« Enfin, Pénélope prononce les paroles décisives :
Si vraiment
Il est Ulysse, de retour chez lui, assurément tous deux
Nous nous reconnaîtrons fort bien : car nous aussi
Nous avons des signes que nous connaissons seuls, ignorés des étrangers »l’odyssée
« Autant que le héros de l’Odyssée, Pénélope, compagne d'Ulysse et sœur de Schéhérazade, est bien la muse de la narration. Détissant la nuit ce qu'elle tisse le jour, elle cherche dans les profondeurs de l'obscurité de quoi délier et défaire ce que la lumière ne cesse de lier et de synthétiser. Avec ruse et ingéniosité, elle tente de gagner du temps en différant le terme final : la mort (ou, dans son cas, les épousailles forcées). Elle joue sa vie sur le fil du temps, elle sait que vaincre les puissants (ici les prétendants), quand on est impuissant (ici une femme), n'est possible qu'en différant les batailles et non en les gagnant, qu'en mettant le temps de son côté et non en le défiant de front. Le récit ne vit, ne commence et ne se poursuit que pour différer la mort. Il est une suite d'aventures, un enchaînement d'épisodes, de morts et de renaissances, de nuits et de jours, qui prend fin lorsque vie et mort cessent de s'entrelacer et de se nourrir l'une de l'autre pour constituer le no man's land d'un éternel présent. Comme le rappelle Benjamin, les contes, dans leur version « contes de fées » se terminent ainsi (c'est-à-dire ne se terminent pas) : « Et s'ils ne sont pas morts, ils vivent aujourd'hui encore ».FRANCOISE PROUST l’histoire à contretemps.cerf
Ulysse est le maitre du récit il sait raconter et séduire et il construit le récit des héros, des puissants ; mais ce récit peut être mensonger :ULYSSE est maitre en ruses et déguisements(la « metis des grecs) . Pénélope hésite a reconnaître Ulysse en haillons et pense aussi que n’importe qui peut se déguiser en roi et endosser la pourpre : l’apparence est donc trompeuse, comme le récit faux. Elle va donc réclamer des signes secrets (ce seront les traces d’une mémoire commune et le récit de la fabrication du lit conjugal que le temps a détruit): Si les yeux peuvent tromper, les "signes secrets" restent enracinés dans le sol : (les racines de l’olivier matériau du lit) stables, ni changés ni changeants. Aussi donnent-ils fondement et cohérence à l’existence, si incertaine et fluctuante, et Pénélope ne se fie qu’à eux
Pour w.benjamin, la narration est le mode d'écriture de l'expérience. (la modernité est désenchantée : « nous sommes pauvres en expériences» remplacées par l’information,les images virtuelles ou l’expérimentation scientifique). Les récits de la tradition, que ce soient les contes traditionnels ou les romans modernes, transmettent une expérience en vue d'un apprentissage. Cet apprentissage se fonde sur la présence d'un lointain (dans le temps : avenir ou passé, ou dans l'espace : ailleurs réel ou imaginaire) au cœur de l'expérience : « Ce qui reconduit au lointain du temps est l'expérience qui le remplit et l'articule» La beauté et l'aura de ces récits proviennent précisément de ce clignotement du lointain dans le présent de la lecture. Mais ce lointain est paradoxalement proche : il métamorphose et transfigure le présent grâce à l'identification du lecteur avec l'objet du récit. L'enchantement des contes (de l’histoire aussi comme de du récit anthropologique )provient de la proximité du lointain. Aussi lointain soit-il, le lointain, des contes traditionnels à tristes tropiques, est toujours proche : l'étranger y est un ami, l'étrange est toujours reconnaissable et réappropriable. Leur pouvoir magique vient de là : ils dépaysent, ils « détissent », si l'on veut, mais afin de tisser à nouveau, et toujours, un voile sur le présent.
Selon la pensée historique c de W.BENJAMIN, L’historiographie appartient ainsi sans conteste au genre narratif : c'est un récit, voire un conte. A travers ses tissages et détissages rusés, l’'histoire se donne à lire une tradition, une mémoire : celle des puissants en apparence mais aussi des impuissants , des vaincus à travers leurs traces à redécouvrir(chiffons ou déchets). Cette écriture a donc pour fin de rendre justice ; elle redonne à un événement passé la justice qui ne lui avait pas été faite lorsqu'il advint. Elle ressuscite un passé deux fois morts : mort d’avoir perdu et mort d’avoir sa mémoire perdue ». si « l’ennemi vainc, même les morts ne seront pas en sécurité et cet ennemi n’a cesse de vaincre ».L'historiographe rend justice à un événement en convoquant et en citant à comparaître le tout d'une époque et en opérant une singulière inversion. C'est la partie qui juge le tout, c'est la victime qui juge son bourreau.
