C'est cette une image romantique , forgée par l'anthropologie, jusqu'à un tournant récent qui s'est popularisée, on l'a vu, par le cinéma mais aussi par la littérature.des ouvrages eurent dans ce domaine un rôle essentiel, ceux de l'auteur britannique d'origine sud africaine Laurens Van Der Post, The Lost World of thé Kalahari (1958) et The Heart of thé Hunter (1961).le premier relate une expédition à la recherche du monde perdu, et des bushmen « purs » aventure réelle mais aussi mystique, la quête du bushman symbolisant une part de nous même. Le second livre gravite autour d'un personnage moins « fantasmatique « mais qui présente justement les traits du bushmen « domestiqué « donc corrompu ».
Le mythe bushman si l'on le compare à l'histoire réelle que l'on va aborder par la suite peut être résumé en quelques aspects :
Le premier à propos des Bushmen consiste à dire qu'ils vivraient, du moins « traditionnellement », et depuis longtemps dans l'isolement par rapport aux autres populations. En réalité, des liens commerciaux ont existé à travers le Kalahari depuis plus d'un millénaire. Bien que leur organisation sociale puisse être qualifiée de « mésolithique », les Bushmen ont eu accès au fer depuis des siècles .La fonte du minerai n'était cependant pas réalisée par eux-mêmes, mais par des populations voisines .L'histoire et l'archéologie ne peuvent trancher sur l'existence d'une migration forcée vers le Kalahari par des Européens ou des Africains, tout au plus ont-ils imposé et renforcé l'isolement de groupes préexistants
« Si des personnes déplacées se trouvent cependant parmi les ancêtres des Bushmen actuels, elles n'ont laissé aucune trace que l'on puisse suivre, aucun reste que l'on puisse retrouver (excepté peut-être quelques éléments de vocabulaire, non encore attestés). Les /Xam, ou Bushmen du Cap, si vivants dans l'imaginaire collectif, ont disparu depuis longtemps. Ceux du Kalahari sont des cousins très éloignés et assez différents d'eux sous maints aspects. Il est utile à cet égard de rappeler que les Bushmen ne sont pas des nomades au sens où ils se déplaceraient de façon aléatoire, car leurs mouvements les conduisent et les ont presque toujours conduits à l'intérieur de territoires définis, chacun d'eux occupé par un groupe bushman distinct. En un certain sens, les éleveurs khoekhoe (depuis environ 2000 ans), les fermiers noirs bantouphones (depuis le dernier millénaire) et les Européens d'Afrique australe (au cours des 350 dernières années) ont été les véritables nomades, ou plus exactement les véritables migrants, alors que les Bushmen ont toujours été là. »LES BUSHMEN DANS L'HISTOIRE OP.CITE
Le terme de nomadisme est chargé d'ambiguité : la plupart des groupes sont aujourd'hui sédentaires, établis autour des points d'eau permanents ou dans les exploitations agricoles où ils sont salariés. Les déplacements, fortement réglementés durant la période d'apartheid en Afrique du Sud et en Namibie, sont certes croissants, mais accusent un caractère fortement individuel et sont largement motivés par des questions de relations familiales et sociales. Quelle qu'ait été la logique environnementale et économique des migrations d'autrefois, on se déplace aujourd'hui surtout pour des raisons personnelles où il s'agit de rendre visite à ses proches. Quant aux groupements saisonniers des communautés autour des trous d'eau permanents, ils ont laissé place à des rencontres plus aléatoires en ville, où l'on va se faire soigner, acheter de la nourriture, ou encore boire de l'alcool. « Du reste, n'y a-t-il jamais eu une forme unique de nomadisme ? Le climat, la disponibilité des ressources, les modes d'économie, mais aussi la taille des communautés, leur densité et leur occupation des espaces seraient-ils des facteurs négligeables pour l'histoire de l'Afrique australe ? La réponse est bien évidemment non ! De fait, c'était plutôt le semi-nomadisme qui était jadis de rigueur, avec une variation importante, selon les groupes, qui tient à la relation complexe et non déterminée a priori entre idéologies, pratiques et contraintes micro-environnementales ».
