaltation et, du monde, à une vibrante vision. L'histoire de la fabrication de ce regard faux, regard qui, concrètement, fabrique notre vision d'une Amérique du Nord édénique et fabrique les Indiens à proportion de notre besoin d'eux, ne repose pas, faut-il le dire, sur la seule fausseté : les livres rapportent l'existence, dans ces pays d'Amérique dont on ne dira jamais assez qu'ils fascinent par leur vastitude et leur richesse, l'existence de presque paradis, sous forme de « microparadis », dans telle partie des Etats-Unis actuels, Caroline du Sud et Mississipi, arrière-pays de la Californie et région côtière des États aujourd'hui de Washington, de l'Oregon et du Nouveau-Mexique. De presque paradis à paradis, il y a peu : quelque exagération, quelques descriptions embellies (qui seront reprises et amplifiées), quelques jugements rapides, un échauffement de l'esprit, comme un besoin, justement - et l'Occident, depuis longtemps et pour longtemps, de rêver. De plus en plus. Peu importe, à ce besoin qui fait le mythe, que les Indiens des Plaines, pour chasser le bison, dussent le suivre : obéir à ses apparents caprices. L'Européen ne retient que cette extraordinaire liberté, chez le Peau-Rouge, de lever, s'il le faut, son camp. Ficher son camp. De se déplacer. S'en aller planter ailleurs son tipi. Nécessité, chez l'Indien, à peine de mourir de faim, liberté, pour l'Européen de se mouvoir, décamper. Mettre la clef sous la porte : rêve d'Indien, si l'on peut dire, chez le Blanc. Et encore le Peau-Rouge ne possédait-il pas de clef, faut-il le préciser, objet qui incarne aussi bien la possession que la dépossession. Ainsi va, en se construisant, s'affermissant, le regard faux, toujours...
On fera une dernière remarque - assurément banale -, mais le regard faux puise là une anxieuse lucidité : la nature est menacée de mort. Au point qu'on lui aménage, comme hier à l'Indien, des réserves. A ce mot ignominieux, gros jusqu'au scandale de la misère des Indiens, on préfère celui de parc. Peu importe. Nul - qu'il soit psychologue, psychiatre - ne connaît encore le rôle que joue, dans la psyché de chacun, rétrécissement de la nature (sait-on, par exemple, que 15 % du sol anglais est déjà bétonné- les meilleures terres, comme par hasard, et que, selon le rythme actuel, il ne resterait plus un kilomètre carré de terre cultivable en Angleterre en l'an 2167 ?). Plus se répandent les gaz à effet de serre, plus se déversent les pluies acides, plus le trou de la couche d'ozone s'agrandit, plus l'atmosphère se réchauffe et plus l'Indien nous manque. L'Indien et son paradis. Faut-il s'étonner que l'Occidental, qui de la nature éprouve un besoin d'autant plus impérieux qu'il est consubstantiel à sa nature humaine, la cherche, faute de la trouver et de la sentir autour de lui et crainte de la perdre, au pays des Indiens et que, oubliant sa dureté, il l'imagine d'une essence et d'une existence édéniques, qui l'enfièvrent ? On lit dans le dictionnaire, au mot archétype, la définition suivante ; « Type primitif ou idéal ; original qui sert de modèle. » Pour illustrer ce même substantif adjectivé, le dictionnaire cite Voltaire : « Ce monde, suivant Platon, était composé d'idées archétypes qui demeuraient au fond du cerveau. » On savourera l'imprécision : primitif ou idéal. A moins que ces deux termes ne soient synonymes. Primitif ou idéal, sans doute les deux. L'Indien est, que nous en soyons conscients ou non, « au fond du cerveau » en chacun de nous. C'est un archétype, qui incarne ce qu'Alfred Métraux appelait « la nostalgie du néolithique » et à cet archétype sans cesse nous faisons référence par nos anxiétés, nos espoirs mais, à la différence des Indiens, nous avons perdu les dieux.