La trame historique n’est donc pas un simple nœud causal : elle est de nature dialectique : des fils peuvent avoir été perdus pendant des siècles et se retrouver raccrochés brusquement par le cours de l’histoire. le passé n’est donc pas là, gisant dans la mémoire des hommes :il doit être relu réélaboré, détissé et tissé de nouveau .les faits du passé ne sont pas choses inertes ils sont en mouvement :ce qui dans le passé vient soudain nous frapper. benjamin comme plus tard ginzburg remplace le passé comme fait objectif par celui du passé comme « fait de mémoire ».
Pour Carlo ginzburg, parmi les victimes ou les vaincus figure justement la culture populaire, victime de son oralité. L’histoire est pour lui, comme pour Benjamin, l’histoire des vainqueurs. Il faut donc rendre justice aux vaincus par une inversion qui redonne la parole aux victimes (ici de l’inquisition). redonner par exemple la parole à ce meunier grand lecteur et brulé à cause de ses lectures, ou aux Benandanti, traqués par l’inquisition. Tache difficile puisque la culture populaire va se situer dans un rapport complexe et mobile à l’autre » culture, celle des dominants, des gens d'Église, des hommes de plume. Tantôt confortée par ce qu’ elle emprunte à la culture savante, (c’est le cas du meunier) transformée ou disloquée par elle, la culture paysanne ne doit pas être traités comme un ensemble fermé et figé de représentations et de pratiques dont il suffirait de dresser l'inventaire. Ce qui importe avant tout est de caractériser les relations mouvantes qui existent entre les horizons culturels d'une société une perspective à laquelle les travaux sur la culture populaire ne nous ont pas toujours habitués. D'autre part, dans les deux livres cités dans l’article précédent (le fromage et les vers, les batailles nocturnes) Ginzburg propose un traitement du matériau historique qui n'est guère dans les coutumes des historiens français. il s’agit encore de restituer l’expérience : l’histoire de vie, le récit minutieux d'existences individuelles entrecroisées, l'écoute attentive de confessions personnelles y sont, en effet, les outils privilégiés de l'analyse culturelle. Cette « micro-histoire » ne dissout jamais la singularité individuelle dans les régularités du collectif et, pourtant, vise à énoncer une vérité générale ; elle fait évidemment contraste avec l'histoire des mentalités « à la française » telle qu'elle s'est définie dans les années soixante. C'est pourquoi les livres de Ginzburg appellent à une révision de l'ensemble des catégories qui ont fondé (le plus généralement d'une manière non sue) les recherches d'histoire culturelle. Ils peuvent être maintenant entendus comme proposant une histoire moins sûre d'elle-même, plus consciente des limites de ses procédures et soucieuse de poser autrement d'autres questions.
Pour c. ginzburg, la société paysanne frioulane est mieux connue que beaucoup d'autres, du fait de l'Inquisition. Conservés dans les archives de la Curie archiépiscopale d'Udine, les procès inquisitoriaux donnent le socle de ses études, l'une attachée à un groupe, celui des Benandanti. L’autre à un homme, Domenico Scandella dit Menocchio, meunier à Montereale. Ces deux livres sont fondés sur l'utilisation d'archives judiciaires, mais elles y sont soumises à un traitement qui est radicalement différent de ce qu'il est ailleurs. Il ne s'agit pas, en effet, d'établir une statistique criminelle et objective qui pèserait les différents délits, mesurerait leur évolution et les rapporterait, le cas échéant, aux divers groupes de la société. Ginzburg refuse cette objectivation des délits parce qu'elle suppose qu'ils sont identifiables à travers des catégories claires. La mise en série des délits ne peut que manquer l’essentiel, puisque elle range dans des classes objectives et préalables ( hérésie ,sortilège, superstition, sabbat, lèse-majesté, blasphème)une culture opprimée et refoulée.
En se situant à la croisée de la démarche savante (clercs , inquisiteurs à l’époque en question mais aussi de nos jours historiens ou anthropologues ), qui impose ses schémas, ses nomenclatures, ses désignations, et de l'attitude populaire, qui leur résiste ou s'y soumet en les intériorisant g. vise plutôt la manière dont se vit et s’énonce une croyance, même si ce n’est pas dans une totale transparence.au lieu de rapporter les confessions des accusés à des système de pensée renvoyant eux-mêmes à des invariants structurels ou fonctionnels (sorcellerie ou superstition par exemple).il s’agit de se donner une chance de saisir autre chose- : l'appropriation par un groupe ou un individu qui cherche son identité, de lambeaux de croyances dispersées, de bribes de discours, pour constituer une figure originale.(une telle analyse s’appliquerait parfaitement aux cultes syncrétiques haïtiens ou brésiliens issus de la traite négrières) .la culture se retrouve donc à partir d’indices, de signes secrets.
