«II se peut que vous ayez entendu parler de nous. Cependant, vous ne savez pas vraiment qui nous sommes. Ce n'est pas une bonne chose. Vous ne connaissez pas notre forêt et nos maisons. Vous ne comprenez pas nos paroles. Ainsi, il se peut que nous finissions par mourir à votre insu. C'est pourquoi, si nous restons dans votre oubli comme des tortues cachées sur le sol de la forêt, je pense que nous ferons peine.
Les Blancs, autour de notre terre, sont hostiles. Ils ne savent rien de nous et ne demandent jamais comment vivaient nos anciens. Ils ne pensent qu'à occuper notre forêt avec leur bétail et à détruire nos rivières pour y chercher de l'or. Seuls les gens de loin veulent nous connaître et nous défendre. Leurs paroles sont fortes et nous viennent en aide. Grâce à elles, les gens de près, qui ne cessent de parler contre nous, renonceront à envahir la forêt. » davi kopenawa.chaman yanomami
L'Amazone coule, coule, elle emporte tout sur son passage, brasse, mélange, engloutit, féconde et fait renaître. Les pluies sont ses alliées tropicales, son peuple une faune et une flore d'une incroyable diversité et ça et là des hommes, les Indiens, qui résistent encore au bulldozer de la « civilisation ». L'Amazonie paraît forte, robuste mais il ne faut pas s'y méprendre, les géants ont souvent des pieds d'argile et ici l'équilibre est précaire; l'Amazonie n'a pas d'humus ou si peu qu'à trop vouloir la gratter on risque de l'épuiser demain matin. Pourtant il faut compter avec la fièvre des hommes, cette fièvre a commencé avec un goût de vanille dans la bouche qui s'est vite transformé en un désir de femmes inatteignables, les Amazones, pour laisser place au goût de l'or. Puis le rêve s’est brisé….
"L'Amazonie des ethnologues n'est pas forcément celle des géographes : réalité plus culturelle qu'écologique, difficile à délimiter et à définir avec précision, elle renvoie pourtant à un ensemble de sociétés et à une tradition intellectuelle clairement repérables. Dans son extension maximale, elle permet de désigner sans périphrase une vaste région dont les frontières dépassent largement le bassin de l'Amazone ou même la forêt équatoriale, pour englober les Guyanes, l'Orénoque, les llanos de la Colombie et du Venezuela, le Mato Grosso du bouclier brésilien et même les terres basses humides de la côte pacifique. Partageant grosso modo une même culture matérielle, les habitants de ce continent ethnographique présentent surtout d'évidents traits communs dans leur organisation sociale, leurs modes de représentation de l'identité collective et dans les systèmes rituels qu'ils mettent en œuvre pour en assurer la reproduction symbolique. Disséminés sur des étendues gigantesques, les Indiens pèsent certes assez peu dans la balance démographique — à peine 5% des vingt millions d'habitants que compte aujourd'hui l'Amazonie stricto sensu — mais cela ne les empêche pas de témoigner encore d'une vitalité obstinée aussi bien dans le maintien des usages de la tradition que dans l'innovation sociale et idéologique face au défi de la coexistence avec les Blancs. Au demeurant, la diversité des sociétés compense largement leurs faibles effectifs : près de 400 langues indigènes sont encore parlées, avec de nombreuses variantes dialectales, et il ne se passe pas d'année sans qu'on découvre l'existence d'un groupe isolé…" philippe descola. la remontée de l’amazone.l’homme.
les Yanomamis représentant un des peuples indigènes parmi les plus nombreux des forêts d’Amérique du Sud, à la fois au Brésil et au Venezuela. La démarcation des terres a été définitivement homologuée en 1992, au Brésil. Elles s’étendent sur 96 650 km carrés, et sont considérées comme une région prioritaire en matière de protection de la biodiversité amazonienne. Le nom Yanomami a été crée par les anthropologues qui ont travaillé avec ce groupe au Venezuela.
Dans la langue Yanomami occidentale yanomami tëpë signifie « êtres humains ». Cette catégorie s’oppose à yaropë qui désigne le gibier et à yai thepë : ce qui est non humain (esprits chamaniques, les entités maléfiques et aux revenants). Elle s’oppose dans un autre contexte à napëpë, qui se rapporte aux étrangers et aux ennemis.
