« Griffon, le sorcier au corbeau, engage une lutte à mort contre un sort jeté sur son client : il demande à la femme de son client de cuire un cœur de bœuf et d’y planter le plus d’épingles possible. La scène se déroule en Normandie, durant le dernier tiers du xxe siècle (Favret-Saada 1977). Sous le soleil brûlant de l’Arizona, un Navajo dissimule soigneusement ses excréments : ceux-ci pourraient permettre à un sorcier mal intentionné d’opérer une attaque foudroyante à son égard (). Pour contrer les attaques de ses adversaires, Din, guérisseur camerounais reconnu, a planté dans son jardin un njum bele. Cet arbrisseau est le plus efficace contre les attaques des sorciers ; dans la forêt, cet arbre fait en effet le vide autour de lui » .fabrice clément l’esprit ensorcelé
Pour l’auteur, ces exemples, bien qu’issus de cultures fort différentes, présentent des similarités problématiques . Dans chacun de ces cas, les comportements décrits renvoient à la croyance selon laquelle certains individus sont en mesure d’infliger, grâce à leurs pouvoirs surnaturels, de considérables tourments à ceux qui ne sont pas en mesure de répondre à de telles attaques. Le terme de sorcellerie est communément utilisé pour désigner l’ensemble des effets néfastes (accident, mort, infortunes diverses) qui résultent de l’activité de ces personnes malveillantes dotées de pouvoirs surhumains (Favret-Saada 1991). Bien que les anthropologues soient très prudents lorsqu’il s’agit de comparer des phénomènes appartenant à des cultures différentes, ils admettent généralement, avec plus ou moins de nuances, son caractère universel (Augé 1982).
L’Historien Carlo ginzburg va justement affronter cette problématique, pour notre continent ,en combinant morphologie et analyse structurale. Son refus des archétypes, d’un inconscient collectif (JUNG) ou des symboles immuables et primordiaux du sacre(Eliade) le conduit à réconcilier structure et histoire. Il va, à la fois, se révéler successeur de l'école romaine d'histoire des religions, dont le représentant le plus connu fut Ernesto De Martino et compléter cette première approche diachronique par une approche structurale. Celle ci lui permettra de combler les immanquables lacunes de sa documentation par une analyse des mythes, des rites, des contes et des légendes, selon le principe émis par Claude Lévi-Strauss qu'un élément absent d'un mythe peut se retrouver, sous une autre forme, dans un conte ou dans un rite. autour de la notion de « formation culturelle de compromis » (résultat hybride d'un conflit entre culture folklorique et culture savante), Il va développer finalement une conception du temps et d’une histoire culturelle proche de de Martino mais aussi des intuitions et des concepts de Warburg, c.Einstein ou Benjamin(constellations et cristallisations, survivances et conflit)
.
« Récemment ,en reprenant dès le titre un essai écrit plus de trente ans auparavant, Lévi-Strauss a insisté — comme à l'époque —- sur les possibilités de collaboration entre historiens et anthropologues. « Même le diffusionnisme, a-t-il écrit, donc, et à plus forte raison toute recherche historique ont une importance essentielle pour l'analyse structurale : par des voies différentes et avec des chances inégales, ces démarches tendent vers le même but, qui est de rendre intelligible, en leur conférant plus d'unité, des phénomènes hétérogènes en surface. L'analyse structurale va même à la rencontre de l'histoire quand, en deçà des données empiriques, elle atteint des structures profondes qui, parce que profondes, peuvent aussi avoir été communes dans le passé»…
« Pendant des années, en partant de la documentation sur les benandanti, j'ai cherché à rapprocher, sur la base d'affinités purement formelles, des témoignages sur des mythes, des croyances et des rites, sans me préoccuper de les insérer dans un cadre historique plausible. La nature même des affinités que je recherchais obscurément ne s'est éclaircie qu’à posteriori. Des études souvent conduites de manière indépendante finissaient en fait par converger. Peu à peu s'est dessinée une constellation de phénomènes assez compacte du point de vue chronologique, spatial et culturel. Il me semblait que les mythes et les rites que j'avais rassemblés désignaient un contexte symbolique où les éléments folkloriques introduits dans le stéréotype du sabbat se révélaient moins indéchiffrables. Mais le doute me venait périodiquement que, en suivant des analogies sans importance, j'accumulais des données dépourvues de sens. »
Au lieu de cercles et d'ellipses (entités par définition soustraites à toute référence d'ordre temporel) j'avais à faire à des hommes et à des femmes : des benandanti frioulans, par exemple. Si je m'étais limité à décrire en termes purement formels leurs transformations graduelles en sorciers, j'aurais fini par négliger un élément décisif : la violence culturelle et psychologique exercée par les inquisiteurs. Toute l'affaire serait devenue absolument transparente, mais aussi absolument incompréhensible. En mettant entre parenthèses, dans l'étude des faits humains, la dimension temporelle, on obtient un tableau, inévitablement déformé, parce que épuré des rapports de force. L'histoire humaine ne se déroule pas dans le monde des idées, mais dans le monde sublunaire où, de manière irréversible, les individus naissent, infligent des souffrances ou en subissent, meurent.
