"Il est un deuxième monde. La bestialité de la nature humaine nous le dissimule. Ce n’est pas un continent. Et ce n’est pas une île. Ce n’est pas un de ces endroits que les hommes ont cerclés de frontières et ombrés de drapeaux. Ce sont des Lieux.
Ce deuxième monde est fait de Lieux. Et ces Lieux se composent de côtés.
Corollaire : le côté est toujours en interface entre le premier monde et le monde deuxième. Cette interface est incertaine»
Patrick Chamoiseau, Biblique des derniers gestes, Gallimard, coll. « Folio », 2002.
Les sciences sociales et, plus particulièrement, l’histoire ont depuis longtemps intégré l’analyse des espaces et de leurs effets sociaux dans leurs objets. Beaucoup d’auteurs postcoloniaux s’intéressent aux liens entre représentation de l’espace, pratiques de l’espace, identités, territoires et pouvoirs. On observe notamment un intérêt marqué pour ces questionnements dans d’anciennes colonies de peuplement (Australie, Afrique du Sud, Colombie britannique), questionnements liés aux interrogations actuelles sur l’environnement, le paysage, les droits au sol et leurs relations avec la mémoire et l’identité des sociétés qui y vivent.
Ainsi pour les aborigènes australiens ,l’espace est espace non de domination, de mesure ou d’arpentage comme le notre, mais un espace de rencontre entre les formes de vie , le minéral, les quatre éléments, comme les étoiles. C’est une sorte de réseau ouvert, tissé d’ entrelacs au fil des échanges et de rhizomes souterrains.
Les ancêtres des aborigènes sont venus d'Asie, il y a environ 40 000 ans, à pied sec, profitant d'une baisse du niveau des mers entre l'Asie et l'Australie. Ils sont arrivés par petits groupes. Ces premiers habitants ont connu des marsupiaux géants herbivores, des volcans en éruption, des séismes... Ce n'est qu'il y a 9 000 ans qu'ils ont été coupés de la Nouvelle-Guinée par la remontée des mers. Ces hommes vivaient de la chasse, de la pêche, de la cueillette sur des territoires délimités par chaque tribu. Parfois ils se déplaçaient sur des milliers de kilomètres. Ce n'était ni des agriculteurs, ni des éleveurs. Comme ils étaient nomades, il était logique de ne pas s’encombrer de trop de choses lors des déplacements. Le rythme des déplacements étaient celui des pluies, des saisons, l’eau et la nourriture étant un souci quotidien.
Ils n'avaient pas d'écriture mais parlaient plus de 600 dialectes tous apparentés (regroupés en 200 langues et 25 familles linguistiques) et possédaient de nombreuses formes d'art. On comptait entre 300 à 500 000 individus vers1780. Menacés d'extermination lors de la colonisation européenne, ils sont tardivement reconnus citoyens australiens en 1967.
Aujourd'hui, ils s'organisent pour récupérer leurs terres et trouver un mode de vie qui allie leur culture et l'époque moderne. le stéréotype de l’Aborigène figé dans la préhistoire, corps peint et lance à la main, fait place à la représentation des Aborigènes contemporains (artistes et héritiers d’une culture symboliques sophistiquée) avec une identité particulière et militant pour leurs droits.Le territoire est désormais conçu comme un espace habité depuis des millénaires. Depuis une restitution partielle de terres à partir de 1976, de nombreux Aborigènes sont retournés vivre sur les lieux de vie de leurs ancêtres – homeland – desquels ils avaient été chassés. Ces homelands sont, selon eux, leur identité intrinsèque, lieu des origines, lieu de vie de leurs ancêtres et de leur groupe familial. Beaucoup vivent ainsi dans des réserves appelées « communautés » : il en existe 70 dans les Territoires du Nord[27].