Au nombre de 21 000, ils occupent un territoire qui s'étend de part et d'autre de la frontière du Venezuela et du Brésil. Ils vivent en maisons communes (shabano) regroupant en moyenne cinquante à soixante personnes. Une maison se compose d'une suite d'auvents ordonnés autour d'une place centrale circulaire et abritant successivement un ou plusieurs segments de parents.
Chaque famille conjugale possède dans la partie couverte, périphérique, son propre foyer autour duquel ses membres dorment dans des hamacs.
Après quelques années, quand la charpente commence à pourrir, que le gibier commence à manquer sur le territoire et que les jardins s'épuisent ou sont envahis par les mauvaises herbes, le village déménage.
Les anciens Yanomami auraient commencé à occuper l'espace compris entre le haut Orénoque et le haut Parima il y a environ un millénaire. Là, se serait initié, il y a près de sept cents ans, le processus de différenciation interne ayant mené à l'existence actuelle de quatre langues mutuellement intelligibles et dotées de nombreux dialectes. Dans la mesure où cette ethnie est génétiquement, anthropologiquement et linguistiquement distincte des groupes voisins il est probable qu'elle a dû demeurer relativement isolée de la plupart d'entre eux pendant plusieurs siècles
Selon la tradition orale yanomami, et en accord avec les documents les plus anciens qui les mentionnent ,le centre historique du territoire yanomami se situe dans la serra Parima, dont le flanc sud-ouest est drainé par l'Orénoque et ses affluents, alors que le flanc nord-est est drainé par des affluents du rio Branco
La configuration actuelle du territoire yanomami est le résultat d'un processus à long terme d'expansion démographique, de fission des groupes locaux et de dissémination géographique, qui n'a été entravé que par l'établissement clans la région des premiers postes du Service de protection des Indiens (années 1940) et, surtout, des missions religieuses (années I960).
La publicité donnée à la fin des années 1970 au potentiel minier du territoire yanomami y déclenchera, au cours des années 1980, un mouvement progressif d'invasion d'orpailleurs qui finira par prendre la forme, en 1987, d'une véritable ruée vers l'or. Durant cette période, les relations avec les prospecteurs clandestins devinrent la forme dominante de contact des Yanomami avec la société «blanche»: le nombre des orpailleurs établis sur leurs terres, dans l'État de Roraima, représentait environ cinq fois leur propre population. Cette invasion massive eut un impact épidémiologique et écologique dramatique, bien supérieur à celui des projets routiers et agricoles des années 1970. Les épidémies de paludisme et d'infections respiratoires causèrent la disparition d'environ 13 % de la population yanomami du Brésil. La destruction et la pollution à grande échelle du lit des rivières entraînèrent des dommages considérables pour le milieu naturel exploité par les Indiens.
À partir de 1990, la marée des orpailleur: yanomami a été peu à peu endiguée par des actions réitérées d'expulsion, menées par la police fédérale brésilienne. Cependant des petits groupes de prospecteurs clandestins ont commencé à revenir sur les lieux et à reprendre leurs «réinvasions», bien que limitées, ces invasions continuent à amener aux Yanomami maladies et violence : l’épisode plus tristement célèbre fut le massacre de 12 enfants, femmes et vieillards - par des garimpeiros en 1993 à Haximu.
Au-delà de l'intérêt persistant des orpailleurs pour la région centrale du territoire Yanomami, il est à craindre que d'autres activités économiques déjà existantes ou potentielles (colonisation agricole, élevage, exploitation forestière, mines industrielles) constituent, dans un futur proche, de sérieuses menaces pour la préservation de cette région, malgré la reconnaissance légale de son usage exclusif par les Indiens en 1992.
Grâce à une longue campagne internationale, leur territoire fut enfin cadastré.le « Parc » yanomami créé et les orpailleurs expulsés. Mais le Brésil refuse toujours de leur reconnaître la propriété de leurs terres, malgré le droit international dont ce pays est signataire. Dans la classe dirigeante brésilienne, nombreux sont ceux qui voudraient réduire le territoire yanomami et l'ouvrir aux chercheurs d'or et à la colonisation. L'armée veut aussi maintenir sa présence dans la région (plusieurs bases militaires). . En outre, les projets de colonisation agricole implantés autour du territoire yanomami depuis 1978 par les instituts fonciers locaux et fédéraux - ont ouvert un front de peuplement et de défrichement qui a maintenant atteint la frontière des terres indiennes. Outre leur usage prédateur des ressources naturelles dans les terres indiennes limitrophes, ces établissements, qui recourent au brûlis à très grande échelle dans une région aux saisons sèches de plus en plus prononcées, provoquent régulièrement des incendies gigantesques, qui affectent directement et durablement la biodiversité locale (incendies de Roraima en 1998 et 2003).