Il me semblait donc que l'enquête morphologique ne pouvait pas (pour des motifs à la fois intellectuels et éthiques) remplacer la reconstruction historique. Elle pouvait cependant la solliciter — surtout dans des régions ou des périodes peu et mal documentées.
En 1992, c.ginzburg publie le sabbat des sorcières, un essai qui propose une relecture radicale du phénomène de la sorcellerie diabolique telle que l'Europe l'a connue à la fin du Moyen Age et au début de l'époque moderne. Pour y parvenir, C. Ginzburg va mettre en œuvre des méthodes inusitées qui vont susciter l’étonnement et le débat des historiens. Comme vu précédemment, dans les deux premiers articles, il s’appuie sur les « indices et les traces ».
"Evoquer les traces, c’est se référer à ce qui subsiste d’un passé. Ces survivances, ces vestiges, ces ruines, peuvent témoigner d’un climat, d’un événement, d’une filiation, d’une activité humaine, d’une culture. Ces traces ont toujours intéressé les hommes dans la mesure où elles matérialisent ce qui a disparu, lui donnent une image, permettent de se le représenter, de l’étudier, de se souvenir, de commémorer, de montrer une évolution en remontant le temps....
...Dans certains cas, des gens demeurent totalement invisibles au sens où ils n’ont rien laissé comme inscription dans le temps. Dans son étude sur la vision du monde d’un meunier frioulan à la fin du XVIe siècle, Carlo Ginzburg écrit : « De Menocchio, nous savons beaucoup de choses. De ce Marcato ou Marco – et de tant d’autres comme lui, qui ont vécu et qui sont morts sans laisser de traces – nous ne savons rien. » Il en tire une différence constitutive entre culture savante et culture populaire, entre écrit et oral. Afin de retrouver la trace de cette culture populaire, il recherche le « détail révélateur », l’indice, en pratiquant « l’histoire au ras du sol » avec variation des échelles pour passer à « l’analyse rapprochée de type microscopique » qui repère des « traces infinitésimales et qui permettent de saisir une réalité plus profonde..."
Jean-Yves Boursier , « La mémoire comme trace des possibles », Socio-anthropologie [En ligne], N°12 | 2002, mis en ligne le 15 mai 2004, Consulté le 01 avril 2013. URL : http://socio-anthropologie.revues.org/index145.html.
Cette méthode consiste, à isoler à l'intérieur de la documentation inquisitoriale des moments où l'accusé exprime sa propre pensée et où l'inquisiteur la note avec fidélité tout simplement parce qu'il ne la comprend pas et, de ce fait, s'avère incapable de la traduire en des termes qui fassent sens dans ses propres systèmes de représentation. C'est à l'historien de localiser ces segments privilégiés et d'en tirer sa matière.
Pour c.ginzburg, La sorcellerie diabolique est d’abord une formation culturelle originale, un objet historique déterminé dont la naissance est parfaitement circonscrite dans le temps comme dans l'espace. Elle s'organise autour d'une croyance, la conviction qu'une secte de sorciers conspire à la destruction de la religion chrétienne, et d'un mythe, le sabbat. L'idée du complot apparaît en 1321, au moment où se clôt l'heureux Moyen Age de l'expansion européenne, où le monde plein, trop plein, est confronté aux premières disettes et aux premières épidémies. Les lépreux sont accusés d'être à l'origine de toutes les difficultés qui assaillent le royaume de France depuis la mort de Philippe IV le Bel et surtout, en gâtant les récoltes, en empoisonnant les puits, de vouloir s'emparer du pouvoir. La rumeur part du Languedoc et, un peu partout, les lépreux sont brûlés. Presque aussitôt, cette même accusation atteint les juifs, soupçonnés de s'allier aux musulmans d'Espagne pour renverser le christianisme. La chasse anti-juive bat alors son plein jusqu'à l'expulsion définitive des juifs du royaume en 1323. L'idée du complot juif refait surface en 1347 au moment de la terrible saignée de la peste Noire, mais elle est confinée là où se sont regroupés les juifs expulsés, dans le Dauphiné, les Alpes occidentales, la vallée du Rhin, où les inquisiteurs chassaient déjà depuis longtemps des hérétiques, les vaudois. Jusque-là, même si elle est absurde, la croyance au complot touche des groupes réels, lépreux, juifs, hérétiques.
