« La Parole ne se confie ni à l'herbe qui peut brûler, ni au bois qui peut pourrir, ni à la terre qui est muette et finira par nous ensevelir. Confiée aux héritiers elle est éternelle."
"Celui qui n'a qu'un désir est comme la calebasse qui ne pourra jamais rien espérer que de l'eau".
La vérité est comme le feu, ne l'enveloppez pas de peur qu'il vous brûle".
"Ne soyez pas comme la montagne et le brouillard. Quand ils se rencontrent c'est comme pour ne plus se quitter. Quand ils se quittent c'est comme pour ne plus se revoir."…
Lui :"Tu as une pirogue, pourrais-tu me prendre de mon côté de la rivière ?" Elle : "J'ai une pirogue mais pas de rame. Un roseau serait bien trop fragile, quant à ma bêche on ne défie pas l'eau avec du fer".(ce hain-teny est un dialogue de séparation, de désamour).
Madagascar est le pays des contes, des poèmes, des proverbes.
La tradition littéraire s'enracine dans une culture orale très riche . Les populations malgaches sont friandes de discours ; elles ont développé aussi bien un art oratoire , le KABARY ,que toute une sagesse au travers des proverbes ainsi qu'une poésie populaire les HAIN-TENY ,qu'on a parfois rapproché des Haï-ku japonais et dont le principe est de ne jamais « dire », ce qu'on désire exprimer, tout en le disant quand même. (exemple ci-dessus)
Le Kabary, encore très utilisé dans la société contemporaine, est un »noble « et grand discours prononcé à haute voix devant un public qu'on cherche à séduire et à convaincre , illustré justement de proverbes et d'adages ;discours politique à l'origine et communication entre le pouvoir et le peuple, ( selon un mythe d'origine, les serviteurs du roi l'employaient pour s'excuser d'un déficit de récolte en le comblant avec des mots.)mais qui intervient dans diverses circonstances de la vie : lors d'un décès, d'une naissance, d'une exhumation, d'une circoncision ou d'un mariage Tous les évènements de la vie en société sont ponctués de Kabary et sont autant d'occasions pour rappeler des valeurs ancestrales , la sagesse, le respect, la droiture ou la modestie.
Il a donc toujours pour fonction d'exprimer des valeurs et pensées qui donnent une signification collective aux faits matériels et à un évènement de la société ou d'une famille. A l'origine seul un ancien de la famille pouvait le pratiquer,du fait de son vécu, mais c'est désormais le fait de quiconque le désire.
La forme est très poétisée (la voix est toujours élevée d'un ton) et fait appel à l'imagination,aux figures de rhétorique,jeux de mots et à la sonorité particulière de la langue .il y a toute une théatralisation au cours de laquelle un orateur, le mpikabary, harangue l'auditoire parmi lequel un autre orateur prendra la parole pour répondre au premier discours. Aucun orateur n'a droit à la parole sans avoir été autorisé et même autorisé, il doit présenter des excuses ,reconnaissant ainsi son imperfection et exprimant son respect. "c'est en toute humilité que"……
Les videos suivantes sont en malgache mais elles montrent bien la théâtralisation :
Les termes varient selon les circonstances mais le Kabary reste pourtant un exercice rituel ,obéissant à un schéma standard depuis l'origine ;il comporte nécessairement quatre éléments : un préambule, des excuses au public, une série de marques de déférences et de salutations, enfin un contenu avec une conclusion, c'est ce contenu qui varie selon le contexte.
Par cet art du discours ,les populations malgaches ont conservé toute une sagesse populaire puisque le Kabary enserre les proverbes, les figures de rhétorique et les Hain-Tenys.
Genre littéraire, en usage chez les Merina (mais des poésies analogues existent dans presque tout Madagascar), Les HAIN-TENY se présentent habituellement sous forme de poèmes elliptiques, coutumiers et sociaux, allusifs et énigmatiques (le sens serait celui de « langage élaboré ou encore de » pouvoir des mots ») que deux récitants rivaux improvisent au cours d'une joute poétique. Ils partent de généralités anodines pour en arriver subitement au sujet proprement dit selon un mécanisme d'association subtile appréciée des connaisseurs On a rapproché les Hain-Teny des Pantum malais, ce qui permet d'en déduire qu'il s'agit d'un vieux procédé littéraire malayo-polynésien amené à Madagascar par les émigrants originaires d'Indonésie.(on a fait aussi l'analogie avec les hai-ku japonais par leurs « étincelles de sens ».