Les Yanomami représentent un groupe relativement à part parmi les sociétés des basses terres d'Amérique du Sud, y compris celles de l'aire guyanaise dont ils seraient proches. L'organisation « fluide » de ces sociétés contraste avec celle des Gê et des Bororo du Brésil central où une rigide structure dualiste, spatiale et rituelle, s'inscrit dans l'ordre cosmique et avec celle des sociétés tukano de l'Amazonie du nord-ouest où l'organisation spatiale, reproduisant les segments de l'anaconda ancestral, distingue des ensembles patrilinéaires hiérarchisés . On peut identifier chez les Yanomami des aires territoriales regroupant un certain nombre de communautés (maisons) reliées entre elles. La plupart de ces maisons sont issues, par fissions successives, d'un même groupe local ou, plus souvent, d'un même groupe de voisinage. En effet, si chaque communauté constitue une entité politique et économique distincte de celles qui l'environnent et si ces maisons communes peuvent vivre isolément, elles sont aussi regroupées spatialement, formant un groupe de voisinage soudé par un dense réseau d'alliances matrimoniales, économiques, cérémonielles et politiques.
Chaque groupe local yanomami se considère comme un ensemble de parents («nous véritables») constituant une communauté économique et politique autonome ( «nous co-résidents»). Ses membres préfèrent se marier au sein du groupe, avec un cousin ou une cousine croisé(e), (le fils ou la fille d'un oncle maternel ou d'une tante paternelle). Ce type de mariage, courant dans les sociétés amérindiennes d’Amazonie, est reproduit entre familles au sein de la même génération et de génération en génération, transformant ainsi chaque communauté yanomami en un dense entrelacement de relations de consanguinité et d'affinité de plus en plus indissociables.
La société yanomami apparaît constituée d'une série emboîtée d'« unités socio-spatiales » qui entretiennent entre elles des relations allant de l'alliance à l'hostilité. Les rapports entre individus et entre communautés sont gouvernés par des échanges tant positifs que négatifs. L'alliance, au sein des communautés s'établit et se maintient, à divers degrés, grâce aux échanges de conjoints, visites, discours, nourriture, biens, services cérémoniels, et de soutiens guerriers ou économiques. L'inimitié, le conflit ou l'hostilité, s'inscrivent dans une hiérarchie de combats et d'agressions — ostensibles ou dissimulées, qui engendrent et maintiennent l’éloignement entre groupes opposés
l’ipséité et altérité sont ainsi déterminées par ces catégories de parenté, de résidence et d'alliance ou d'hostilité qui, constamment recomposées entre elles, particularisent les relations tant individuelles que communautaires entretenues avec les autres. Le rayon de l'univers connu par les Yanomami, dans le contexte traditionnel des relations nouées avec les communautés situées à leur entour, n'excède pas cinq à six journées de marche et celui de leur sphère d'interaction — réelle ou symbolique — dans certaines directions est encore plus réduit . Entre co-résidents, voisins et communautés « amies », l'agression mortelle, manifeste ou par sorcellerie, est en principe exclue, ce qui n'empêche pas l'émergence de conflits qui provoquent fissions et séparations au sein d'une maison, déclin des relations et éloignement de communautés dès lors trop voisines.
Se déclarent « ennemies » toutes les communautés qui sont ou ont été en guerre et celles qui pratiquent entre elles la sorcellerie. Elles sont généralement distantes ou doivent s'éloigner suffisamment jusqu'au moment où les marques d'hostilité s'atténuent ; s'établit alors un certain évitement, délibérément recherché par les intéressés. Avec le temps, lorsque les visites sont redevenues possibles, une paix relative peut être instaurée, favorable à de nouvelles alliances si le besoin s'en fait sentir, en période d'hostilité intense contre de nouveaux ennemis par exemple.