Une autre composante du mythe, très actuelle, est véhiculée de l'extérieur par les récits de voyage comme ceux de Laurens Van der Post : les Bushmen « purs » seraient en voie de disparition totale. En réalité, 90 000 Bushmen au moins vivent aujourd'hui dans le Kalahari et les régions environnantes. La grande majorité, cependant, sont ce que Van der Post appelle des Bushmen « domestiqués ».(dont on sait qu'on leur dénie selon le mythe toute identité authentique) C'est que leur histoire récente est en grande partie une histoire du malheur. Les sources coloniales permettent de documenter plus spécifiquement, pour les derniers siècles, des phénomènes d'extermination et d'asservissement, qui ont fait disparaître les Khoesan en tant que collectivités dotées d'identités propres, pour ne faire subsister qu'un sous-prolétariat rural ; c'est tout particulièrement le cas en Afrique du Sud, où les Khoesan ont été absorbés dans la catégorie sociale des « Coloureds », qui regroupe les descendants d'esclaves aussi bien que les fruits des métissages coloniaux anciens. Plus proches de nous, les populations de chasseurs-cueilleurs des pays plus tardivement colonisés ont subi, au cours des dernières décennies, un processus d'acculturation du fait de leur entrée dans des relations de dépendance à l'égard de leurs voisins – fermiers blancs en Namibie, fermiers tswana ou blancs au Botswana – et dans des relations d'échange inégales à la périphérie du système de l'économie de marché. (ce qui n'était pas le cas avant la colonisation.)
Très peu nombreux désormais sont ceux qui ne vivent que de chasse et de collecte, mais la plupart selon des sources récentes ont pourtant conservé des éléments d'identité, quoiqu'en mouvement « La religion bushman demeure vivace, et dans de nombreuses régions la politique traditionnelle du consensus, le système d'obligations familiales et parentales, les règles d'échange de dons et de partage de la viande, et même la migration saisonnière, la dispersion et le regroupement des bandes sont toujours pratiqués. Certaines formes spécifiques d'organisation des bandes sont en train de changer, en raison de la dépendance vis-à-vis des biens de consommation provenant des boutiques et de l'accès à l'eau facilité par les puits mis en place par le gouvernement central, les municipalités ou les fermiers locaux ... En outre, les Bushmen ont conservé leurs propres langues, très diverses, souvent d'une expression subtile, riches en concepts abstraits (au moins dans le cas des langues du groupe « Bushman Central », comme le glwi et le nharo), grammaticalement et phonologiquement complexes. Et quoique la diversité au sein des langues bushmen soit plus grande qu'au sein de la famille indo-européenne, certains Bushmen en parlent couramment plusieurs. »op.cite
l
Les Bushmen ne sont donc pas figés,comme on le voudrait dans la reproduction perpétuelle d'un mode de vie bien réglé entre parties de chasse, partage collectif de la viande, danses rituelles et confection de colliers en perles de coquille d'œuf d'autruche. Ils ont été et sont acteurs (et pas seulement spectateurs distraits) de mouvements, de mutations techniques et idéologiques dont les archives, il est vrai, sont trop manquantes. Ils ont fait face - à des changements écologiques profonds, à des crises graves. Ils ont inventé des institutions, des mythes, des objets, des chants, des solutions techniques qui ont fait date. Ils ont bien, en somme, une histoire. Nous n'en avons pas les annales, mais au moins peut-on exploiter toutes sources et faire appel, outre les archives écrites produites en quantité croissante par les Européens depuis quatre ou cinq siècles, aux archives matérielles (notamment archéologiques), picturales (les très nombreuses peintures et gravures rupestres d'Afrique australe, qui leur sont généralement attribuées, ils n'ont jamais ignoré ni la réalité des autres groupes (en Afrique, de nombreux récits de fondation sont d'abord des récits de guerre et de fuite), et donc aussi des autres dieux, ni la nécessité de commercer ou d'aller prendre femme ailleurs. Rien ne permet de penser hier plus qu'aujourd'hui à l'image d'un monde clos et autosuffisant. Comment considérer sinon par des histoires multiples, cet ensemble de populations trop morcelées, aux territoires bordés de frontières poreuses, qui n'ont pas de langue commune et qui n'ont jamais eu de conscience collective ? Ne risque-t-on pas de donner corps à un «peuple » qui n'existe pas ?(ou pas encore ?)