Tel apparaît dans le fromage et les vers, le meunier Menocchio « métaphysicien et réformateur de village » Le Frioul est traversé au début du XVI* siècle par des influences externes : celle du pouvoir vénitien qui appuie les paysans frioulans contre la noblesse locale ;celle de l'Église contre-réformée qui installe en 1551 un tribunal de l'Inquisition.Par ailleurs, la société frioulane ne demeure pas à l'écart de la circulation du livre, ne serait-ce que du fait de la proximité des ateliers vénitiens, et jusque dans les petits bourgs les ouvrages imprimés pénètrent. Achetés lors d'un voyage à la ville, prêtés de I un à l'autre, ils sont parfois confisqués sur ordre du curé, mais toujours ils nourrissent les pensées et les échanges des lecteurs de village - plus nombreux sans doute qu'on ne l'a longtemps supposé,
A partir de cet entrelacs de cultures et de lectures le meunier va se construire une cosmologie personnelle dont il est fier et qui intrigue puis inquiète l’inquisition.
" J'ai dit que tout était un chaos - expliquait Menocchio à ses juges stupéfaits et sans repères - terre, eau, feu ensemble, et ce volume fit une masse, comme le fromage dans le lait et les vers y apparurent et ce furent les anges.. ». S’entrecroisent chez ce solitaire qui sait lire, (et dont l’historien reconstitue le travail de lecture ), théologies diverses, propagande réformée contre la « marchandisation » de l’Eglise, vulgarisation philosophique, rhétorique et imagerie populaire ; le Décaméron y côtoie de simples almanachs...Ginzburg montre la complexité de l’individu (un meunier est toujours un être assez marginal et le moulin un lieu de « passage » suspect à une époque et dans une province « carrefour ») qui manipule l’ensemble des croyances en interprétant ses diverses lectures à partir d’un fond de culture populaire(cultes chamaniques ?). " « Ce est pas le livre en tant que tel mais la rencontre entre la page écrite et la culture orale qui formait dans la tête de Menocchio un mélange explosif ». La première fois, il fut relâché ; au second procès, l'Inquisition le jugea dangereux. On le brûla sur le bûcher
Une telle méthode de recherche et de narration peut permettre plusieurs rapprochements. D’abord avec les fameuses pages sur le bricolage dans La Pensée sauvage de lévi strauss. (Ginsburg essaiera justement de concilier lecture de levi Strauss et méthode historique). La façon dont, avec quelques restes, quelques détritus ramassés sur le bord de mer ou ailleurs, on fabrique des objets d'art. On n'est pas loin des sculptures de Picasso, Man Ray et les surréalistes, des « collages » aussi de certains peintres. Ce « bricolage », qu'on retrouve donc dans la « pensée sauvage » ou la pensée mythique, travaillant avec des débris d'autres discours, d'autres mythes, révèle un sens d'abord dissimulé par les finalités premières de l'objet qui a fourni les restes( ou encore les procès). Ce bricolage est une traduction, une interprétation d'un système culturel dans un autre.
La pensée sauvage prend de ce fait un aspect méthodologique et heuristique. Pensée mythique, pensée populaire (ce que vaN gennep nomme le folklore), on pourrait dire qu’elle est aussi la pensée de l’historien et de l’anthropologue. Une part importante de l'ethnologie et de l’histoire pourrait bien consister à penser sauvagement des détails pour en restituer un monde, un cosmos Qu'y a-t-il de commun entre un clou et un poème chinois entre la forme particulière du clou et le poème ? demandait Leroi-Gourhan . On peut, répondait-il, envisager une sorte de bricolage qui fasse ressortir à quel point ce clou est chinois, en le reliant à toutes sortes d'autres productions de la civilisation chinoise, ou en le mettant en opposition avec un clou moldave ou saintongeais (ou marocain !). L'association qui lui donnera un sens pour nous est bien l'approche d'un cosmos, d'un monde. La pensée sauvage est ce qui fait qu'il y a un monde pour nous, commun et différent à la fois. Il est fait de fragments, de débris, qui se font signe les uns aux autres, mais dont la signification est problématique. C'est pourquoi, en ethnologie comme dans la pensée mythique,,comme en histoire c'est le détail concret qui, souvent, permet d'approcher la solution des grands problèmes et d'accéder à une image du monde. C'est par le récit qu'on suggère une théorie.
« La rognure d'ongle, boucle de cheveux ou autre fragment de la personne grâce auquel une magie pourra s'exercer.
Chez Sigmund Freud, qu'un intellectuel français des années 20 a comparé à un détective (nommément Nick Carter), dont la chasse au mystère prend pour base quelques indices infimes, le menu fait – lapsus, acte manqué... –empli d'une grande signification.
Chez Marcel Proust, qui passa presque tout son temps à tenter de neutraliser le temps, la sensation fugace qui fait resurgir un large pan de souvenirs.
Pomme de Newton, le cas précis et concret d'où l'on partira pour élaborer une théorie.