Au-delà du cercle des alliés et de celui des ennemis, ce sont les «gens inconnus», ennemis potentiels (ou anciens) qui peuvent, de très loin, donner la mort en envoyant des esprits chamaniques agressifs dévorer les enfants ou en abattant les doubles animaux des habitants de la communaute .En marge de ces formes d'altérité traditionnelles se rangent enfin les Blancs «autres paradoxaux», puisqu'il s'agit d'ennemis potentiels proches, dont on redoute plus que tout les épidémies associées aux fumées produites par leurs «machines» ( moteurs d'avions et d'hélicoptères, pompes des sites d'orpaillages -)
On a fait des yanomami un peuple avide de guerre et de violence. mais si les anthropologues (catherine ales .yanomami. l’ire et le désir) leur reconnaissent un « ethos agressif et guerrier », et n’en font pas de « doux sauvages », cet ethos n’est en rien orienté vers la mort .la vengeance, très codifiée, est en fait tout orientée vers le maintien des relations avec les offenseurs, et conjure même le massacre. À l’instar des combats les pratiques vindicatoires « permettent au contraire de régler un différend tout en gardant ou sauvegardant des relations d’alliance et d’amitié » Mais pourquoi aller jusqu’à faire couler le sang ? Parce que le sang, c’est la vie. Comme chez les achuars (jivaros), la clef de l’énigme du sang qui coule et qui fait passer les êtres humains pour des êtres violents est dans leur mythologie : le sang des héros vengeurs des Yanomami est à la source de toute vie. C’est pourquoi ils s’obligent eux-mêmes à faire couler le sang, dans le respect de l’étiquette et la limite des codes « Si les Yanomami] ne tuaient pas d’humains, il n’y aurait pas beaucoup de sang, rapporte un informateur. Les arbres seraient sans fruits, les humains sans descendants, le gibier sans petits. La sécheresse s’emparerait de la forêt, le sang viendrait à disparaître ».
Les Yanomami forment une société de chasseurs-cueilleurs et horticulteurs pratiquant la culture itinérante sur brûlis.
Environ 70 à 75 % des protéines nécessaires à l'alimentation du village yanomami proviennent de la pêche, de la cueillette et surtout, de la chasse, activités qui contribuent à entretenir une alimentation très diversifiée et équilibrée.
La pêche pratiquée à la ligne ou à la nivree(utilisation de poisons végétaux)concerne plus de 100 espèces différentes de poissons. La collecte des plantes ou animaux comestibles recoupe quelque 130 espèces végétales .a travers ces activités de collecte, c'est une connaissance très fine de la forêt amazonienne et de sa diversité qui est encore largement inconnue de la science occidentale.
La chasse fournit à elle seule environ 55 % de l'apport nutritif . Elle est pratiquée par les hommes à partir de l'adolescence, et ce jusqu'à la cinquantaine. C'est une activité hautement valorisée et qui constitue une source de prestige personnel. Les armes de chasse habituelles sont l'arc et les flèches avec une certaine pénétration des fusils, souvent obtenus, clans un passé récent, auprès des chercheurs d'or. Le gibier est habituellement pisté mais des appeaux (ou de simples imitations) sont aussi fréquemment utilisés pour l'attirer.
Imprévisible et complexe, la chasse nécessite un très grand investissement en temps, supérieur à toutes les autres activités productives, y compris l'agriculture: plus de 60% du temps des hommes y est consacré. Elle requiert également l'utilisation de vastes zones forestières (en moyenne 10 kms par personne à nourrir, soit environ 500 à 650 kms pour une communauté) .En outre, ces territoires doivent être renouvelés au bout de quelques années, dans la mesure où le gibier décroit, rapidement autour des villages.
La chasse est ainsi le centre de gravité du système productif (et du savoir chamanique) yanomami. Coûteuse en temps et en espace, elle apporte plus de la moitié des protéines nécessaires au maintien de l'équilibre alimentaire du groupe. Toute perturbation de son activité, qu'elle soit élue à l'invalidité des chasseurs (épidémies) ou à la perturbation de l'habitat du gibier (invasions, déforestations), a donc un impact négatif direct sur la vie des communautés car elle y déclenche automatiquement une malnutrition.
Les Yanomami pratiquent une agriculture sur brûlis itinérante qui fournit plus de 75 % des calories nécessaires. La productivité de cette activité, essentiellement masculine, est haute, Chaque demi-hectare de bananes produit ainsi l'apport calorique nécessaire à sept personnes tout au long de deux années de production. Cependant, cette agriculture produit peu de protéines. La combinaison de cette agriculture avec la chasse, la pêche et la cueillette est donc indispensable à l'équilibre alimentaire du groupe.