D’autres sont plus ou moins noyés dans les prolétariats des grandes villes ou éparpillés dans les agglomérations des petites villes où la politique de l’assimilation peut entraver mais non abolir,on le verra, la voie d’une pratique spirituelle ancestrale.
Le fondement du droit foncier aborigène, est l’ascendance commune qui existe entre tous les êtres vivants et la terre : les mêmes forces spirituelles qui les ont créés, et depuis, de génération en génération, d’initié en initié, elles se transmettent, notamment dans les peintures, faisant d’elles, au sens propre, des titres de propriété
les « tribus »aborigènes avaient bien un territoire propre défini sur la base d'attaches spirituelles avec des sites nommés, points d'eau, rochers, collines, reposant sur des récits sacrés qu'ils mettaient en scène dans des cérémonies. De complexes systèmes fonciers géraient l'usage et la propriété de la terre des groupes qui se distinguaient au sein des centaines de « tribus » différenciées par leurs langues respectives. Hommes et femmes acquéraient par hérédité, initiation ou alliance des droits territoriaux collectifs et individuels, des devoirs rituels associés ainsi qu'un patrimoine de connaissances sur l'organisation cosmologique et sociale de tous les éléments de leur environnement.
De longs itinéraires commerciaux reliés en réseau formaient des chaînes de don et de contre-don entre les groupes de la côte, des plateaux et du désert. L'incroyable diversité culturelle du continent a ainsi été, dans l'échange et la circulation d'objets, de rites et d'idées pratiquement de part en part de cet immense continent, grand comme quatorze fois la France. Les Aborigènes échangeaient entre eux du tabac et de l'ocre contre des armes et des outils en bois, en pierre ou en os, ainsi que des artefacts réservés aux rites, telles les cordes en cheveux utilisées pour fabriquer des ceintures, des coiffes et des structures sacrées. Ils se transmettaient aussi des chants, des danses et des cérémonies entières Au cours des initiations, les enfants des deux sexes recevaient la responsabilité d'un répertoire de chants et de danses, apprenant par l'expérience des rites et des parcours de survie à mettre en lien les éléments de la Loi, ensemble de savoirs et de règles concernant la reproduction de la nature, de la culture et du cosmos. une alliance, une promesse de mariage
Ne pratiquant ni l'agriculture ni l'élevage, ni la métallurgie, ni l'art du tissage, les Aborigènes australiens étaient ce qu'il est convenu d'appeler des chasseurs-cueilleurs, assurant leur subsistance grâce la chasse, à la cueillette des végétaux, à la collecte du miel, au ramassage de petits animaux et de crustacés, et à la pêche. On a cru longtemps que les peuples chasseurs-cueilleurs menaient un mode de vie très difficile, passant la plus grande partie de leur temps la recherche de la nourriture et ne subsistant qu'au bord de la Limite : Il n'en est rien, et quelques études précises, menées tant ans le Nord de l'Australie que dans le Sud de l'Afrique ont dissipé le mythe. Les peuples chasseurs-cueilleurs, si l'on excepte les régions plus difficiles de l'Arctique, assuraient aisément leur subsistance, en quelques heures de travail journalier suffisant : D'autres études, contribuant toujours à dissiper le mythe du chasseur affamé, ont montré contre toute attente que ces peuples étaient bien nourris, que leur alimentation était saine. Ces peuples connaissaient parfaitement la liste des ressources offertes par leur milieu et leurs façons de classifier les espèces animales et végétales, qui ne le cèdent pas en finesse la classification scientifique, montrent l'étendue de leur savoir naturaliste. Grâce au très faible niveau de la population, disséminée en petits groupes, leur choix stratégique a été d'exploiter cette variété de ressources, plutôt que de transformer radicalement l'environnement naturel au terme d'une agriculture intensive.
L'attitude des chasseurs-cueilleurs est de se saisir des ressources telles qu'elles se donnent directement dans la nature Cela suppose une certaine dépendance par rapport au milieu naturel, ce que d'autres appelleront l'adaptation au milieu. Ainsi voit-on les ressources alimentaires varier grandement d'une région à l'autre de l'Australie.