En sens inverse, la goutte d'eau qui fait déborder le vase » Leiris 1981 le ruban d’olympia
A l’image du bricoleur ethnologue on peut ajouter celles de l’enfant, du chiffonnier, du flâneur, du collectionneur ou du pêcheur de perles . Métaphores de l’historien selon w.benjamin. . Celui ci doit se revendiquer collectionneur de toutes choses et, plus précisément, collectionneur des haillons du monde. Tel sera donc l'historien, un chiffonnier. Mais aussi un enfant, dont nous savons bien que n'importe quel déchet peut lui servir à constituer une nouvelle collection. Pour l'historien résolument matérialiste qu'est Benjamin, le rebut offre non seulement le support symptômal du non su - vérité d'un temps refoulé de l'histoire -, mais encore le lieu même et la texture du « contenu des choses », du « travail sur les choses » :
« Les enfants en effet ont une propension particulière à rechercher tous les endroits où s'effectue de manière visible le travail sur les choses. ils se sentent irrésistiblement attirés par les déchets (qui proviennent de la construction, du travail ménager, ou du jardinage, de la couture ou de la menuiserie. Ils reconnaissent dans les résidus le visage que l'univers des choses leur présente à eux seuls. Ils les utilisent moins pour imiter les œuvres des adultes que pour instaurer une relation nouvelle, changeante, entre des matières de nature très différente, grâce à ce qu'ils parviennent à en faire dans leur jeu. Les enfants créent ainsi eux-mêmes leur monde de choses, petit monde dans le grand). »
Benjamin rejoint en ceci, le Warburg des survivances (Nachleben): c'est dans la matérialité elle-même : c'est dans l'impureté des rebuts, dans les jeux d'enfants ou les habitudes de langage, c'est dans les comportements anachroniques ou « hors d'âge » que se repère la « préhistoire » d'une culture. Les choses « qui ont fait leur temps » n'appartiennent pas simplement à un passé révolu, disparu : parce qu'elles « sont devenues des réceptacles inépuisables de ressouvenirs », elles sont devenues matière à survivances - l'efficace matière du temps passé.
« Ce qui le fascinait là était que l'esprit et sa manifestation matérielle fussent liés au point d'inviter à découvrir partout des correspondances ' au sens de Baudelaire, leur capacité à s'illuminer réciproquement lorsqu'on les mettait dans le rapport convenable. L'intérêt de Benjamin allait à l'affinité qu'il pouvait percevoir entre une scène dans la rue, une spéculation en bourse, un poème, une pensée ; au fil caché qui les reliait et permettait à l'historien ou au philologue de reconnaître qu'il fallait les rattacher à la même période. Fortement influencé par le Surréalisme, Benjamin tentait « de saisir la figure de l'histoire en fixant les aspects les plus inapparents de l'existence, ses déchets pour ainsi dire . Benjamin avait une passion pour les petites choses, et même pour les choses minuscules ». Hannah arendt. w.benjamin. vies politiques gallimard
Dans mythes, emblèmes et traces c.ginzburg va systématiser cette conception d'un mode de connaissance par les indices - ou paradigme indiciaire – proche du bricolage ou du chiffonnier de benjamin en reconstituant des séquences historiques à partir de fragments apparemment quelconques. La pratique de l'historien de l'art dans ses expertises, celle du psychanalyste dans sa démarche interprétative, jusqu'à celle du détective dans ses enquêtes, relèvent de ce paradigme indiciaire, qui trouverait son origine dans l'art des chasseurs du néolithique, déchiffrant la séquence de traces laissées par une bête. Dans la suite de ses travaux, les détails, les écarts, les marginaux - avec ce qui est apparemment insignifiant, secondaire - envahissent le devant de la scène, ce qui inverse la perspective de la démarche historienne traditionnelle. Tout ce bricolage va se condenser dans la polysémie du mot traces.
Le mot trace présente une étymologie et un usage intéressants… Le premier sens est l’empreinte, qu’elle soit matérielle ou morale-- Le sens figuré de l’empreinte apparaît vers 1190, avec la notion de « manière d’agir », qui deviendra « l’exemple à suivre » en 1530(donnant lieu à l’expression « marcher sur les traces de quelqu’un »).
Puis, vers 1250, apparaît le deuxième sens actuel, la marque ou, au début, l’égratignure : il s’agit là d’une extension du terme pour désigner la marque laissée par ce qui agit sur quelque chose. Cette idée de trace comme égratignure débouche, également au XIII sur la version figurée de la marque d’un événement, avec l’idée « d’impression qui reste de quelque chose », puis « ce qui subsiste du passé » vers 1538, notamment dans la mémoire (en 1679) Cette acception donnera lieu notamment à l’emploi du troisième sens de la trace, celui de« petite quantité », beaucoup plus récent (1847). Enfin, le dernier sens, celui de la ligne, apparaît dès 1439 avec la transposition de l’idée de trace dans le domaine graphique (« faire une trace pour raturer, effacer »), avant de passer au sens moderne de trait au 16 siècle, sur la lorsque «tracer quelque chose » signifie écrire, puis, au début, marquer, représenter au moyen de lignes et enfin « marquer le contour » (d’abord en broderie, puis dans divers domaines). On retrouve ici pénélope.
On a également rapproché trac et trace, puisque, selon certains chercheurs, trac viendrait de traquer, et désignait autrefois la trace ou la piste d’un animal, l’allure d’un cheval.