Les jardins yanomami comptent environ une centaine de variétés de 40 espèces végétales. Les bananes et les tubercules comestibles (en particulier le manioc non toxique ou «doux») occupent la plus grande partie de leur espace. Suivent la canne à sucre, les palmiers ,le maïs, les papayes, les ignames, le taro et les patates douces, le piment, le tabac, le coton, le rocou, les cannes à flèches, les calebasses, les poisons de pêche, les plantes médicinales, les plantes magiques propitiatoires (magie amoureuse, magie de chasse, croissance des enfants, etc.) et les plantes de sorcellerie.
La période de plantation a habituellement lieu au début de la saison des pluies sur les zones qui ont été déboisées et brûlées lors de la saison sèche. Les jardins typiques couvrent en général environ un hectare. La plupart des cultigènes (bananiers, manioc, etc.) sont bouturés (plantation de rejets). Très peu d'entre eux sont semés (coton, tabac, maïs ou papayers). L'outillage utilisé se compose de haches et de machettes métalliques, ainsi que de bâtons à fouir en bois de palmier. Les cendres du brûlis jouent le rôle d'engrais, alors que le feu a permis de détruire les les parasites.
Chaque communauté ouvre chaque année 3 à 6 ha de nouvelles cultures, qui serviront pendant environ trois ans avant d'être abandonnées à la régénération naturelle. Ces aires cultivées sont généralement formées de jardins familiaux juxtaposés. Tous les cinq ans, à peu près, un nouveau site est ouvert, en principe dans un rayon d'une dizaine de kilomètres, nécessitant une migration conjointe de la communauté qui y établit une nouvelle résidence.
Bien que basée sur le défrichement et le brûlis, l'agriculture yanomami ne produit pas d'effet à long terme sur l'environnement, car ses jardins sont de petite taille et très espacés. Ainsi, les sols n'y sont pas mis à nu sur de grandes surfaces, et l'on observe peu d'érosion. La régénération de la forêt y est rapide, les semences des arbres environnants trouvant là des conditions idéales pour se développer - à tel point que deux ans après son ouverture un jardin se voit déjà passablement envahi par la végétation secondaire. Des études récentes dans d'autres régions de l'Amazonie suggèrent même que les anciens jardins indigènes constituent des foyers importants de biodiversité.
L'espace forestier utilisé par les Yanomami peut être décrit schématiquement sous la forme d'un ensemble de cercles concentriques entourant le village, chaque cercle délimitant une zone avec des types et des intensités d'exploitation différents.
Le premier cercle, dans un rayon d'environ 5 km du village, circonscrit le domaine d'usage courant de la communauté, exploité pour la collecte quotidienne féminine et, durant la saison sèche, pour la pêche collective à la nivrée mais aussi la pêche individuelle (plutôt masculine), pour la chasse occasionnelle (à l'aube ou à la tombée du soir) et les activités agricoles. Le second cercle, dans un rayon de 5 à 10 km, est utilisé pour la chasse quotidienne, généralement solitaire et les activités de collecte familiale. Le troisième cercle, dans un rayon de 10 à 20 km, est parcouru lors des expéditions de chasse collective d'une à deux semaines qui précèdent les cérémonies funéraires de crémation ou les fêtes intercommunautaires. Il est également le lieu des expéditions plurifamiliales de chasse et de collecte de longue durée - de trois à six semaines réalisées durant la période de maturation des nouveaux jardins. Ces expéditions sont en général lancées vers des sites riches en colonies d'arbres fruitiers et en gibier.
Les Yanomami passaient autrefois entre un tiers et la moitié de l'année dans des campements forestiers loin de leur habitation collective. Cette proportion a rapidement diminué à mesure de leur entrée en contact plus régulière avec les postes des missions religieuses et ceux de la Fondation nationale de l'Indien (funai), puis des o.n.g., dont ils sont devenus généralement dépendants sur le plan sanitaire et économique.
Nous avons des paroles pour conter comment Omama a créé cette forêt. Lorsqu'il est venu à l'existence, il a souhaité que la forêt apparaisse avec lui. Il l'a d'abord dessinée avec la teinture vermillon du rocou des esprits xapinpë, comme vos dessins de paroles sur le papier. Il a fait de même avec le soleil. Mais il a dû d'abord l'effacer et le refaire, car il était beaucoup trop brûlant. Celui qu'il a créé ensuite est moins chaud.