« C'est à ce point que l'illusion de l'ethnologue rejoint le demi-fantasme des indigènes. Elle n'est, elle aussi, qu'une demi-illusion. Car, si l'ethnologue est bien évidemment tenté d'identifier ceux qu'il étudie au paysage où il les découvre et à l'espace qu'ils ont mis en forme, il n'ignore pas plus qu'eux les vicissitudes de leur histoire, leur mobilité, la multiplicité des espaces auxquels ils se réfèrent et la fluctuation de leurs frontières. Encore peut-il, comme eux, être tenté de prendre sur les bouleversements actuels la mesure illusoire de leur stabilité passée. Quand les bulldozers effacent le terroir, quand les jeunes gens partent en ville ou quand s'installent des « allochtones », c'est au sens le plus concret, le plus spatial, que s'effacent, avec les repères du territoire, ceux de l'identité.
Mais là n'est pas l'essentiel de sa tentation, qui est intellectuelle et dont témoigne de longue date la tradition ethnologique…. »
« Substantifier chaque culture singulière, c'est ignorer à la fois son caractère intrinsèquement problématique, dont témoignent pourtant à l'occasion ses réactions aux autres cultures ou aux à-coups de l'histoire, et la complexité d'une trame sociale et de positions individuelles qui ne se laissent jamais déduire du « texte » culturel. Mais il ne faudrait pas ignorer la part de réalité qui sous-tend le fantasme indigène et l'illusion ethnologique : l'organisation de J'espace et la constitution de lieux sont, à l'intérieur d'un même groupe social, l'un des enjeux et l'une des modalités des pratiques collectives et individuelles. Les collectivités (ou ceux qui les dirigent), comme les individus qui s'y rattachent, ont besoin simultanément de penser l'identité et la relation, et, pour ce faire, de symboliser les constituants de l'identité partagée (par l'ensemble d'un groupe), de l'identité particulière (de tel groupe ou de tel individu par rapport aux autres) et de l'identité singulière (de l'individu ou du groupe d'individus en tant qu'ils ne sont semblables à aucun autre). » MARC AUGE.POUR UNE ANTHROPOLOGIE DES MONDES CONTEMPORAINS.
Ces sources, disparates et dispersées sur plusieurs pays (Angola, Namibie, Zambie, Botswana, Zimbabwe, Afrique du Sud, Lesotho), ont toutes les chances de ne pas révéler une histoire unique. Selon les zones géographiques (de la plaine atlantique à la frange côtière le long de l'océan Indien, du Kalahari aux montagnes du Lesotho en passant par le Karoo, les environnements sont multiples), selon les groupes en question et selon les événements (écologiques, politiques...) survenus régionalement, c'est à de nombreuses histoires que l'on assiste, plus ou moins bien documentées, et laissant d'abord l'impression, à l'échelle des siècles et du sous-continent, d'un écheveau de destinées sociales sans tracé commun (sauf peut-être depuis cent ou deux cents ans. On est loin d'épuiser le sujet quand on a parlé à propos des bushsmen des chasseurs /collecteurs,où de ceux qui parlant une langue à clics ou ont aussi en commun un certain nombre de croyances et de pratiques). nombreux sont les Bushmen qui vivent aujourd'hui (et certains depuis assez longtemps) à la ferme, à la mine ou à la ville, qui sont journaliers, salariés ou clochards, bref des prolétaires dans la plupart des cas,(certaines études les abordent en termes de classes sociales.) et qui n'ont jamais eu l'occasion d'approcher une antilope .Ils ne sont pas moins authentiquement Bushmen. « Les profondes mutations sociales survenues récemment (aux XIXe et XXe siècles) et qui ont désintégré ou transformé de façon traumatique les sociétés bushmen sont encore de l'histoire bushman. Elles ne sont pas un point final. D'autres mutations de même ampleur, d'autres révolutions ont eu lieu par le passé, lentes parfois, décalées selon les espaces, peut-être invisibles pour leurs acteurs, mais que dans le temps long et dans les temporalités multiples des différents groupes il est possible de concevoir comme autant d'événements d'une même trame historique. »