Pour Ginzburg, un nouveau « modèle épistémologique » en sciences humaines a donc émergé discrètement à la fin du 19ème siècle .Il désigne par là un bricolage au sens précédent, l'analogie entre trois méthodes de recherche, utilisées dans des domaines très différents à la même époque :
La critique d'art, avec les travaux de l'amateur d'art, Giovanni Morelli, sur l'attribution de tableaux à leur véritable auteur : ses travaux permettaient de distinguer un original d'une copie par l'attention aux plus petits détails (le lobe d'une oreille, les ongles, la forme des doigts, etc.) et la «méthode morellienne » est devenue célèbre en histoire de l'art
la littérature, avec les romans de Conan Doyle et la méthode de Sherlock Holmes, relevant tous les indices imperceptibles (cendres de cigarettes, empreintes, etc.) la psychanalyse avec Freud, qui, dans un essai, « Le Moïse de Michel-Ange », se réfère à Morelli et à sa méthode indiciaire et fait de l'attention aux détails triviaux l'une des sources de la psychanalyse (cf. l'exemple des lapsus). Freud dit ainsi, à propos de Morelli : « Je crois que son procédé est étroitement apparenté à la technique de la psychanalyse médicale. Celle-ci aussi est habilitée à deviner les choses secrètes et cachées à partir de traits sous-estimes ou dont on ne tient pas compte, à partir du rebut — de refuser - de l'observation.
Le point commun entre ces trois méthodes est la médecine (Freud est médecin, Morelli est diplômé de médecine et Conan Doyle a été médecin avant de devenir écrivain) et ce que Ginzburg appelle le modèle de la sémiotique médicale, cette discipline fondée sur le diagnostic indirect de maladies, difficiles à observer directement.
Pour Ginzburg, il existe une véritable convergence entre la méthode de Morelli, celle de Holmes et la méthode psychanalytique, autour de la notion de traces infinitésimales, permettant de « saisir une réalité plus profonde » : traces qui peuvent être des symptômes (chez Freud), des indices (chez Sherlock Holmes) ou des signes picturaux (chez Morelli). Et au-delà de cette convergence entre ces trois approches spécifiques, aurait émergé, à la fin du 19ème siècle, un paradigme indiciaire fondé sur la sémiotique, dont les origines sont en fait très anciennes.
De la chasse à la psychanalyse, en passant par la divination, la critique d'art ou les enquêtes policières, sans compter la médecine, la sémiotique et l'histoire :quels sont les traits de ce « paradigme indiciaire », qui apparaît comme un exemple d’un vague bricolage, tant est longue et hétérogène la liste des disciplines et des modes de connaissances qu'il concernerait.
Les « disciplines indiciaires » (selon l'expression de Ginzburg), à savoir la médecine, la jurisprudence, la philologie, mais aussi l'histoire, sont des disciplines « qualitatives », centrées sur l'étude de phénomènes, ou de documents singuliers, individuels, se prêtant mal ou peu aux quantifications. : la connaissance s’y opère par traces, par documents, et non par expérimentation ou observation directe. de nombreuses analogies sont relevées par Ginzburg entre le paradigme indiciaire et les pratiques de divination de l'Antiquité. La différence entre le déchiffrement cynégétique et le déchiffrement divinatoire se situe plutôt dans le rapport au temps : déchiffrement du passé d'un côté, du futur de l'autre. Mais le caractère conjectural du paradigme indiciaire désigne avant tout la marge irréductible d'aléatoire, d'incertitude dans le déchiffrement des traces : les méthodes indiciaires sont des méthodes probabilistes.
D'où cette comparaison faite par Ginzburg (et reprise par Ricœur) entre la connaissance médicale et la connaissance historique : « comme celle du médecin, la connaissance historique est indirecte, indiciaire et conjecturale. ». L’histoirene sera jamais une science, mais un « récit », une activité artisanale ,le tissu de pénélope.
« Nous pourrions comparer les fils qui composent cette recherche aux fils d'un tapis. Arrivés à ce point, nous voyons qu'ils constituent une trame serrée et homogène. On peut vérifier la cohérence du dessin en parcourant le tapis du regard dans différentes directions. Verticalement - et nous aurons une série du type Serendippo - Zadig - Poe - Gaboriau - Conan Doyle. Horizontalement - et nous aurons, au début du xvme siècle, un Dubos qui énumère successivement, par ordre décroissant de non-fiabilité, la médecine, la connoisseurship et l'identification des écritures. Enfin, en diagonale, en sautant d'un contexte historique à l'autre - et, derrière Monsieur Lecoq, qui parcourt « fébrilement un terrain inculte, couvert de neige, parsemé de traces de criminels, qu'il compare à une immense page blanche où les personnes que nous recherchons ont gravé non seulement leurs mouvements et leurs pas, mais aussi leurs pensées secrètes, les espoirs et les angoisses qui les agitaient » -, nous verrons se profiler les auteurs de traités de physiognomonie, les devins babyloniens occupés à lire les messages écrits par les dieux sur les pierres et dans le ciel, les chasseurs du néolithique.