Omama a aussi dessiné l'image de la lune. Plus tard, il a fait jaillir les rivières en transperçant le sol de son jardin avec une barre de fer. Il a voulu ainsi étancher la soif de son fils, qui ne cessait de pleurer. Les eaux ont giclé brusquement puis se sont divisées de toutes parts pour former ruisseaux, rivières et lacs. Au premier temps, il n'y avait d'eau que dans le monde souterrain. Omama a aussi créé les arbres et tous leurs fruits. Les montagnes, c'est autre chose. Il les a formées bien plus tard, dans sa fuite, en jetant derrière lui des feuilles de palmier pour obstruer son chemin.
Les Blancs pensent que la forêt est posée sans raison sur le sol, comme morte. Ce n'est pas vrai. Elle n'est calme et silencieuse que parce que les xapiripë y tiennent en respect les êtres maléfiques et qu'ils retiennent la colère des esprits de la tempête. La forêt n'est pas morte, sinon ses arbres n'auraient pas de feuilles. On n'y verrait pas d'eau non plus. Les arbres de la forêt sont beaux car ils sont vivants. Ils ne meurent que lorsqu'on les abat et qu'ils se dessèchent. Ils n'ont qu'une vie. C'est ainsi. Notre forêt est vivante, et si les Blancs nous font disparaître pour la défricher entièrement, ils deviendront pauvres et finiront par souffrir de la faim et de la soif. davi kopenawa.chaman yanomami
Le mot urihi a désigne en yanomami à la fois la forêt tropicale et le sol sur lequel elle s'étend. Il renvoie également, par emboîtements successifs, à l’idée de territorialité. Ainsi, l'expression ipa urihi, «ma terre-forêt», peut désigner la région de naissance ou de résidence actuelle en tant que domaine d'usage, tandis «la terre-forêt des êtres humains» se rapproche de notre idée de «territoire yanomami», et que urihi apree, «la grande terre-forêt» se réfère à un espace englobant maximal qui fait écho à notre concept de «Terre».
Réservoir inépuisable de ressources indispensables à leur existence, cette «terre-forêt» n'est cependant en rien pour les Yanomami un décor inerte et muet situé hors de la société et de la culture, une «nature morte» soumise à la volonté et à l'exploitation humaine. Il s'agit au contraire d'une entité vive, dotée d'une image-esprit chamanique (uribinarï), d'un souffle vital (wixid) et d'un pouvoir de croissance immanent). Mais, plus encore, elle est animée par une dynamique complexe d'échanges, de conflits et de transformations entre les différentes catégories d'existants qui la peuplent, sujets humains et non-humains visibles et invisibles.
Comme l’a montré Philipe Descola à propos des jivaros, la Nature - comme domaine défini par son extériorité et son opposition à la société humaine (culture) n’existe pas. Humains et non-humains sont regroupés au sein d'un collectif unique. A nature (environnement) et Culture, répond ici la conception d'une totalité cosmologique sociomorphe dans laquelle humains et non-humains, visibles (animaux) ou non (esprits, morts), sont dotés de facultés et de subjectivités de même essence, et entretiennent des relations sociales (de communication, d'échange, d'agression ou de séduction). Ils ontologiquement associés et distribués dans une même économie de métamorphoses.
« Rien n'est plus relatif que le sens commun, surtout lorsqu'il porte sur la perception et l'usage des espaces habites. Et si l'accès à la mentalité de nos ancêtres du paléolithique est malaisé, nous pouvons au moins considérer la manière dont les chasseurs-cueilleurs contemporains vivent leur insertion dans l'environnement. Tirant leur subsistance de plantes et d'animaux dont ils ne maîtrisent ni la reproduction ni les effectifs, ils tendent à se déplacer au gré de la fluctuation de ressources parfois abondantes, mais souvent distribuées de façon inégale selon les lieux et les saisons. Dans la forêt équatoriale ou dans le Grand Nord, dans les déserts d'Afrique australe ou du centre de l'Australie, dans toutes ces zones dites « marginales » que, pendant longtemps personne n'a songé à disputer aux peuples de chasseurs 'c'est un même rapport aux lieux qui prédomine -L'occupation de l'espace n'irradie pas à partir d'un point fixe mais se déploie comme un réseau d'itinéraires ,marqué des haltes plus ou moins ponctuelles et plus ou moins récurrentes. Socialisé en tout lieu parce que parcouru sans relâche, l'environnement des chasseurs-cueilleurs itinérants présente partout les traces des événements qui s'y sont déroulés et qui revivifient jusqu'à présent d'anciennes continuités.