Le milieu désertique de l'Australie est constitué de plaines et de plateaux arides ne possédant que quelques cours d'eau temporaires, et s'étendant à perte de vue sur des centaines de kilomètres carrés : des plaines caillouteuses, des dunes de sable, des lits desséchés des rivières, on rencontre un autre élément caractéristique du paysage : il s'agit de faibles dépressions situées en plaine, ou de couloirs plus ou moins encaissés entre les dunes, leur longueur varie de quelques mètres à un kilomètre, leur socle est souvent en argile. Après les chutes de pluie, elles gardent l'eau un temps.
Dans cet environnement à l'apparence austère, les eucalyptus et les acacias qui composent la flore forment en certains endroits des maquis enchevêtrés et épineux difficiles à traverser, le bush. Outre les oiseaux et les insectes de toutes sortes, la faune est, pour sa part, caractérisée par une grande variété de marsupiaux et d'iguanidés.
De ce tableau objectif de l'environnement australien, le regard occidental du XIXe siècle retenait avant tout la monotonie, l'aridité et l'aspect peu propice de la faune à constituer des espèces domestiquées. Vu sous cet angle, il était à l'évidence hostile et ingrat. Or, éclairé par le regard aborigène, au fil du quotidien et des récits, cet environnement apparaît au contraire riche et différencié.
Aux écarts de température, très élevées en été, basses en hiver, à l'alternance des époques venteuses et de celles sans vent, se superpose le contraste entre les moments de sécheresse intense et ceux marqués par la pluie. Le rachitisme de la terne végétation fait alors rapidement place à la luxuriance de cette même végétation qui, en reprenant vie, modifie ses couleurs et s'anime, grâce à la réapparition et au rassemblement des espèces jusque-là dispersées ou comme en sommeil.
Le paysage non seulement n'est pas perçu comme uniforme par les Aborigènes, mais encore ils le voient passer d'une immobilité silencieuse à une animation surprenante.A l'irrégularité des précipitations répond le caractère soudain de l'efflorescence des formes vivantes. Là où dans le paysage nous n'apercevons qu'étendues plates, les Aborigènes voient une grande diversité : ruptures apportées par l'apparition ici ou là d'un arbre, d'un buisson, d'un rocher, d'une élévation, de crevasses, de grottes, de trous d'eau, de dépressions argileuses, etc. Cet attachement à l'aspect et au relief du site qui les entoure leur en donne, selon l'expression d'Elkin, « une connaissance photographique ».
Les fluctuations géographiques, climatiques ont influencé certaines différences d’une tribu à une autre dans leur manière de vivre. Pour exploiter au mieux le milieu, il faut se déplacer au fur et à mesure de l'apparition et de la disparition saisonnière des diverses ressources locales. Ce n'est pas un mouvement migratoire en tout sens : chaque groupe a son parcours annuel, il se meut dans un univers connu et ses déplacements ne se font pas au hasard mais en fonction de zones territoriales bien définies. Ces déplacements impliquent un équipement léger. Les abris, huttes de branchages ou de feuilles, sont abandonnés lorsque le camp est quitté ; les grandes meules sont laissées sur place, on les retrouvera lorsqu'on reviendra sur le site ; les petites réserves de nourriture que l'on fait parfois sont également laissées sur place.
Lors des déplacements, les femmes portaient les enfants en bas âge ; les hommes, munis seulement de leurs armes, pouvaient immédiatement donner la chasse au gibier qui se présentait . C'est dans les régions désertiques, où la vie est plus dure, où les déplacements sont plus fréquents et le groupe de taille plus restreinte, que s'imposait le plus l'idée d'un équipement léger.