« Pendant des millénaires, l'homme a été un chasseur. Au cours de ses innombrables chasses, il a appris à reconstituer les formes et les déplacements de proies invisibles à partir d'empreintes laissées dans la boue, de branches cassées, d'excréments, de touffes de poils, de plumes arrachées, d'odeurs confinées. Il a appris à sentir, à enregistrer, à interpréter et à classer des traces infinitésimales comme les filets de bave. Il a appris à effectuer des opérations mentales complexes avec une rapidité fulgurante, dans l'épaisseur d'un fourré ou dans une clairière remplie d'embûches. »
On peut ici se rapporter à mes articles sur les aborigènes australiens (empreintes et reseaux)ou sur le tissu du monde comme paradigme en cliquant sur les catégories
« Des générations entières de chasseurs ont enrichi et transmis ce patrimoine cognitif. En l'absence de témoignages oraux susceptibles d'être adjoints aux peintures rupestres et aux objets travaillés à la main, nous pouvons nous reporter aux récits des contes qui nous transmettent parfois un écho (même s'il est tardif et déformé) du savoir de ces lointains chasseurs. Trois frères (nous dit un conte oriental répandu parmi les Kirghiz, les Tatars, les Juifs, les Turcs...) rencontrent un homme qui a perdu un chameau - ou, dans d'autres variantes, un cheval. Ils le lui décrivent sans hésiter : il est blanc, borgne, porte deux outres - l'une remplie de vin, l'autre d'huile. Ils l'ont donc vu ? Non, ils ne l'ont pas vu. Ils sont alors accusés de vol et conduits devant un tribunal. Et, pour les trois frères, c'est le triomphe : en un éclair ils démontrent comment, à l'aide d'indices minimes, ils ont réussi à reconstituer l'aspect d'un anima qu'ils n'avaient jamais eu sous les yeux. »
(la même approche se retrouve dans un épisode dunom de la rose d’Umberto ECCO, cette fois à propos des traces d’un cheval ; à l’encontre d’un savoir dogmatique et fermé,le protagoniste, frère guillaume est d’abord un grand déchiffreur d’indices matériels en même temps qu’un grand lecteur et découvreur de labyrinthes )
« Les trois frères sont évidemment dépositaires d'un savoir de type cynégétique (bien qu'ils ne soient pas décrits comme des chasseurs). Ce savoir se caractérise par la capacité à remonter, à partir de don nées expérimentales apparemment négligeables, jusqu'à une réalité complexe qui n'est pas directement expérimentale. On peut ajouter que ces données sont toujours présentées par l'observateur de façon à donner lieu à une séquence narrative dont la formulation la plus simple pourrait être : « Quelqu'un es passé par là. » II se peut que l'idée même de narration (différente de l'incantation, de la conjuration ou de l'invocation) ait vu le jour dans une société de chasseurs, à partir de l'expérience du déchiffrement des traces. Le fait que les figures de rhétorique sur lesquelles s'appuie, aujourd'hui encore, le langage du déchiffrement cynégétique - la partie pour le tout, l'effet pour la cause - puissent être ramenées ai patrimoine prosaïque de la métonymie, avec l'exclusion rigoureuse de la métaphore renforcerait cette hypothèse - évidemment indémontrable. Le chasseur aurait été le premier à « raconter une histoire > parce qui lui seul était en mesure de lire une série d'événements cohérente dans les traces muettes (sinon imperceptibles) laissées par les proies.
Bien que la physique moderne ne puisse se définir comme étant galiléenne (sans pour autant renier Galilée), l'importance épistémologique (et symbolique) de Galilée pour la science en général est demeurée intacte. Il est cependant évident que le groupe de disciplines que nous avons qualifiées d'indicielles (médecine comprise)ne rentre absolument pas dans les critères de scientifîcité qui découlent du paradigme galiléen. Il s'agit en effet de disciplines éminemment qualitatives qui ont pour objet des cas, des situations et des éléments individuels, considérés en tant que tels, et qui, pour cette raison, aboutissent à des résultats qui comportent une marge d'incertitude irréductible . L'orientation quantitative et anthropocentrique imprimée aux sciences de la nature à partir de Galilée a enfermé les sciences humaines dans un fâcheux dilemme : soit adopter un statut scientifique faible pour aboutir à des résultats importants, soit adopter un statut scientifique fort pour aboutir à des résultats de peu d'importance. Au cours de ce siècle, seule la linguistique a réussi à se soustraire à ce dilemme, s'érigeant ainsi comme modèle, plus ou moins atteint, y compris par d'autres disciplines.