Ce genre fut oublié des folkloristes et anthropologues parce qu'obscur et surtout à forte teneur érotique. Le sujet est en effet l'amour, les querelles amoureuses et les mille nuances du désir :sa violence, sa séduction, la jalousie ,le désenchantement etc. Pour ce faire, le jeu rhétorique, comme dans le Kabary, met en œuvre toute la palette que procure la culture (les images et les proverbes) et assemble ces éléments par une improvisation dont la nouveauté, la richesse de maximes proverbiales, l'agencement et la juxtaposition doivent surprendre « l'adversaire » et permettre de s'imposer dans le combat poétique . On ne récite pas des hain-tenys : on les fait lutter, on les fait combattre au cours d'une dispute poétique ( Ce ne sont pas des œuvres individuelles mais «une préoccupation constante, et comme un milieu de sens». Jean Paulhan).L'improvisation alternée de poèmes qui s'entrechoquent produit un milieu sonore dans lequel les interlocuteurs sont immergés. . Récitant et auditoire sont passés maîtres dans le dosage savant de phrases anodines (la description) et de phrases douées de force (le proverbe).
Autrefois, les joutes de Hain-Tenys pouvaient servir à régler de véritables conflits d'intérêts. Créancier et débiteur, malade mécontent et guérisseur, voisins en désaccord sur des mitoyennetés mimaient leur propre débat en prenant, par Hain- Tenys interposés, les rôles d'une querelle amoureuse. En effet, il est de l'essence du genre de prendre sens dans et par la situation où il est actualisé et c'est ce qui lui permet de devenir le juge de conflits divers
Les Hain-Tenys nous furent révélés par Jean Paulhan en 1913.Il exerça en effet comme professeur de lettres à Tananarive de 1908 à 1910 et en profita pour apprendre le chinois, le malgache et étudier la culture populaire dont la poésie. Il voulait comprendre un autre mode de pensée par le biais du langage et s'opposait à l'idée qu'on devait imposer la langue française ,comme le voulait l'administration coloniale. Par diverses sources orales ,il cherchait à travers contes et poèmes à connaitre la mentalité sous-jacente : légendes sur les rapports de la terre et du ciel, sur les génies vazimba et l'origine des habitants de l'Imérina,etc. Il marquait ainsi les différences culturelles, sur l'amour par exemple : là ou la pensée occidentale sacralisait l'amour, voire l'encadrait de prohibitions, il découvrait que ces dernières ne concernaient pas l'amour malgache mais les repas (tabous alimentaires)
Il fit connaitre le premier les hain-tenys par un recueil de traduction publié en 1913, les Hain-tenys Merinas , un recueil qu'on ne manqua pas de lui attribuer sous le couvert d'un masque exotique alors que la traduction était authentique. Ce qui est plus exact, c'est que le pouvoir de création et de métamorphose des poèmes, leur utilisation neuve des proverbes voire des clichés devaient inspirer certains poètes modernes français, de Paul Eluard à Raymond Queneau, initiés aux hain-tenys par Jean Paulhan et qui les transposèrent dans la poésie française. Paulhan était fasciné par la structure des poèmes au point de vouloir en tirer une thèse de doctorat sur la « Sémantique Des Proverbes.
Il y avait déjà eu quelques publications d'hain-tenys avant lui par des missionnaires mais dont la traduction gardait une forme prosaïque. Jean Paulhan les considère plutôt comme une forme poétique divisée en vers : il s'était aperçu que ses interlocuteurs merinas récitaient et scandaient le contenu.il adopte aussi une classification par thèmes : regrets, séparation, jalousie selon le contexte de la discussion. Il nous propose en fait comme une initiation au sens : à partir du hain-teny qui lui apparait comme le développent et l'illustration d'un élément fondamental et traditionnel de la langue poétique ,le proverbe , il en tire une profession de foi ; profession de foi sur les dangers de la compréhension facile et les vertus de la difficulté et de l'obscurité. « Les seuls événements que nous avons lâchement cru comprendre du premier coup risquent de nous demeurer à jamais inconnus, tandis que les difficultés, par le temps même, et l'effort qu'elles exigent de nous, nous développent et finissent par nous transformer en l'homme capable de les résoudre »
« Il n'est pas si facile de faire l'expérience des puissances expressives de la langue parlée dissimulée sous la langue ordinaire, car celle-ci est habituellement transparente à elle-même. Lorsque nous sommes entre proches, dans une conversation familière et spontanée, l'émotion affleure dans mes paroles et je parle effectivement cette langue de nos émotions qui dort sous la langue ordinaire. Mais je ne m'en aperçois pas, je coïncide avec moi-même. Je tombe dans l'illusion de la transparence. Lorsque je parle à un étranger qui apprend auprès de moi ma langue, j'emploie toujours la langue courante, je normalise mon expression; ce sont les mots les plus ordinaires, les mieux compris de tout le monde qui me viennent à la bouche, et je n'y mets aucune émotion. C'est que je simplifie par commodité, je m'adapte aux capacités d'écoute de l'étranger et c'est pourquoi je multiplie les formules toutes faites, les clichés.