« C'est ainsi que la notion préexistante d'un ennemi interne, complice et instrument d'un ennemi extérieur, prend corps, pour la première fois dans l'histoire de l'Europe, dans une persécution féroce. En examinant à la fois des chroniques, des confessions extorquées sous la torture, des preuves fabriquées à dessein, on ne conserve aucun doute sur le fait que deux complots ont bien été tramés alors en France par les autorités laïques et ecclésiastiques : l'un contre les lépreux, l'autre immédiatement après, contre les juifs »….
Cette idée du complot va alors s’étendre et se matérialiser, dans la deuxième moitié du 14e siècle, sur un groupe imaginaire, celui des sorciers. Les premiers documents signalant une répression à l'égard de ces sorciers remontent aux alentours de 1375, dans cette même région des Alpes occidentales. Cette localisation a une grande importance pour C. Ginzburg. Les Alpes occidentales furent le berceau de la sorcellerie diabolique parce qu'elles furent aussi un conservatoire particulièrement fidèle de vieilles croyances. Quant au mythe du sabbat, on en connaît les traits. Selon la tradition, les contes, les légendes, mais aussi la démonologie des inquisiteurs, le sabbat est célébré dans une clairière, une lande, à un carrefour, de nuit dans un endroit désert, près d’une source ou d'une fontaine, ou en un lieu offrant une particularité topographique, tel qu’un sommet de colline, un rocher ou un amas de pierres, ou encore un lieu connu depuis la préhistoire, comme un dolmen, ou simplement un grand arbre séculaire, toujours dans la nature et en contact avec elle. Sorciers et sorcières se rendent la nuit dans un lieu reculé pour adorer le Diable qui leur apparaît sous la forme d'un homme ou d'un animal grotesque. Cette réunion nocturne se termine par des orgies, des accouplements monstrueux et des scènes d'anthropophagie rituelle. Soumis à cette initiation, les sorciers sont désormais investis de ces pouvoirs maléfiques qui leur serviront à nuire à la société des hommes.
C. Ginzburg estime que le sabbat est nourri d'éléments d'origines diverses et qu'il constitue une mesure de compromis entre la culture des clercs et la culture populaire ou folklorique. Il ne nie pas le travail de réélaboration effectué par les intellectuels, mais il décèle des thèmes qui ne collent pas avec l'économie générale du mythe. Ce sont les vols magiques des sorciers et les récits de métamorphose en animaux. Pour lui, ces éléments témoignent de la persistance, dans l'Europe médiévale, de cultes ou de croyances que les clercs découvrirent sans même les comprendre, ou sans vouloir les comprendre, et qu'ils masquèrent sous le schéma univoque et réducteur du sabbat au moment de la la peste Noire..