On peut cependant se demander si ce type de rigueur n'est pas seulement impossible à atteindre, mais aussi indésirable pour les formes de savoir plus particulièrement liées à l'expérience quotidienne - ou, plus précisément, à toutes les situations où l'unicité et le caractère irremplaçable des données sont décisifs aux yeux des personnes impliquées. On a dit que l'état amoureux est la surévaluation des différences marginales qui existent entre une femme et une autre (ou entre un homme et un autre). Mais cela peut être également étendu aux œuvres d'art ou aux chevaux. Dans de semblables situations, la rigueur du paradigme de l'indice paraît impossible à éliminer.Il s'agit de formes de savoir fondamentalement muettes - au sens où, comme nous l'avons déjà dit, leurs règles ne sont pas susceptibles d'être axiomatisées ni même énoncées. On n'apprend pas le métier du connaisseur ou du diagnostiqueur en se bornant à mettre en pratique des règles préexistantes. Dans ce type de connaissance entrent en jeu (comme on dit habituellement) des éléments impondérables : l'odorat, le coup d'œil, l'intuition ». CARLO GINZBURG .TRACES.
Tel est le travail qu’accomplit c.ginzburg dans les batailles nocturnes. Les accusés de procès d’inquisition se nomment eux mêmes Benandanti (c'est-à-dire * ceux qui parlent pour le bien ») et partagent des croyances en rien réductibles à ce qu'enseigne la démonologie savante. Au fur et à mesure des confessions, que l’auteur nous donne à lire, se précise l'image de la secte : elle regroupe ceux qui sont nés « coiffés » (la tête recouverte par la membrane fœtale) et, sous la conduite d'un capitaine, elle livre bataille aux Quatre Temps ((les trois jours de jeûne prescrits par l'Église à chacune des saisons) contre les sorciers et sorcières. De l'issue de ces combats où chaque armée combat avec ses propres armes (branches de fenouil pour les Benandanti, tiges de sorgho pour les sorciers), dépend d'abord le sort des récoltes : si les Benandanti l'emportent, la terre sera fertile et l'année abondante, sinon viendra la disette- Mais ce combat est aussi un combat pour la foi du Christ contre les maléfices des sorciers, un combat auquel les Benandanti se rendent « en esprit ». Leur âme ou leur esprit sort en effet de leur corps inanimé pour aller batailler et le réintègre à son gré, sauf si le corps endormi a été retourné- ce qui entraîne la séparation définitive des deux éléments qui composent la personne humaine. Les femmes aussi vivent de tels départs « en esprit * aux Quatre Temps, non pas pour aller combattre les sorciers, mais pour - voir * les morts en leurs processions
Devant un tel ensemble de croyances l'incompréhension des juges de l'Église est totale. D'une part, ils n'y retrouvent rien des schémas auxquels les démonologues les ont habitués : ni les Benandanti ni leurs adversaires ne profanent les sacrements et le diable ne tient point de rôle dans leurs de la nuit. Aucun des traits du classique sabbat tels que l’inquisition les a répertoriés D'autre part, celle-ci ne comprend pas ce que signifie les voyages « en esprit » des hommes et des femmes de la secte, Pour le juge, la personne est une et sa dissociation temporaire impensable; les luttes décrites sont soit une fable soit une lutte réelle, mais en aucun cas une « réalité en esprit » qui ne serait ni l’une ni l'autre. Qu'est-ce que la personne? Qu'est-ce que la réalité? À ces questions» accuses et inquisiteurs donnent des réponses contradictoires, sans peut-être toujours mesurer en quoi elles le sont puisqu'ils usent des mêmes mots. C'est sur la base de ces incompréhensions radicales que se bâtit leur étonnant dialogue er que se noue la rencontre ambiguë entre deux cultures.
Ginzburg va tenter de comprendre l'ensemble des croyantes énoncées par les Benandanti en
suivant les seules traces dont on dispose à travers les procès d’inquisition où le langage des inquisiteurs est pourtant dominant et finit par s’imposer aux accusés qui avoueront participer au sabbat. ..dans les divers procès se mêlent le combat pour la fertilité menés par des hommes et l’évocation féminine de voyage en esprit et de faculté de « voir les morts qu’avoue une certaine anna la rouge. « l’hérésie est donc un mixte de rituel agraires masculins et rituels funèbres , deux branches n'ont pas le même statut : les processions des morts auxquelles se rendent les femmes sont une croyance largement attestée dans toute l'Europe germanique, mais elle ne tient qu'une place secondaire en Frioul ; à l'inverse, le motif des batailles qui se rencontre rarement.(Ginzburg cite seulement un procès lituanien de « loup garou » de la fin du XVIIe siècle dans lequel contrairement aux préjugés, l’accusé affirme combattre pour les récoltes) constitue l'élément central des confessions Toutefois» les deux croyances coexistent et lient Benandanti agraires ou funèbres, hommes et femmes. Pourquoi ? Pour répondre à l'interrogation, Ginzburg met en place toute une série de correspondances entre les deux rituels : tous deux sont vécus « en esprit » par ceux et celles que le fait d'être nés « coiffés * autorise à « sortir » ; tous deux assurent un lien avec le monde des morts et des âmes errantes, dont les sorciers sont une des figures possibles. A travers ces correspondances, l’auteur pose l’hypotèse de l’expression dissociée d'un « culte agraire » pré- ou a-chrétien, façonné sur le modèle des cultes chamaniques.