Il faut donc aller loin pour éprouver le dépaysement nécessaire à la découverte de la langue poétique sous la langue ordinaire. Elle affleure lorsque nous sommes plongés dans un milieu sonore exotique, dans un milieu de sens exotique. Quand les sonorités autant que la signification des mots nous échappent. S'immerger dans une langue étrangère, c'est plonger dans le flux des images investies d'émotion. Toute langue étrangère nous surprend d'abord par son pittoresque et le voyageur fait ainsi l'expérience de la poéticité des langues.
C'est la découverte de Jean Paulhan dans les années 1908-1913. La découverte exotique des proverbes et des hain-tenys malgaches détermina pour toujours ses positions sur la place de la rhétorique dans la culture occidentale. Paulhan s'inscrivait dans une réflexion sur les pouvoirs du langage qui avait commencé avec Nietzsche, se poursuivrait chez Derrida et nous conduit aujourd'hui à reconnaître l'existence d'une poéticité foncière du langage que la Rhétorique classique ne fait qu'exploiter. Si vous adoptez le point de vue de Paulhan sur l'histoire de la Rhétorique, en effet, vous conviendrez que les rhétoriqueurs n'inventent rien d'autre que la rhétoricité naturelle de la langue et qu'ils ne sont, au fond, que des tâcherons. Ils essaient de maintenir cette transparence première des langues à elles-mêmes et à leurs voisines par les procédés de la rhétorique. Mais ces procédés existent déjà à l'état natif dans les mécanismes de la conversation. Voilà la découverte faite à Madagascar. »
Les Hain-Tenys chez Jean Paulhan. Expérience de la poéticité des langues: http://ehess.tessitures.org/vivavoce/mise-en-textes/hain-tenys.html.
Pour finir quelques exemples :
« Si le roi règne, c'est par son peuple.
Si la rivière chante, c'est grâce aux pierres.
Si la poule est grosse, c'est grâce aux plumes.
- Les troncs de palmier sont les pieds de l'eau.
Les vents sont les pieds du feu.
L'aimée est la racine de la vie. "
Un jeune homme cherche à se marier (par un contrat d'achat) ; il interroge les proches qui lui apprennent le consentement de la jeune fille sous la forme du proverbe final
« Dites-moi, seuil,
La douce-à-acheter était-elle ici ?
Elle était ici hier.
Et quelles furent ses paroles ?
Elle a dit :
Ce n'est pas le feu qui fait la maison chaude,
C'est l'accord des amants. »
Un des plus connu est un dialogue amoureux entre deux amants qui se répondent :
« Je vous aime.
Et comment m'aimez-vous ?
Je vous aime comme l'argent.
Alors vous ne m'aimez pas
Si vous avez faim
Vous m'échangerez pour ce qui se mange. »
« Je vous aime
Je vous aime comme le tabac.
Alors vous ne m'aimez pas Votre amour suit votre salive. »
« Je vous aime.
Et comment m'aimez-vous ?
Je vous aime comme le tissu de raphia.
Alors vous ne m'aimez pas Trois fois on le revêt
Et pourtant il s'échappe. »
« Je vous aime.
Et comment m'aimez-vous ?
Je vous aime comme le lambamena
Alors vous ne m'aimez pas
Nous mourrons avant de nous rencontrer. »
Et comment m'aimez-vous ?
Je vous aime comme la voatavo (une citrouille )
Fraîche, je vous mange
Sèche, Je fais de vous une tasse
Cassée,
Je fais de vous un chevalet de valiha (une cithare).
Je jouerai légèrement au bord des routes
Tous ceux qui passent l'entendent. »
C'est maintenant que vous m'aimez tout à fait.
Dans le suivant, s'exprime l'absence de regret d'un désamour :« Qu'un seul homme ne m'aime plus, cela est bien peu de chose auprès de tous les autres malheurs ».
« Si je dois mourir, meure plutôt mon parent
Et si mon parent doit mourir, meure plutôt le bœuf.
Si mon enfant et moi devons nous séparer
Que se heurtent ciel et terre !
Si c'est un seul homme qui ne m'aime pas
Je me pilerai une koba pour être grasse. »(je mangerai une bouillie de riz. Je n'en ferai pas une histoire.)
Un sentiment peut paraître fort mais rester en fait à la merci d'un « rien »
« Que les montagnes ne nous séparent jamais
Ni les rochers, ni les plateaux !
Tiens ! Mais, quel est ce mince sentier
Qui nous sépare ?
Je pensais voir une anguille, c'est un têtard.»
Ces deux petits incarnent l'amour et le désir : l'harmonie de deux êtres :
« Oignon aux racines bleues,
Canne à sucre aux feuilles bleues,
Même l'ombre de son lamba sent bon
Et bien plus le lamba qu'elle porte »…(.il s'agit de la pièce de tissu)
« Je suis le riz, vous êtes l'eau.
Dans les champs ils ne se quittent pas
Dans le village ils restent ensemble.
Chaque fois qu'ils se rencontrent
C'est entre eux un amour nouveau ».
(A suivre)
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