Chacun était capable d'accomplir toutes les tâches qui incombent à son sexe. Il n'y avait pas d'artisans spécialisés à plein temps, pas de division sociale du travail. La seule division du travail qui s'impose est celle, très marquée, entre les hommes et les femmes. Les hommes s'occupaient de la chasse, de la confection de la plupart des instruments, du travail du bois et de la pierre. Les femmes faisaient la cueillette et s'occupaient des enfants en bas âge. Toutefois il n'est pas rare que les chasseurs ramènaient à l'occasion, à défaut de gibier, des produits végétaux, surtout dans le centre désertique pauvre en vie animale. Inversement, les femmes pratiquaient certaines formes de chasse, mais toujours selon des modalités qui leur sont propres, sans utiliser les armes ,prérogatives des hommes : en assommant le petit gibier, en le déterrant de son terrier au moyen du bâton à fouir comme elles faisaient avec les tubercules, ou en l'enfumant dans les arbres, lorsqu'il s'agit d'un animal arboricole, comme l'opossum.
Le territoire entier de l'Australie était partagé entre quelque 500 tribus, chacune ayant sa culture propre, sa langue, ses coutumes, et son territoire aux limites sinon bien connues des ethnologues, du moins parfaitement reconnues par les intéressés. Chacune de ces communautés territoriales était fragmentée en petits groupes mobiles formés d'une quarantaine de personnes, de composition plutôt variable, mais où l'on trouvait quelques familles ainsi que quelques célibataires apparentés. On a cru longtemps que chacun de ces groupes avait également son territoire comme si celui de la tribu était partagé en autant de districts qu'il y avait de groupes. Mais plutôt que de territoires aux frontières bien définies, les chercheurs s'accordent à parler de zones d'action ou d'aires de nomadisme traditionnelles, certainement préférentielles, mais nullement exclusives. Les groupes étaient mobiles sur leurs terres, mais les individus aussi qui passaient d'un groupe à l'autre en fonction des liens de parenté multiples entre eux. À la belle saison, les groupes fusionnaient, le temps des grandes cérémonies sacrées, le temps aussi des réjouissances, de ces fêtes qui n'avaient pas de caractère sacré et que l'on appelle les corroborée.
Les hommes blancs, commença-t-il, (il s’agit d’un aborigène) commettaient généralement l'erreur de croire que, comme les aborigènes étaient des vagabonds, ils ne pouvaient pas avoir mis en place un système de propriété foncière. C'était une aberration. Les aborigènes, il est vrai, ne concevaient pas le territoire comme un morceau de terre délimité par des frontières, mais plutôt comme un réseau de « lignes » et de voies de communication entrecroisées.
« Tous les mots que nous utilisons pour dire "pays", dit-il, sont les mêmes que les mots pour "lignes". »
Tout cela tenait à une raison bien simple. La plus grande partie de l'intérieur de l'Australie n'était que broussailles arides ou désert. Les pluies y tombaient toujours de façon très inégale et une année d'abondance pouvait fort bien être suivie par sept années de disette. Dans ce type de paysage se déplacer était vital, rester sur place suicidaire. « Mon pays » se définissait comme « l'endroit dans lequel je n'ai pas à demander ». Mais se sentir « chez soi » dans ce pays dépendait de la possibilité qu'on avait de le quitter. Chacun disposait au moins de quatre « chemins de sortie », sur lesquels il pouvait se lancer en temps de crise. Chaque tribu — bon gré mal gré -devait entretenir des relations avec ses voisins.
« Ainsi si A avait des fruits, dit Flynn, B un canard et C une carrière d'ocré, il existait des règles formelles pour l'échange de ces produits et des itinéraires formels le long desquels ces échanges se réalisaient. » Bruce chatwin.le chant des pistes.BIBLIO.