Le débat concerne par exemple l'existence historique de deux groupes historiques bien séparés comme le suggère l'origine des noms : doit on admettre dire qu'il y aurait eu deux groupes ethniques voisins mais bien distincts, d'un côté les Hottentots, ou plutôt les Khoekhoe (nom qu'eux-mêmes se donnaient), éleveurs de bétail et donc producteurs de nourriture, de l'autre les Bushmen, petits groupes moins visibles de « prédateurs » à l'organisation sociale plus lâche, de culture et de langue différentes des premiers ? cette distinction ethnique reposerait sur une opposition culturelle entre un vieux fond de peuplement de chasseurs-collecteurs autochtones et une installation plus récente d'éleveurs entrés en concurrence avec les premiers. Les études récentes penchent pour une vision plus dynamique des interactions entre éleveurs et chasseurs, au gré des phases d'un cycle écologique et économique de longue durée. En phase « ascendante », sociétés d'éleveurs et de chasseurs pouvaient manifester un certain degré de fusion culturelle, et les chasseurs se trouver progressivement absorbés par leurs voisins. Au contraire, en phase « descendante », des individus ou des groupes entiers pouvaient se retrouver exclus des communautés khoekhoe et contraints de rallier des groupes de chasseurs et de marginaux plus ou moins acculturés. Depuis 1980 et ce que l'on a appelé le « débat du Kalahari », nombre d'anthropologues et d'historiens remirent en question la vision des bushmen comme « isolat culturel » dans le Kalahari au profit d'analyses économiques, où ils mettent l'accent sur la prolétarisation née de l'histoire coloniale plus ou moins récentes et donc sur un cercle vicieux où pauvreté entrainait marginalisation et marginalisation, la pauvreté. ». ils voient, d'abord les Bushmen comme une classe sociale dépourvue de la notion de propriété et dominée par des étrangers. Historiquement, c'est probablement le sens initial du terme San (vagabond) utilisé par les Khoekhoe. Les San étaient des gens pauvres, de groupes ethniques déterminés, qui ne possédaient pas de bétail, par conséquent contraints de se livrer la prédation pour vivre.
Pendant des dizaines de milliers d'années,comme le montre l'archéologie, des femmes et des hommes ont bien vécu en Afrique australe de la chasse aux animaux sauvages ,du fouissage des tubercules, de la cueillette de fruits ou d'herbes, de la collecte de miel, d'œufs, d'insectes et de larves, ainsi que de la pêche et du ramassage des coquillages dans les zones aquatiques (fleuves, estuaires, bords de mer). Mais a-t-on vraiment le droit de s'appuyer sur l'indiscutable « air de famille » des cultures matérielles anciennes pour attribuer le nom de Bushmen à des chasseurs-collecteurs d'un passé lointain ?
« Mais en fait, derrière la continuité apparente des modes de vie, combien d'histoires interrompues, de dérives migratoires au gré des changements environnementaux, de mutations technologiques et culturelles qui interdisent d'identifier chaque groupe actuel, dans sa spécificité culturelle et biologique, aux traces archéologiques laissées dans la même zone géographique par les chasseurs préhistoriques ?
Si les apports archéologiques ne sont pas dues à un déficit de prospections de la part des archéologues, ils signifient que les groupes bushmen actuels ou sub-actuels du Sandveld ou du Drakensberg n'y sont pas « depuis toujours » et que leurs ancêtres ont donc participé à l'histoire d'autres sous-régions de l'Afrique australe. Et si, ailleurs, les traces archéologiques militent en faveur d'une présence continue de plusieurs millénaires sur un même territoire, elles ne doivent pas faire oublier que ces millénaires ont été ponctués d'événements (si l'on accepte d'appeler événements des processus qui ont pu prendre place sur une duréeconsidérable) qui ont modifié en profondeur les sociétés de chasseurs-collecteurs, et qui ont précisément contribué à en faire des Bushmen.
Il y eut ainsi plusieurs révolutions technologiques à partir de 20000 ans avant notre ère (Later Stone Age) qui illustrent ou révèlent des changements profonds dans la culture matérielle et dans l'univers mental des chasseurs-collecteurs : la réduction de la taille des outils lithiques, l'utilisation d'outils en os polis, la diversification des outils (lests de bâtons à fouir, équipement de pêche...), la diffusion de l'arc et de la flèche, l'utilisation de récipients (œufs d'autruche, carapaces de tortues), le développement de l'art (pariétal et mobilier), l'usage de parures, l'enterrement des morts. A partir de 4000, les archéologues situent une densification de la population, à laquelle dut correspondre une intensification des échanges et la mise en place progressive d'un système de circulation des objets, des matériaux, des innovations, des animaux, des groupes humains.
