Dieu d’eau, est sans contexte le texte le plus connu et en quelque sorte l’archétype du livre ethnologique fondateur de la notoriété de Dogon, de l’agglomération de villages de Sangha, devenus les Dogon de Griaule et au fil des années dans la vulgarisation folklorique, les Dogon tout court
Il développe une métaphysique qui dépasse les frontières du « monde noir » et qui pourrait ainsi nous expliquer des conceptions qui sont aux sources de notre histoire et de notre culture. « une cosmogonie, une métaphysique, une religion, qui les met à la hauteur des peuples antiques et que la christologie elle-même étudierait avec profit »
Les traces du Zodiaque méditerranéen retrouvées chez les Dogon sont, pour Griaule, la preuve de cette métaphysique fondamentale qui a traversé les millénaires et qui, dans le pays dogon, a mystérieusement trouvé un lieu privilégié de conservation. C’est pour cela que Griaule dit s’opposer aux influences islamiques qui menacent d’appauvrir le fond mythique œcuménique qu’il a mis au jour. Il estime en effet, que la connaissance profonde des Dogon rend possible la découverte de systèmes de pensée qui remontent à des temps dont les modernes ont perdu le souvenir.
Avec Ogotemmêli affirme Griaule — la civilisation dogon apparaissait comme un corps immense dont chaque organe avait sa fonction propre et locale comme aussi celle de contribuer au développement général de la société. Et dans ce corps entraient toutes les institutions. Aucune ne restait en marge et les unes après les autres, les plus aberrantes en apparence, les moins expliquées prenaient place dans un système dont la charpente se montrait chaque jour avec plus de netteté
Mythe et pouvoir :
Gaetano garcia a souligné que la réalité des conversations (négociation » entre l’auteur et son guide n’est sans doute pas une simple décision personnelle de celui-ci mais aussi l’option collective d’un groupe de dignitaires informés des arcanes de la culture dogon. Et que cette « négociation » a eu un « effet » sur forme et contenu transmis : l’enquête ethnographique semble avoir contribué à une sorte de conversion ésotérique, puisque le savoir spécialisé acquiert, dans cette situation, une dignité intellectuelle et une valeur sociale que très probablement il ne possédait pas, du moins en ces termes, avant le questionnement des ethnologues. Un « déballage » de l’information sur certaines institutions culturelles, loin de réduire les connaissances à une vulgate commune, produit d’importantes distinctions en fonction de la capacité des individus ou des groupes à administrer la possession d’informations et à répondre à la demande. Cette hiérarchie secrète traduit une forme de pouvoir et donc, indissolublement, de mystère, ce qui semble avoir produit, dans le cas des Dogon de Sangha, un halo d’ésotérisme.
Logique du pouvoir, le secret l’est en ce qu’il saisit du passé certains évènements qui se rapportent précisément à l'origine du groupe et qui, en tant que tels, constituent les fondements historiques locaux de son identité politique actuelle. A cet égard, la grande réticence de la société à constituer les événements fondateurs en phénomènes historiques montre que, si une partie de l'Histoire dogon est effectivement connaissable par l'anthropologue, le savoir historien n'y trouve pas sa place : un traditionalisme fonde son autorité sur des connaissances secrètes procédant d'une alliance exclusive avec des puissances surréelles qui gouvernent le monde phénoménal Dans ce contexte traditionaliste, il n'est pas possible au récepteur de la tradition de poser un regard critique sur ce qui est transmis. Selon jacky bouju : Ce qui permet aux contemporains de s'affronter par passés interposés, non seulement en choisissant leur ancêtres mais surtout, en choisissant parmi les événements accomplis, ou subis, par les ancêtres ceux dont il importe de garder la mémoire afin de légitimer les positions de domination historiquement acquises.
L’auteur a montré que les pouvoirs locaux dogons se perpétuent ainsi à partir de multiples chaînes de dépendance clientéliste, qui s'emboîtent en unissant, de proche en proche, des débiteurs à des créditeurs , des protecteurs (les premiers occupants fondateurs) à des clients (les derniers arrivés) ou des patrons (les familles conquérantes successives ou aujourd’hui les guides touristiques) à des obligés (les autochtones dominés). Du point de vue politique contemporain la conséquence importante est qu'au niveau local toutes les hiérarchies historiques tendent à se conserver au fil du temps.