Les migrations ne pouvaient être entreprises qu’à la condition qu’elles soient menées par des personnes connaissant parfaitement les mythes. De fait, chaque endroit est associé à un ou plusieurs êtres mythiques qui l’ont modelé ou qui y ont accompli un acte particulier au cours de leur existence. Ceux qui possèdent les clés de compréhension des mythes connaissent l’époque de l’année à laquelle un site peut offrir les ressources nécessaires à la survie d’un petit groupe
La connaissance des mythes et celle des « savoirs » qui leur sont liés dépend d’un très long et pénible processus renouvelé d’initiation. L’acquisition de ces statuts d’initié donne au jeunes la possibilité de s’unir et de fonder une famille. L’union de jeunes originaires de groupes distants de plusieurs centaines de kilomètres permet l’accroissement du savoir mythologique. Les jeunes, envoyés dans des groupes éloignés, (pour l’initiation et le mariage)acquièrent la connaissance de nouvelles zones de prélèvement et contribuent à augmenter en quelque sorte le capital de connaissance « géographico-mythologique » de leur communauté d’origine. De plus, en gagnant des alliés, les Aborigènes peuvent aisément trouver refuge auprès de populations disposant de ressources plus abondantes que les leurs.
Dans la mythologie, transparaissent, d'une manière tantôt directe, tantôt indirecte, l'utilité et l'importance sociale des animaux, des plantes, des objets, des phénomènes naturels, des événements et des institutions. Il ne faudrait pas croire que les mythes traitent de n'importe quoi; en général, il n'y est question que de ce qui est profitable ou préjudiciable à la société, à savoir : les espèces comestibles, les choses cérémonielles (entre autres, l'ocre rouge, les coquilles nacrées, les churinga), les grands phénomènes naturels tels que la lune, le soleil, la pluie, le flux, le vent et le feu; les insectes et les petits oiseaux qui interviennent d'une certaine façon dans la vie sociale, soit parce qu'ils sont directement mêlés à l'existence de l'homme (moustiques), soit parce qu'ils symbolisent des phénomènes naturels (par exemple, en Australie centrale, le pluvier aux ailes dures et pointues comme des éperons, figure dans les rites en tant qu'oiseau dont l'apparition passe pour être signe de pluie) ; les éléments de la culture matérielle (haches, filets, etc.) ; les institutions sociales et, enfin, tout un ensemble de faits d'un autre ordre, d'une importance considérable pour la tribu, comme l'origine de l'homme, la naissance, la mort. a.p elkin .les aborigènes australiens.
Il existe ainsi de très nombreux sites recelant des ressources en petite quantité dont l’exploitation est codifiée grâce au même procédé. Chaque lieu est rattaché à un autre selon un itinéraire mythologique mental (et qu’expriment les peintures)/Cet itinéraire « cartographie » l’ensemble des zones importantes du désert, marquant les points d’eau, les endroits où trouver tel type d’arbre ou tel gibier. En suivant ces récits, il est possible de retracer le parcours qui relie les zones de prélèvement entre elles. On peut alors migrer dans une région procurant eau, baies et animaux pour nourrir toute une communauté. On comprend dès lors que la plus grande richesse des Aborigènes soit la connaissance des lieux de prélèvement et donc celle des mythes. Aussi une personne peut-elle déduire d’un récit l’existence d’un site sans pour autant s’y être jamais rendue.
On se tromperait pourtant en considérant ces lieux comme offrant uniquement des ressources alimentaires aux Aborigènes. Beaucoup ont d’abord une très grande valeur cérémonielle et jalonnent des « routes » mythologiques parcourues jadis par les êtres fondateurs ,« esprits totémiques (tjukuritja dans le désert central)) du « temps du rêve » (tjukurpa), période pendant laquelle tous les mythes d’origine se sont déroulés .