« Mais le stéréotype du sabbat qui est apparu au milieu du XIVe siècle dans les Alpes occidentales, laisse affleurer aussi des éléments folkloriques étrangers à l'image inquisitoriale, et répandus sur une aire beaucoup plus étendue. Les historiens de la sorcellerie, nous l'avons vu, les ont généralement ignorés. Dans la majeure partie des cas, ils ont déduit, de façon implicite ou explicite, l'objet de leurs recherches des catégories interprétatives des démonologues, les juges ou des témoins à charge Dans une société traversée par des conflits (c'est-à-dire, peut le supposer, dans n'importe quelle société), ce qui est mal pour un individu peut être considéré comme un bien par son ennemi : qui décide de ce qui est « le mal » ? Qui décidait, lorsqu'en Europe on donnait la chasse aux sorcières, que telle ou telle personne était « sorcière » ou « sorcier » ? C.G. le SABBAT
A partir de cette localisation historique et géographique ,l’auteur va développer un deuxième aspect important du livre en reprenant une idée ancienne ,émise par l'anthropologue anglaise Margaret Murray, selon laquelle la sorcellerie tirerait son origine d'un vieux culte païen voué à Diane. Cette hypothèse n'avait jamais été vraiment acceptée par les historiens, mais si C. Ginzburg s'en inspire, c'est pour la pousser plus loin et, surtout, l'affiner. A cet effet, il s'appuie sur son expérience frioulane qui avait donné matière à son premier livre, les batailles nocturnes ,les procès des Benandanti (cf. article précédent). A la fin du 16e siècle, les inquisiteurs chargés de réprimer l'hérésie en Frioul découvrent d'étranges croyances auprès des paysans de la région. Certains d'entre eux, des hommes, se proclament benandanti. Ils assurent que plusieurs fois dans l'année, lors de la nuit des Quatre Temps, ils tombent en extase et que leur esprit va combattre, sous la direction d'un jeune capitaine, les sorciers au champ de Josaphat. De cette lutte dépend la réussite des récoltes : Tous ces benandanti jouissent d'une qualité physique particulière : ils sont nés « coiffés », ce qui les prédispose à devenir benandanti et ce qui leur vaut de bénéficier de pouvoirs surnaturels, essentiellement thaumaturgiques. Parallèlement, une autre croyance veut que certaines femmes, après être tombées elles aussi en extase, parcourent la campagne pendant la nuit à la suite d'une divinité féminine, appelée selon
les cas Diane, Perchta, Bona Dea, Epona ,la Bonne Maîtresse, et qu'au retour de ces folles chevauchées elles pénètrent dans les maisons, percent les tonneaux de vin et vident les garde-manger. Toutes ces croyances se rapportent à un même ensemble mythologique, associant culte des morts et culte de fécondité, et qui est attesté dans les textes médiévaux par la légende de la « mesnie (chasse) sauvage ». Peu à peu, sous la pression des inquisiteurs, les benandanti sont assimilés à des sorciers, les chevauchées sauvages aux vols magiques, les combats contre les démons au sabbat. Vers le milieu du 17e siècle l 'assimilation est accomplie et les vieilles croyances aux cultes de fécondité pratiquement éliminées.
"J'ai déjà dit pour quels motifs les procès frioulans me sont apparus comme une fissure dans la croûte épaisse et apparemment indéchiffrable du sabbat. Ils laissent apparaître deux thèmes : les processions des morts et les batailles pour la fertilité. Ceux qui déclaraient y participer, en extase, étaient, dans le premier cas, surtout des femmes ; dans le second, en majorité des hommes. Dans les deux cas ils se définissaient eux-mêmes comme benandanti. L'unicité du terme révèle un fonds de croyances communes : mais alors que les processions des morts sont à l'évidence liées à des mythes répandus dans une grande partie de l'Europe (les sectateurs de Diane, la « chasse sauvage »), les batailles pour la fertilité m'étaient apparues, dans un premier temps, comme un phénomène limité au Frioul. Avec cependant une exception extraordinaire : un vieux lycanthrope (loup garou) livonien, qui, à la fin du XVe siècle, avait avoué se rendre périodiquement la nuit avec ses compagnons pour combattre les sorciers, afin de reprendre les germes des fruits de la terre que ceux-ci avaient subtilisés. ..Mais le constat, que l'on ne peut éluder, de l'unité sous-jacente aux deux versions du mythe des benandanti — la version agraire et la version funèbre — exigeait une comparaison infiniment plus large. Dans les deux cas, en effet, l'évasion de l'âme hors du corps — vers les batailles nocturnes ou vers les processions des âmes errantes — était précédée d'un état cataleptique qui suggère irrésistiblement une comparaison avec l'extase chamanique. De façon plus générale les tâches que s'attribuaient les benandanti (le contact avec monde des morts, le contrôle magique des forces de la nature pour assurer la survie matérielle de la communauté) semblent caractériser une fonction sociale très semblable à celle qu'exercent les chamanes."