L'analyse des documents fait apparaître une multiplicité d'attitudes individuelles. A trop y insister, nous risquions de tomber dans un excès de pittoresque, mais nous avons préféré courir ce risque plutôt que d'abuser de termes vagues et génériques comme ceux de « mentalité » ou de « psychologie collective ». Ces témoignages frioulans présentent, en fait, un continuel entrelacement de tendances appartenant à la longue durée et de réactions purement individuelles, voire inconscientes. Attitudes singulières dont l'histoire, en apparence, semble impossible à écrire et sans lesquelles, en réalité, l'histoire des « mentalités collectives » n'est plus qu'une succession de tendances et d'orientations aussi abstraites que désincarnées.
Or notre recherche démontre avec certitude, en cette région du Frioul où se rencontrent des traditions germaniques et slaves, l'existence à une date relativement récente (vers 1570) d'un rituel de fertilité dont les porteurs - les benandanti - se présentent comme les protecteurs des récoltes et de la fertilité des champs. Cette croyance se rattache à un ensemble plus ample de traditions, liées à leur tour au mythe des assemblées nocturnes présidées par des divinités féminines comme Perchta, Holda, Diane, qui s'étend de l'Alsace à la Hesse, à la Bavière et à la Suisse. Cette croyance se retrouve, presque identique, en Lituanie. Face à une telle dissémination géographique, il est permis de supposer que ces traditions étaient jadis répandues dans une grande partie de l'Europe centrale. En l'espace d'un siècle, les benandanti deviennent, nous le verrons, des sorciers, et leurs assemblées nocturnes destinées à procurer la fertilité se transforment en Sabbat diabolique, accompagné de tempêtes et de destructions. Pour le Frioul, nous avons la certitude que la diffusion de la sorcellerie diabolique s'opéra par déformation d'un rituel agraire antérieur.
Si ces problèmes d'origine sont inévitablement insolubles et en définitive abstraits, le sens au contraire des rituels des benandanti est très clair, ainsi que le lien profond qui unit leurs deux faces, celle « agraire » et celle « funèbre ». Il ne s'agit pas seulement de l'identité du nom ni de la présence commune d'extases durant les Quatre Temps. Comme les assemblées des sorciers, les processions des morts ne peuvent être rejointes par les benandanti qu'« en esprit », c'est-à-dire en abandonnant le corps inanimé, plongé dans une léthargie profonde. Dans les deux cas, ce départ en « esprit », nous l'avons déjà souligné à maintes reprises, est une sorte de mort : mort fictive, perçue toutefois par les benandanti comme un événement dangereux, qui pourrait conduire à la mort réelle, si l'esprit ne revenait pas à temps des assemblées nocturnes pour reprendre possession du corps abandonné. Provoquée par l'usage d'onguents soporifiques ou par des catalepsies de nature inconnue, la léthargie est donc recherchée comme un moyen adapté, permettant d'atteindre le monde, mystérieux et habituellement hors de portée, des morts et des esprits qui errent sans repos sur la terre. Ceux-ci, dans la version« agraire » du rituel, conservent les traits effrayants de l'antique « chasse sauvage » ; dans la version « funèbre », ils ont revêtu l'aspect plus composite et plus conforme à la tradition chrétienne de la procession décrite pour la première fois par Orderic Vital. Nous voyons alors l'identité profonde entre les morts errants et les sorciers contre lesquels les benandanti combattent la nuit. Les clercs errants, décrits par Crusius dans sa chronique, affirmaient que les âmes des « extatiques », qui n'avaient pas réintégré leur propre corps, participaient à la « chasse sauvage » des morts tourmentés. Pour Gasparutto,
Cette identité entre sorciers et morts errants est une identité sui generis : il ne s'agit pas, bien sûr, de transformer de façon rigide cet univers de croyances populaires tellement fluide, contradictoire et composite en une série de rapports rationnels, clairs et distincts. On peut facilement objecter que sorcières et sorciers, outre leur participation en « esprit » aux assemblées nocturnes, à la manière des benandanti, vivent leur vie quotidienne, sont en somme, des hommes et des femmes en chair et en os, et non des âmes errantes. Mais l'existence d'une dualité irréductible de plans est caractéristique de cette mythologie populaire : Plutôt qu'une identité pure et simple, il s'agit de la participation commune à une sphère mythologique originairement indifférenciée qui tour à tour se précise, éclate en plusieurs facettes,
Carlo ginzburg les batailles nocturnes
NB.la chasse sauvage est connue dans tout l’occident. Il en existe des chemins en Alsace(Grimlingweg). On se la représente sous la forme d’une armée de morts, ou un cortège de revenants, à la tête de laquelle se trouvent différents personnages mythiques comme Hellequin, Odin, Charlemagne ou Arthur. Cette troupe de guerriers célestes et nocturnes fait partie de la plus vieille mythologie européenne. On a fait de ces chasseurs imaginaires des revenants qui traversent le ciel certaines nuits en hurlant au son d’étranges musiques, et malheur à celui qui les croise !!!
A SUIVRE
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