« Qu'on en juge à la rapidité avec laquelle s'imposent le mouton et les techniques liées à l'élevage, ainsi que celles liées à la céramique, dans l'univers quotidien des chasseurs-collecteurs, puis, presque sans rupture, la vache, le métal, les techniques et les produits liés à l'agriculture. En à peine plus d'une dizaine de siècles, combien de révolutions se sont-elles produites ? Dans le paysage d'abord, avec l'extension des pâturages, des zones déboisées et des cultures sur brûlis aux dépens des territoires de chasse. Ensuite dans les relations entre les sociétés, concurrentielles et violentes ici, symbiotiques là, mais aussi, de façon soudaine, hiérarchiques, parce que éleveurs et laboureurs véhiculent des échelles de valeurs qui confinent les autres, les chasseurs, aux frontières de la société. Les Bushmen sont-ils nés de .cette mise à distance, ne sont-ils en somme que les victimes d'un processus inéluctable de marginalisation sociale ? On va voir que ces mutations eurent d'abord pour effet de brouiller les limites entre les groupes, avec pour conséquence indirecte de nous rendre malaisée l'interprétation des traces et d'interdire la projection dans le passé de catégories d'un usage récent.
Entre ces groupes d'agriculteurs s'installant dans le sous-continent et les groupes de chasseurs-cueilleurs déjà présents sur place, prirent place différentes formes de contacts et d'échanges). Mais on peut dire que, à quelques exceptions près, les populations de chasseurs-cueilleurs faisant usage d'outils de pierre avaient, à l'aube du second millénaire, été remplacées ou absorbées par les communautés villageoises d'agriculteurs métallurgistes dans la presque totalité des régions où l'élevage de la vache et la culture du sorgho et du petit mil étaient praticables, c'est-à-dire en gros dans la moitié est du sous-continent. Ainsi, seule une moitié ouest, largement dominée par un environnement aride, fut jusqu'à l'arrivée des colons européens le domaine exclusif de communautés diverses de chasseurs-cueilleurs-collecteurs-pêcheurs-éleveurs qui continuaient de produire et d'utiliser des outils de pierre
Cette césure entre l'ouest et l'est, entre des cultures Later Stone Age et des cultures Iron Age, est l'une des coupures mentales les plus profondes dans la perception de la préhistoire de l'Afrique australe. Sur cette césure pèse aussi la périodisation (âge de la pierre versus âge des métaux) forgée dans d'autres parties du monde depuis les origines de l'archéologie pré- et protohistorique. Elle est peut-être, pourtant, largement exagérée par le fait que l'on projette trop aisément sur le passé nos connaissances des populations actuelles ou subactuelles, que nous savons être très différentes sur le plan linguistique par exemple (langues khoesan versus langues bantu de la famille Niger-Congo).
Ainsi, certains présupposés ont longtemps conditionné notre façon de percevoir l'économie, les structures sociales et la culture matérielle des populations préhistoriques. Dans le domaine de l'économie, le rôle du pastoralisme a de la sorte longtemps été minoré, à cause de l'intérêt trop exclusif porté à l'étude de populations de chasseurs-cueilleurs « purs », tant prisées par les préhistoriens et les ethnologues. Or, de par sa position pivot entre chasseurs-cueilleurs nomades et agro-pasteurs sédentaires, cette économie pastorale occupe une place importante dans le paysage de l'Afrique australe des deux derniers milliers d'années ; peut-être est-ce même elle qui éclaire, en partie, le statut de la chasse tout au long de ces deux millénaires, entendue comme une économie complémentaire pratiquée par ces mêmes groupes pastoraux ou par des groupes peu ou prou affiliés à eux. Il convient, en outre, de s'interroger sur l'impact de la colonisation à son égard : dans quelle mesure cette dernière n'a-t-elle pas favorisé le maintien voire, ponctuellement, la formation de groupes de chasseurs-cueilleurs trouvant refuge dans les milieux les plus arides, tandis que disparaissaient les pasteurs, davantage soumis à une concurrence sur leurs terres de pâture et plus vite « enrôlés » par les colons comme ouvriers de ferme? L'économie de prédation n'a-t-elle pas été en partie suscitée, tout du moins modifiée dans son statut, par la colonisation? En d'autres termes, l'archipel bushman n'est-il pas, peut-être autant que le fruit d'une longue préhistoire, la résultante d'un événement historique récent (la colonisation) ayant eu pour effets à la fois de « bushmaniser » économiquement des populations locales et d'éliminer des groupes de culture plus « avancée », mais aussi plus fragiles dans un tel contexte (les éleveurs), accroissant ainsi l'isolement social et conceptuel des Bushmen »ALAIN BARNARD. UN PEUPLE SOUS LE REGARD OCCIDENTAL.LES BUSHSMEN DANS L'HISTOIRE.