Fort de cette expérience, l'auteur entreprend une longue chasse sur la trace d’éléments qui s'intègrent mal au stéréotype du sabbat, comme les voyages extatiques à la suite d'une divinité féminine, les combats en extase, les déguisements sous forme d'animaux, les batailles rituelles de fécondité, les apparitions des morts, bref toutes ces anomalies qui, pour l'historien, sont autant d'indices et de pistes à suivre. Au terme de ce long voyage à travers le continent eurasiatique et à travers le temps, il aboutit à la conclusion que tous ces thèmes mal camouflés par la sorcellerie diabolique se rattachent à un même contexte religieux, bien connu des ethnologues, celui du chamanisme sibérien. Les peuples des steppes vénèrent en effet une divinité de la chasse qui leur assure du gibier en abondance. Et certains individus, marqués à leur naissance par une particularité physique —ils sont nés « coiffés » ou souffrent d'une déficience, comme le fait de boiter— accomplissent en rêve des voyages initiatiques auprès de cette divinité, qui sont aussi voyages au pays des morts. Ils acquièrent ainsi le pouvoir de guérir les maladies ou de révéler les choses cachées. ce sont ces hommes que les Toungouzes de Mongolie appelleront chamanes.. L'auteur émet donc l'hypothèse que, derrière la sorcellerie diabolique, se cachent d'anciens rituels chamaniques rendus à des divinités funéraires et fécondantes. Une vertigineuse remontée nous entraine alors dans le temps à travers les sources littéraires et archéologiques, et aboutit ainsi aux confins de notre histoire, dans les steppes du nord de la mer Noire. C'est là que, chassés du plateau iranien par les Perses, vers les 8e-7e siècles av. J.-C. s'installent les Scythes, un peuple nomade qui a noué des contacts avec les populations mongoles. Les Scythes transmettent leurs cultes extatiques aux Celtes et aux Grecs, leurs voisins, qui leur empruntent ainsi la divinité de la chasse, fécondante et funéraire (!'Artémis grecque, la Diane romaine, les Mères celtiques) et des héros mythologiques dont les récits rappellent étrangement les voyages initiatiques des chamanes sibériens (Œdipe, Dionysos, Thésée).
Nb ce chapitre spécial fera l’objet de l’article suivant autour du thème de l’unijambiste, d’Œdipe à cendrillon
« En proposant la notion de « représentation claire » (comme alternative aux explications génétiques de Frazer, Wittgenstein souligne la nécessité de trouver des « connexions intermédiaires ». Dans notre cas, ceci implique l'adoption d'un point de vue résolument comparatiste. Pour les benandanti « funèbres » qui assistent en rêve aux processions des morts, deux enchaînements ou parentés sautent aux yeux immédiatement. D'un côté, avec les témoignages axés sur le mythe de l'armée sauvage ou furieuse () ou sur la troupe des morts, guidée généralement par une divinité masculine : Herlechinus, Odin, Hérode, Artus, etc. De l'autre, avec les témoignages (surtout le fameux Canon Episcopi) sur les femmes qui rêvent de voler la nuit, à cheval sur des animaux, à la suite de Diane «, ou d'autres divinités féminines (Holda, Perchta, Hérodiade, etc.). Tout cela constitue un dossier relativement épais, en substance franco-germanique, avec une importante ramification dans la plaine du Pô. Mais ce second dossier s'épaissit à son tour, jusqu'à comprendre une foule de personnages bien enracinés dans la culture folklorique européenne : zduhaci balkaniques, tâlltos hongrois(nés coiffés ils sont supposés quitter leur corps sous l’apparence d’une mouche, d’un crapaud, d’un insecte ou d’un chien pour errer la nuit), mazzeri corses(personnes qui en rêves voient les décès à venir et s’affrontent tous les ans dans des batailles a coups de tibias,) burkudzàutà ossètes, loups-garous baltes, chamanes lapons et sibériens. Que possèdent en commun ces personnages, énumérés ici de façon sciemment désordonnée ? Tout d'abord certes, ils sont les intermédiaires entre le monde des vivants et celui des morts qu'ils rejoignent au moyen de la léthargie et de l'extase. Mais cette sorte de réponse pourrait créer une équivoque, surtout à cause de la présence des chamanes dans cette troupe bariolée. On pourrait penser que le fil conducteur qui relie toutes ces figures est purement (et génériquement) typologique : après tout, des figures de médiateurs avec l'au-delà, de « chamanes » au sens vague du terme, ont été retrouvées dans les cultures les plus disparates. La ressemblance que j'ai retrouvée est au contraire spécifique, de même qu'est spécifique la référence aux chamanes de l'Eurasie, qui a d'ailleurs déjà été proposée pour plusieurs de ces personnages, en particulier pour les tâltos. .. Il suffira de souligner pour le moment que l'existence d'un lien profond permet d'approcher des variantes en apparence divergentes. Ainsi, les prédestinés au voyage extatique sont des individus nés avec certaines particularités physiques (coiffés comme les benandanti, avec des dents comme les tâltos, etc.) ou à des périodes de l'année déterminées (les douze jours durant lesquels on pensait que le vagabondage des morts était plus fréquent) ; il s'agit parfois, au contraire, des individus qui ont surmonté des épreuves initiatiques déterminées. Le voyage extatique se fait généralement à cheval sur des animaux ou grâce à la transformation en animaux : mais on voit apparaître aussi des véhicules de remplacement, comme des épis, des bancs et des escabeaux (chez les Ossètes, ou à Mirandola, près de Modène) et naturellement des balais. Durant l'extase, les intermédiaires combattent avec des personnages diversement nommés (presque toujours sorciers ou morts) et pour des fins variables : la fertilité des champs, la victoire sur les maladies, la connaissance du futur. Il s'agit de capacités reconnues socialement, même si — sauf dans le cas des chamanes — le voyage extatique se fait en privé plutôt qu'en public".