« L’important, c’est qui est le maitre des mots !!». levis caroll
La difficulté pour le chercheur tient au fait que l'histoire locale est au service d'une mémoire collective sélectivement construite et réaménagée autour d'événements ancestraux dont les conséquences sont au coeur des enjeux politiques locaux contemporains
Dans notre cas,l ’intérêt de l’ethnologue pour la sphère symbolique ne suscite pas son équivalent pour la sphère « civile » : Griaule ne souhaite pas « entrer dans les chevauchements territoriaux, dans les querelles sans issues, dans les affaires de priorités personnelles, familiales ou tribales, dans les décomptes infinis des ascendances, des droits et prétentions […] L’initiation de Marcel Griaule par le vieillard aveugle lui permet en fait de réaliser un idéal ethnographique, celui d’apparaître comme le seul véritable initié à “ l’ontologie dogon ” qu’il s’attacha par la suite à construire comme le symbole de “ la culture africaine ” et comme signe de son pouvoir d’en décrypter les mythes.
Préstructuraliste, avec Ogotemmêli l’ethnologie atteindrait ce « haut lieu » où se dévoile la transversalité des liens symboliques qui unissent « les institutions les unes aux autres, rite par rite, loi par loi »
S’exprime donc la volonté de construire une altérité culturelle, exotique, en postulant l’homogénéité, la cohérence et la permanence, la “ pureté ” de la culture dogon. Pour en arriver là, il a fallu inventer une “ sagesse secrète ”, présentée comme originale, authentique et complexe, mais qui, chose étrange, n’était pas susceptible d’être expliquée par l’histoire ou l’anthropologie. La rencontre avec a accompli le « miracle » de révéler le point suprême où confluent « les très secrets mobiles des hommes, les enchaînements du réseau, les pourquoi et les comment, les fins mécanismes de la pensée dogon »
Ne sommes nous pas devant une interprétation théâtrale (et elle même mythique) doublement intéressée de la réalité, présentée comme initiation ? L’ethnologue s’élève ainsi au rang d’initié (Dans le livre, l’auteur insiste sur la relation logique entre son acharnement dans la recherche et la confiance qu’Ogotemmêli lui aurait octroyée sept ans après son dernier séjour en 1939,) et l’interlocuteur indigène est dorénavant présenté moins comme un guide-interprète que comme un dignitaire, le docteur d’un savoir.
D’une part l’étude de Gaetano Garcia montre un Griaule, avide de savoir ( très sincèrement humaniste) mais qui reste pris dans le modèle narratif du roman exotique.(« la subsistance d’une grande civilisation disparue ou menacée et l’évocation d’un héros énigmatique par le truchement duquel on accède à une connaissance ésotérique sont les éléments ou les ingrédients primordiaux dans la fabrication romanesque du mystère » La littérature exotique poursuit l’œuvre œuvre d’enchantement du monde à travers une poétique du voyage et de son récit, exprimée par une formule que Jean-Claude Berchet a synthétisée ainsi « […] moi aussi je suis allé en Arcadie ; j’en rapporte même un récit : « Cette insertion du réel [le voyage] dans le champ imaginaire, réactive le mythe, parce qu’il lui donne un nouvel enjeu »
D’autre part , Ogotemmêli : le « maître » complaisant (et peut être manipulateur) à travers une théâtralité voulue (précautions, réticences, silences) joue parfaitement son rôle de gardien face à l’ethnologue complice et qui écrit : « le Blanc et son assistant noir, le sergent Koguem, étaient penchés vers le vieillard comme pour d’effroyables complots » .
C’est le plus ancien article du code, prétendit le roi.
Dans ce cas, cela ne pourrait être que l’article premier, riposta Alice.
Le roi pâlit et s’empressa de refermer son carnet .levis caroll
Les cultures ne sont pas indépendantes des rapports sociaux qui sont presque toujours des rapports inégalitaires. Les différents groupes qui constituent la société se trouvent plus ou moins en position de force ou de faiblesse les unes par rapport aux autres : elles n’ont pas le même degré de reconnaissance sociale .
Pour cette raison, la culture, qu’elle soit « traditionnelle » ou non, constitue toujours une ressource stratégique ou un enjeu pour les acteurs sociaux engagés dans les luttes sociales et politiques.