Tous les écrits ethnographiques ont eu d'abord un point commun : ils décrivaient la société bushman comme immuable jusqu'à une période récente. Au moins implicitement, ils affirmaient que jusqu'à cette époque, elle a connu des formes d'organisation sociale à la fois anciennes et adaptatives, où les forces extérieures n'eurent qu'une influence minime, où l'égalitarisme était l'idéologie prédominante, et le partage, une pratique suivie.Si histoire ,il y avait désormais ,elle était imposée de l'extérieur par les bantous et surtout la colonisation
Pourquoi alors le Kalahari ? Pourquoi est-ce précisément en ces régions reculées de savanes et de désert parfois arides, que vivent, comme s'ils s'étaient délébérment préservés du temps et des regards, les derniers Bushmen ? Illusion de permanence, paradoxalement produit de l'histoire ! Au cours des millénaires, des chasseurs-collecteurs ont pourtant été de toutes les révolutions. En adoptant d'autres modes de subsistance, en apprenant le maniement d'autres objets ou techniques, en changeant de langue ou de statut social, certains individus ou certains groupes ont pu être « absorbés » dans les sociétés khoekhoe et bantoues, ont pu même sauter le pas et « devenir » des Khoekhoe ou des Bantous. Au cours du dernier millénaire, le phénomène saillant à l'échelle du sous-continent est celui de l'intégration croissante des sociétés dans un système d'échanges et d'interactions se développant à partir du nord et de l'est. Quoique les effets de ce système se laissent appréhender, notamment au plan archéologique, jusqu'au cœur du Kalahari, il est indéniable que cette dernière région a connu de par son écologie une emprise économique et politique de moindre intensité que ses périphéries, faisant du centre de l'Afrique australe, plus que toute autre région, un abri ou un refuge pour des populations. Perçue dans la longue durée, il est clair que la colonisation européenne, procédant d'un mouvement enveloppant depuis le sud et l'ouest, est encore venue renforcer ce phénomène, tout en augmentant considérablement ses effets négatifs.
Débutée au milieu du xvne siècle depuis la péninsule du Cap, l'histoire de la colonisation européenne peut être vue comme celle d'une « frontière », au sens de l'ouest américain en mouvement permanent englobant progressivement les territoires correspondant à la colonie du Cap, à l'Afrique du Sud et à l'Afrique australe dans son ensemble. À l'intérieur de cette frontière, on assiste à la mise en place d'un système d'exploitation des populations et à l'extension d'un réseau de drainage des ressources, à commencer par le bétail. Il ne fait pas de doute que maintes communautés de chasseurs-collecteurs se sont trouvées « absorbés» dans ce processus qui devait signifier au final l'affaiblissement de leur pouvoir de transaction et engendrer un cycle de dépossession-déprédation-rétorsion qui culmina avec les massacres, les enlèvements et la généralisation du servage dans l'Afrique du Sud du XIXe siècle.
Brutalement éliminés ou en fuite, les Bushmen disparaissent alors du paysage l ; la pression historique, économique et sociale désintégra les groupes, rendit les individus moins visibles socialement. De gré ou de force, les Bushmen survivants n'existèrent que dans les interstices des sociétés environnantes, profitent des possibilités de survie au prix de changements de statut ou de renoncement identitaire : certains se fondent dans le sous-prolétariat rural de la colonie, d'autres sont absorbés dans une nation sotho en voie de formation .Pour eux c'est une autre histoire qui commence, une histoire du malheur.