"Le stéréotype du sabbat représente donc la fusion de deux images distinctes. La première, élaborée par la culture savante (juges, inquisiteurs, démonologues) était centrée sur la croyance en une secte hostile, inspirée par le diable, dans laquelle on entrait après avoir renoncé à la foi et profané la croix et les sacrements. La seconde, enracinée dans la culture folklorique, reposait sur la croyance en d'extraordinaires capacités d'individus déterminés, hommes et femmes, qui rejoignaient en extase, souvent sous forme d'animaux ou à cheval sur des animaux, le monde des morts, afin de procurer prospérité à la communauté. Comme nous l'avons vu, cette seconde image était infiniment plus ancienne que la première et diffusée dans une zone infiniment plus vaste. Elles se fixèrent dans les Alpes occidentales, un peu après 1350. Il est très possible que la convergence entre ces complexes culturels si différents ait été facilitée par la présence, dans la même zone et à la même époque, de groupes hérétiques vaudois. Les doctrines originelles de ces groupes s'étaient en effet mêlées depuis longtemps, soit à des traditions folkloriques locales, soit à des croyances dualistes de type cathare provenant d'Europe centre-orientale, qui se prêtaient à être interprétées comme des cultes diaboliques. L'intervention des inquisiteurs porta tous ces éléments dispersés à la température de fusion. C'est ainsi que naquit le sabbat. »le sabbat des sorcieres
nb : CITEES par ginzburg :
Frau Holda est la déesse Mère du monde, la maîtresse de la mort, de l’initiation et de la renaissance ; elle règne sur le royaume chtonien de Hel ou d’Annwvyne. En Allemagne on l’associe étroitement à la Chasse Sauvage, la chevauchée des puissances de la mort .La Déesse des Sorcières indo-européenne originale est Kolyo « la Protectrice » - on peut l’assimiler à la Reine funèbre de l’Autre Monde des indo-européens dont descendent divers personnages la Nymphe grecque Calypso.(l’odyssée)
Perchta est à l’origine une déesse de la végétation et de la fertilité. Elle possède plusieurs noms selon les régions : Berchta, Frau Holle. Elle est la déesse de l’hiver. Dans le folklore des Alpes (surtout le folklore bavarois, autrichien et suisse), Perchta est dite errer dans les campagnes durant l’hiver. Lorsque arrive la douzième nuit de la fête de Yule (autour du 31 décembre), elle entre dans les chaumières. Là, elle sait d’emblée si les enfants et les jeunes se sont bien conduits pendant la dernière année et s’ils ont bien travaillé. Elle se promène accompagnée des Perchten, créatures monstrueuses, symbolisant les forces démoniaques de l’hiver et des intempéries.
Epona longtemps comprise comme latine est une déesse celte (son nom vient de cheval-equus dont elle est la protectrice) .Beaucoup de monuments représentent Epona tenant une corne d'abondance ou un panier de fruits. Ses attributs et sa longue robe la rapprochent aussi des déesses mères gauloises. Certains lui ont aussi donné un rôle en rapport avec la mort, elle serait l'accompagnatrice des âmes. En effet, le cheval est souvent considéré comme l'introducteur de l'âme du défunt dans l'au-delà. On peut aussi revoir une survivance d'Epona sur les chapiteaux romans représentant la "Fuite en Egypte" : la vierge y est représentée à cheval, en amazone, un tabouret sous les pieds, tout comme l'Epona gauloise.
A suivre
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