Dans un rayon d'une ou deux heures de marche depuis la lisière de l'essart, la forêt est assimilable à un grand verger que femmes et enfants visitent en tout temps pour y faire des promenades de cueillette, ramasser des larves de palmier ou pêcher à la nivrée dans les ruisseaux et les petits lacs. C'est un domaine connu de façon intime, où chaque arbre et palmier donnant des fruits est périodiquement visité en saison. Au-delà commence la véritable zone de chasse où femmes et enfants ne se déplacent qu'accompagnés par les hommes. Mais on aurait tort de voir dans ce dernier cercle l'équivalent d'une extériorité sauvage. Car le chasseur connaît chaque pouce de ce territoire qu'il parcourt de façon presque quotidienne et à quoi l'attache une multitude de souvenirs. Les animaux qu'il y rencontre ne sont pas pour lui des bêtes sauvages, mais bien des êtres presque humains qu'il doit séduire et cajoler pour les soustraire à l'emprise des esprits qui les protègent. philipe descola .la nature domestique
La première de ces leçons, et la plus importante peut-être,est que la nature n'existe pas partout et toujours ; ou, plus exactement, que cette séparation radicale très anciennement établie par l’Occident entre le monde de la nature et celui des hommes n'a pas grande signification pour d'autres peuples qui confèrent aux plantes et aux animaux les attributs de la vie sociale, les considèrent comme des sujets plutôt que comme des objets, et ne sauraient donc les expulser dans une sphère autonome, livrée aux lois mathématiques et à l'asservissement progressif par la science et la technique. Dire des Indiens qu'ils sont «proches de la nature » est une manière de contresens, puisqu'en donnant aux êtres qui la peuplent une dignité égale à la leur, ils n'adoptent pas à leur endroit une conduite vraiment différente de celle qui prévaut entre eux. Pour être proche de la nature, encore faut-il que la nature soit, exceptionnelle disposition dont seuls les modernes se sont trouvés capables et qui rend sans doute notre cosmologie plus énigmatique et moins aimable que toutes celles des cultures qui nous ont précédés.
Philippe descola .les lances du crépuscule. terre humaine
« Ce que vous appelez nature, dans notre langue, c'est urihi a, la terre-forêt et son image que voient les chamans, urihinari. C'est parce que cette image existe que les arbres sont vivants. Ce que nous appelons urihinari, c'est l'esprit de la forêt: les esprits des arbres, des feuilles, et des lianes,. Ces esprits sont très nombreux et jouent sur le sol de la forêt, même ceux des abeilles, des tortues ou des escargots.»....
« On ne l'entend pas se plaindre, mais la forêt souffre, tout comme les humains. Elle a mal lorsqu'on la brûle et ses grands arbres gémissent en tombant. C'est pourquoi nous ne voulons pas la laisser déboiser. Nous voulons que nos enfants et nos petits-enfants puissent s'y nourrir et y grandir. Nous y sommes attentifs, c'est pourquoi elle est en bonne santé. Nous la défrichons très peu, pour ouvrir nos jardins. Nous y plantons des bananiers, du manioc ,des taros, des ignames, des patates douces et de la canne à sucre. Puis, après un temps, nous la laissons repousser. Une végétation enchevêtrée envahit nos jardins puis les arbres y croissent de nouveau. Si on replante plusieurs fois au même endroit, les plantes ne donnent plus. Elles deviennent rabougries et desséchées. Elles sont trop chaudes, comme la terre, qui a perdu son parfum de forêt. Ensuite, plus rien ne pousse. C'est pourquoi nos anciens se déplaçaient dans la forêt d'un jardin à l'autre lorsque leurs plantations s'affaiblissaient et que le gibier se faisait rare près de leur maison.