C'est le même processus qui se reproduit, plus loin, sur les franges ouest et sud-ouest du Kalahari. Dans ces régions, les populations bushmen ont été en contact, dès la fin du XVe siècle, avec des marchands et des aventuriers européens, et se sont trouvés intégrés dans le grand commerce international des peaux, de l'ivoire et des plumes d'autruche, qui bat son plein au xixe siècle. Ici, c'est la quasi-disparition du gibier, dans les années 1880, causée par sa surexploitation, qui sonne le glas de cette intégration économique et contraint les Bushmen à rechercher d'autres opportunités. Elles leurs sont fournies par la pénétration des trekboers, qui met en branle le processus de domination coloniale dans le Northern Cape au XVIII- XIXe siècle, dans la région de Ghanzi (ouest du Botswana) et dans l'est namibien au XXe siècle.la région subit d'abord l'enclosure des terres par les colons blancs et la confiscation des points d'eau, puis les conséquences de la ségrégation (dès la fin des années 1910) et de l'apartheid (à partir des années 1970), enfin des lois réprimant le vagabondage. De ce fait, les Bushmen se sont retrouvés progressivement « piégés » sur leurs anciens territoires de chasse, contraints à l'immobilité sur les fermes commerciales composant désormais l'espace colonial. Avec la dissolution des liens sociaux traditionnels, les Bushmen, incapables de maintenir un mode de vie basé sur l'exploitation de vastes territoires, n'eurent souvent d'autre choix pour survivre que de s'embaucher auprès du baas (le maître) comme travailleurs agricoles, ce qui leur conférait un statut de dépendants économiques, rarement payés et généralement victimes de l'alcoolisme et des mauvais traitements. Moins que jamais des chasseurs-collecteurs, les Bushmen restent cependant bel et bien des « Bushmen », dont la dégradation sociale et morale ne fait qu'accroître la réputation d'incivilités hors du temps.
« Au terme de cette longue histoire, marquée par une série d'événements et de transformations par lesquels les Bushmen semblent disparaître de la scène, leur prolétarisation contemporaine les rend une fois de plus invisibles, parce qu'indignes d'être comparés au Bushman authentique du mythe . À ce compte, les « vrais » Bushmen n'existent plus, sauf en quelques réserves protégées du Kalahari. Anéantis par l'histoire, les voilà en outre niés par le mythe.
« II n'existe pas une image unique des Bushmen. En tout cas, il n'est pas d'image unique qui soit en même temps une image correcte. Les Bushmen ont été utilisés par des générations de personnes, tant en Europe qu'en Afrique, comme principaux représentants du « primitif », avec à la fois de bonnes et de mauvaises connotations, et il ne fait pas de doute qu'ils continueront à être utilisés de la sorte. Pour paraphraser Lévi-Strauss, les Bushmen sont « bons à penser ».
Ce qui est nouveau aujourd'hui, c'est qu'il y a en Occident une conscience grandissante que les Bushmen réfléchissent également à leur place dans le monde, et qu'ils ne le font pas toujours de la même façon que les Occidentaux. Les représentants bushmen expriment à présent les différences entre les cultures aussi bien que de nombreux anthropologues, et leurs perspectives mettent en relief leurs propres valeurs, qui sont souvent loin d'être « primitives », dans quelque sens que ce soit : partager au sein de la communauté, rechercher un ordre social égalitaire, vivre en harmonie avec la nature, etc. Mais par-dessus tout, ils mettent en valeur leur relation à la terre, qui entre en contradiction avec au moins l'un des aspects de la représentation occidentale, porteur d'une durable méprise : l'idée selon laquelle le caractère nomade de la vie des Bushmen serait une indication de tendances migratoires. Tout au contraire, les groupes de Bushmen ayant survécu jusqu'à ce jour ont occupé leurs territoires actuels depuis des siècles, voire des millénaires.
Un espoir pour l'avenir serait que le regard occidental se rapproche davantage de celui des Bushmen, non seulement sur le plan de la sensibilité spirituelle, artistique ou musicale, mais aussi par une compréhension de l'idée que l'avenir dans la reconnaissance d'une autodétermination et d'une identité fondée sur des droits à la terre ancestrale. »ALAIN BARNARD O.CITE
Commentaires