Yves BERGER. Les indiens des plaines préface. Ed.nuage rouge le rocher. Pour se déprendre du regard faux qui figerait les cultures dans un passé nostalgique, il est bon de ne jamais oublier qu’elles ont vu le jour dans le contact et les échanges. Nomades, elles étaient, dans la réalité matérielle ainsi que psychiquement (nous aimons tant les nomades, à condition qu’ils ne soient pas trop près de nous). On peut donc développer l'idée que les sociétés des Plaines, telles que nous les connaissons durant cette période, virent le jour à la suite de contacts approfondis (et tragiques)avec les Européens. Chevaux et armes à feu, marchandises de traite, itinéraires migratoires changeants, pandémies et événements associés aux contacts avec les Blancs amenèrent ces sociétés à évoluer d'une certaine façon, et elles parvinrent au sommet de leur influence au début du XIXe siècle. Peu après le milieu du siècle, la plupart des Indiens des Plaines vivaient tragiquement sur des réserves où ils ont failli disparaitre La période édénique fut donc éphémère. Beaucoup d'Indiens des Plaines arrivèrent tardivement dans la région. Leurs sociétés se développèrent au cours de la seconde moitié du xviii siècle, atteignirent leur apogée au début du suivant, et changèrent assez rapidement ensuite. En 1850, les Indiens des Plaines pouvaient chevaucher librement sur la plus grande partie des hautes plaines de l'Ouest. Vingt ans plus tard, ils vivaient dans la contrainte sur des réserves où, sans abandonner leur base culturelle, ils devinrent sédentaires, adoptant de nouveaux modes de vie, créant un nouveau tissu social et d'autres formes de communautés ; de nouveaux contextes ont remodelé leurs cultures. Les sociétés des Plaines étaient en perpétuel devenir. Tout en considérant les bases de leurs sociétés comme intemporelles, les Indiens s'adaptaient de façon constructive et positive à des circonstances variables. Ils n'étaient pas des victimes sans défense, ne subissaient pas passivement les changements sociaux et culturels. Alors que les éléments fondamentaux de leurs cultures étaient durables, les aspects extérieurs évoluaient de façon à suivre le rythme d'un présent perpétuellement changeant. L’environnement et c’est ce qui nous interpelle, joua donc le rôle essentiel de leur vie : D'une certaine façon, l'exploitation véritablement écologique du bison aida à la création des diverses sociétés qui caractérisent les Indiens des Plaines durant cette période. La dépendance vis-à-vis de cet animal unifia la région. Par ailleurs, les interactions avec le milieu naturel étaient complexes. Même si leur adaptation à l'environnement était au mieux difficile, ces peuples ajustaient, dans une certaine mesure, leurs méthodes de chasse, leurs cérémonies religieuses et leurs organisations sociales au déroulement des saisons, aux migrations du bison et à d'autres facteurs environnementaux tels que la nécessité de faire paître leurs chevaux. Toutefois, les Indiens des Plaines ne vivaient pas en parfaite harmonie avec un environnement qui changeait au fil du temps. De plus, des facteurs historiques comme les migrations, les maladies et le contact avec les Blancs eurent une influence importante sur la structuration des sociétés indiennes. Qui veut étudier les indiens ne peut donc faire fi de toute cette expérience. CLIQUER SUR LES IMAGES POUR LES AGRANDIR
bonjour
super site. J'ai une question à vous poser, pourriez-vous me répondre ? J'ai besoin de savoir quel peuple vivait sur le territoire de l'actuelle ville de New-York avant l'arrivée des Européens? Les Mohicans ou les Lenape ? C'est pour un roman
svp merci beaucoup
Rédigé par : DUBUS Bernadette | jeudi 25 août 2016 à 07h59
Plusieurs ethnies d'origine iroquoises sur le territoire de l'état de NY
les MOHAWK ET LES MOHICANS
Rédigé par : Yvan | samedi 27 août 2016 à 12h59