Au commencement, « au Temps de Rêve », il n'y avait a la surface de la terre, ni êtres animés, ni arbres, ni végétaux, pas même une montagne, une colline ou une chute d'eau. Le monde était une immense plaine unie qui s'étendait sans accidents dans toutes les directions aussi loin que pouvait porter la vue. A un certain moment, il y avait si longtemps que le vieux Nantawana ne pouvait rien trouver qui y ressemblât, arrivèrent les tjukurita, des créatures géantes, semi-humaines, qui semblent avoir pense et agi comme des êtres humains mais dont L’apparence était celle d'animaux, d'oiseaux, de plantes ou d'insectes divers. Ces tjukurita ou ancêtres voyageaient énormément a travers le pays et, la ou ils avaient accompli leurs taches quotidiennes, analogues a celles des aborigènes actuels, allumer du feu, camper, creuser pour trouver de I’ eau, quelque accident naturel émergeait de la terre plate et nue.
Chaque chose au monde, le sol excepté, est le résultat des activités et des courses de ces êtres géants. Le trou d'eau d'Ayers Rock, ou nous remplîmes nos bidons par la suite, était 1'endroit ou avaient campe d'énormes serpents ; la gorge de Nirunya, pays de Jabiata, avait été ouverte aux temps mythiques par Milbili, le lézard, dans sa poursuite de la femme Kutunga ; les dômes immenses de Katatjuta (Mont Olga) avaient ete autrefois les camps des Pungalunga mangeurs d'hommes. Ces grands créateurs des pays aborigenes etaient, simultanément, les ascendants lointains de la tribu ; De sorte que, dans les tribus aborigènes contemporaines, il y a des Hommes-Serpents, des Hommes-Emeu, des Hommes-Fourmis, etc... qui croient tous descendre directement de l’un ou l’autre des tjukurita du très lointain »
Du fait que chacun, dans la tribu, proclame descendre de l’un ou de 1'autre de ces êtres mythiques, les tjukurita et que chacun, aussi, vit dans le pays que ceux-ci ont créé s'ensuit naturellement le fait que tout homme, toute femme ou tout enfant est étroitement lie, a la fois par le lignage et par la légende, avec le milieu qui 1'environne, chaines de montagnes, rochers, arbres, chutes d'eau. Ce milieu est à lui, il est 1'œuvre de ses ancêtres et il est fier de le montrer au visiteur capable de 1'apprécier.CHP. MOUNTFORD hommes bruns et sables rouges. Mythes et rites des aborigènes d’Australie centrale. payot.
Ces » « êtres du Rêve » ont empreint le sol de leur corps pour façonner les reliefs du paysage qui sont des témoignages de leur présence et deviennent en conséquence sacrés. Ils ont assigné aux hommes le devoir d’accomplir des cérémonies pour que ces principes s’incarnent ou se matérialisent en créatures vivantes, en végétaux ou en phénomènes atmosphériques, la pluie notamment
La patrie de chaque groupe local est sillonnée de chemins ou de pistes, d'habitude non indiqués, que jalonnent un certain nombre de sites particuliers aux endroits où un héros a fait telle ou telle chose narrée dans le mythe — il peut s'agir simplement d'un acte ordinaire de la vie de tous les jours ou bien de l'accomplissement et de l'instauration d'un rite. Un tas de cailloux, une pierre levée, une mare ou tout autre accident de terrain, peut marquer le lieu où il fit halte pour se reposer ou encore celui où il disparut pour un temps de la vue. Ailleurs, c'est sans doute l'emplacement où prit fin son voyage, là où son corps fut changé en pierre et où son esprit, dégagé de l'entrave de la matière, vit tout ce qui allait arriver par la suite, à moins que ce ne soit la « demeure » où son âme attend la réincarnation. De plus, les aborigènes croient quelquefois que c'est un héros de ce genre qui a déposé les esprits des enfants dans des « résidences » collectives où ils coulent leur préexistence; de la même façon, par ses rites et ses actions, par le pouvoir aussi dont il était doté, il a transformé certains lieux en centres où se trouvent les principes vitaux et les esprits des espèces naturelles. a.p elkin .les aborigènes australiens.gallimard.
(A SUIVRE)
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