Petit à petit, la recherche anthropologique a montré que toutes les cultures du monde étaient des constructions sociales et historiques en constant ajustement ; que les traditions n’en étaient pas vraiment ; que les différences culturelles s’effondraient ici pour se reconstruirent ailleurs et autrement ; enfin et surtout, elle a montré l’ancienneté et l’universalité des mélanges entre les populations. la conception unitaire et substantive des cultures exotiques s’est heurtée à la réalité tangible de sociétés qui, comme toutes les autres, sont des agrégats historiques, syncrétiques et contingents, travaillés par d’anciennes et durables coupures idéologiques, sociales et même économiques
En tous temps, les Dogon furent en situation d’interaction avec des cultures voisines et, de ce fait nécessairement confrontés, le plus souvent sur un mode dominant-dominé, aux traditions dont la culture des “Autres” était porteuse. Cette confrontation commence dès la période pré-coloniale, où les Dogon, dominés par les empires musulmans esclavagistes, ont dû faire le choix entre leur tradition et l’islam et construire leur ethnicité.
les visions du monde sont aussi des “ divisions du monde ” (Bourdieu,) qui tracent dans l’espace social des lignes de démarcation entre les pratiques valorisées positivement des uns et les pratiques dévalorisées qui sont, par définition, celles des “ Autres ”. Elles participent pleinement à la construction et à la garde des frontières symboliques de toute collectivité sociale particulière : les cultures servent à poser des limites entre les groupes
Pour affronter cette adversité, la culture dogon a inventé la notion de tradition et s’est réfugiée dans le traditionalisme Les Dogon conçoivent leur culture, comme un héritage, une tradition reçue le dit d’autrefois que l’on a trouvé (en naissant) ” Cet héritage a été transmis selon la coutume la “ voie dogon ”, dont on ne peut s’écarter car elle est entièrement constitutive de l’identité collective. Dans ce système de représentations, la culture, conçue comme un patrimoine transmis héréditairement de génération en génération, est au fondement de l’identité collective .
Le gardien issu de la tradition a pour tache de maintenir l’ordre symbolique en menant la lutte pour imposer les valeurs culturellement légitimes. Ces instances qui détiennent le pouvoir culturel de donner la définition “ politiquement correcte ” du monde cherchent toujours à le conserver. Mais, fort heureusement, le consensus n’est jamais unanime ni définitif : il n’est que majoritaire ! Les querelles de mots manifestent cette opposition entre des représentations divergentes ou contradictoires de la réalité et l’on observe généralement que l’une l’emporte plus ou moins largement sur les autres. Ceci montre bien à quel point les rapports de pouvoir réels sont indissociables de l’activité symbolique de légitimation qui consiste à décrire culturellement et à nommer la réalité. Pour cette raison, l’autorité traditionaliste ne permet pas que soit mise en question son interprétation des valeurs et des normes “ traditionnelles ” et elle interdit toute mise en question de la validité de la tradition. Mais ce faisant, elle empêche aussi que la société fasse l’expérience de la relativité de ses valeurs et de l’aspect conventionnel de sa tradition. Tout discours sur l’authenticité culturelle renvoie finalement à la question de la définition légitime de la réalité. Et cette question est de première importance pour toute société, toute classe, tout groupe ou tout acteur social, car son enjeu c’est le changement ou le maintien de l’ordre existant.
Un dignitaire dogon commence t’il à révéler un secret qu’un autre proteste :( selon jacki bouju)
voilà, c'est ainsi, il ne faut pas parler de ce qui a été dit, nous ne devons pas parler de ce qui a été dit, si en racontant nous avons eu l'audace de parler de lui, maintenant, il ne faut plus en parler ; et puis, il y a lui qui est ici et ce dont il a parlé, le jour du sacrifice au binou, à cause de tout ce qu'il a dit avec sa propre bouche ; lui, le jour du sacrifice au binou, qu'il soit pardonné; à cause de çà, il donnera du bétail, il donnera des poulets ; car lui ne doit parler de ces choses-là! [...]
L’explication du différend est vite donnée
Le secret de ba-binou : c'est nous les Karambé ; nous sommes la descendance de ba-binou [...] Si on veut bien voir, ba-binu c'est une personne et nous sommes ses enfants. Bonogo est avec Dombado son enfant ; la descendance de Bonogo, c'est nous, le clan qui est sorti du Mande
Lire la suite "QUAND LES DOGONS CHERCHENT A RESSEMBLER AUX "DOGONS "(2)" »
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