" Les Blancs qui vivent près de nous sont différents. Les éleveurs ont beaucoup d'hommes pour défricher la forêt. Ils abattent les arbres et mettent le feu à de grandes étendues de forêt. Tout cela pour ne cultiver aucune nourriture, ni manioc, ni bananiers. Ils ne sèment que de l'herbe pour leur bétail. Les orpailleurs, eux, fouillent les rivières comme des cochons sauvages. Les eaux y deviennent sales, jaunâtres, pleines d'épidémies-forêt des moteurs. On ne peut plus boire l'eau sans tomber malade. Tous les poissons et les caïmans meurent. Pourtant, ces Blancs répètent: "Ouvrons des routes, défrichons la forêt, cherchons de l'or, faisons le développement!" S'ils continuent à détruire la forêt de cette manière, il n'en restera rien. Alors, plus tard, ils se plaindront de la faim et de la soif, comme le font déjà certains d'entre eux. Ils seront démunis de tout et iront demander leur nourriture chez d'autres gens ou deviendront des voleurs dans les villes.
Les feuilles et les fleurs des arbres tombent et s'amassent sur le sol. C'est ce qui donne à la forêt son parfum et sa fertilité. Cette senteur disparaît à mesure que la terre devient sèche et absorbe les ruisseaux dans ses profondeurs. Si on coupe et brûle partout les grands arbres, la terre se dessèche. Ce sont ces arbres, comme les noyers du Brésil et les kapokiers, qui attirent la pluie. Il n'y a d'eau que dans la forêt en bonne santé. Quand la terre est nue, l'esprit du soleil, Mothokari, brûle les cours d'eau. Il les assèche avec sa langue et avale leurs poissons. Lorsque ses pieds s'approchent de la terre, elle se met à cuire. Sa surface devient brûlante et se durcit. Aucune pousse d'arbre ne peut y naître. Il n'y a plus de racines fraîches dans l'humidité du sol. L'eau s'est retirée au loin. Alors, le vent qui nous suivait et nous rafraîchissait comme un éventail s'en va aussi. Une chaleur brûlante s'installe. Les feuilles et les fleurs amassées sur la terre se racornissent. Tous les vers de terre meurent. Le parfum de la terre brûle et disparaît. Rien ne pousse plus, quoi qu'on fasse. La fertilité de la forêt s'enfuit pour toujours vers d'autres terres. "
"Nous ne voulons pas que cela arrive, c'est pourquoi nous défendons la forêt. Omama veut que nous la gardions indemne. Son image nous dit: "Mangez les fruits de ses arbres sans les abattre. Ouvrez vos jardins dans la forêt, mais ne défrichez pas trop loin. Utilisez les troncs abattus pour les feux qui vous réchauffent et sur lesquels vous cuisinez. Ne coupez pas les arbres à mauvais escient. Ne pensez pas qu'ils aient poussé sans raison!" C'est pourquoi je voudrais que vous écoutiez nos paroles. La pensée des gens de près est obscure et enchevêtrée. Ils s'approchent de nous en défrichant peu à peul a forêt. Au début de la route, chez les Yawaripë, la terre est déjà nue et brûlante. Bientôt, plus rien n'y poussera et Ohinari, l'esprit de la faim, y arrivera. Tant que les Yanomami gardent la forêt, il reste au loin. Si les esprits s'enfuient et si nous disparaissons, il s'y installera pour toujours.
Ce sont là nos paroles, les paroles d'Omama et des esprits, les paroles pour défendre la forêt. Vous êtes venus nous visiter. Je vous ai données ces paroles à Watoriki, notre maison de la Montagne du vent. Maintenant, transmettez-les aux gens de votre terre. Montrez-leur nos images et celles de la forêt. Faites-leur entendre l'appel des animaux et les chants des esprits. Qu'ils se disent: "Haixopël La forêt est belle. Que les Yanomami continuent à y vivre en la protégeant de la menace des Blancs!" Si vous entendez que les gens de près veulent l'envahir et la détruire, parlez à vos anciens et à ceux du Brésil. Dites-leur avec force : "Nous connaissons les Yanomami. Nous avons dormi dans leurs maisons et nous avons mangé leurs nourritures. Nous avons fait amitié avec eux. Nous voulons qu'ils vivent dans leur forêt comme ils l'entendent!" C'est avec cette pensée que nous vous avons donné nos images et nos paroles. C'est ainsi.»
davi kopenawa.chaman yanomami… extrait de yanomami l’esprit de la foret.fondation cartier pour l'art cotemporain.
(A SUIVRE)
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