ESPACES DE CULTURES ,ANTHROPOLOGIE,PHILOSOPHIE,VOYAGES...
SUIVEURS DE PISTES,DE SAISONS ,LEVEURS DE CAMPEMENTS DANS LE PETIT VENT DE L'AUBE ; Ô CHERCHEURS DE POINTS D'EAU SUR L'ECORCE DU MONDE. Ô CHERCHEURS,Ô TROUVEURS DE RAISONS POUR S'EN ALLER AILLEURS"...
SAINT JOHN PERSE .ANABASE.
"Il était une fois un président ami des indiens.
"
Aussi reçut-il en grande pompe à l'Elysée des délégués Yananomami, ce peuple de chasseurs et de jardiniers de la forêt amazonienne. Sans doute était-ce un peu bizarre, ces indiens en coiffure d'aras et labret au milieu des ors de l'Elysée. On pardonnera au président d' avoir gratifié un de ses invités du titre de "cacique», (chef ou roi). Habitué à la monarchie républicaine ,il ignorait sans doute que ces "primitifs" n'ont pas de chef mais des hommes influents dont le seul pouvoir est la parole ;chez ces « sauvages » les décisions sont collectives.Ce détail ne figurait pas sur les fiches remises au président avant l'entrevue. Ni lui ni ses conseillers ne pouvaient envisager bien sûr un tel exotisme contraire à toute raison..
Pourtant le président fut parfait: il fustigea, comme il se doit, les Brésiliens qui au nom de la croissance et du progrès, voulaient construire un barrage et continuaient à détruite leur immense forêt. Il promit son aide aux indiens. Les indiens hochèrent la tète, habitués qu'ils sont depuis leur rencontre, à écouter d'une seule oreille les promesses des « blancs ».
Dans le pays du président il y avait aussi des sortes de « primitifs » : certains sillonnaient les routes depuis des siècles, toujours regardés avec méfiance par les sédentaires,
.Il étaient souvent misérables mais se transmettaient de génération en génération une culture et des traditions. On n'aimait pas leur proximité mais on écoutait volontiers leur musique .Il fut même un temps où l'on chantait sur les ondes"mon pote le Gitan" mais ce temps était révolu.Le président se disait volontiers « normal ». Aussi pensait il à l'insécurité que ces peuplades engendrent des qu'ils sont à proximité d'un village et surtout d'un parking de supermarché où ils devaient souvent camper, faute de terrains.. Heureusement le président avait un ministre au grand cœur, préoccupé de la sécurité du bon peuple..Aussi chargea-t- il celui-ci d'expulser tous ces gens et de les renvoyer de route en route vers leur lointain pays. mais comme il se disait volontiers "de gauche", il ajouta aussitôt que le travail devait être accompli avec "humanité".
"On ne pouvait quand même pas ,dit le ministre, accueillir tous les Roms du monde", paraphrasant ainsi un des illustres vieux sages de la gauche "molle" . Tant pis, si le président avait auparavant dénoncé comme barbare la politique pourtant identique de son prédécesseur..On l'aura compris,, le président n'était pas un indien accordant un caractère sacré à toute parole mais le grand « cacique » d'un pays civilisé.
Dans le pays du président, il y avait un coin de forêts et d'eau. Un nom bizarre, Notre Dame des Landes qui évoquait la terre bretonne. Ce n'était pas la forêt amazonienne mais quand même des chênes et des hêtres centenaires, des étendues d'étangs et de marais où vivait une faune évidemment inutile. Il n'y avait plus de chasseurs cueilleurs mais des « jardiniers » à l'instar des indiens, qu'on appelait parfois « Paysans bios ».Le premier ministre du président n'était pas brésilien mais il il partageait la même idée de la croissance et du progrès. Il avait aussi des visions grandioses , comme en ont les indiens : dans son rêve il entrevoyait non des forêts, des jaguars et des singes hurleurs mais une immense étendue de Béton, d'où s'envoleraient des myriades d'avions.Chacun a ainsi les rêves qu'il mérite.
Il détestait le nom du lieu évoquant des landes sauvages ; il détestait ses habitants primitifs , évoquant facheusement d'anciens gardiens de moutons d'un désert, nommé Larzac, . Ceux ci,contre tout bon sens étaient restés obstinément à l'écart du progrès, au point ,qu'ils avaient fini par lasser le pouvoir et garder leurs désert. Les « primitifs », cette fois étaient à portée de la belle cité dont il avait été le cacique.le premier ministre ne tolérait pas d'atteintes à son pouvoir. Des pouvoirs, il en avait,au contraire, entassé de multiples au fils du temps(dans le beau pays de France, on appelait cela cumul).
On l'aura encore une fois compris ,ce n'était pas un indien dont la parole magique ,source du prestige, s'évanouit à l'aube avec les feux de camps;c'était le second cacique d'un pays civilisé.
Il connaissait bien l'histoire de la civilisation:des poignées d'indiens avient occupé inutilement d'immenses étendues, adorant le soleil ,le vent ou ,je ne sais quoi, sans jamais s'intéresser au sous sol. Aussi chaque fois qu'on y préssentait de l'or,du pétrole ou le dernier bien précieux appelé "gaz de schiste", on envoyait la troupe expulser les sauvages vers d'autres contrées plus inhospitalières. Ici ces sauvages contrariaient sa vision d'homme d'Etat: celle ci s'agrandissait pourtant à l'échelle d'une immense ville, dévorant tout le territoire, se développant sans cesse.. Au fil des routes ,des files de camions, toujours plus nombreux, pendant que des avions, toujours plus nombreux sillonneraient le ciel.Ce qui resterait ne serait plus que terre vierge sans jardiniers où il pourrait sans contrainte épandre les déchets et les boues de sa ville,au lieu de devoir louer des terres agricoles pour le faire.
On était en crise économique mais le premier ministre avait trouvé tous les crédits nécessaires pour concrétiser son hallucination.Tant pis si dans le Nord du département ,désespérément agricole, 2000 camions traversaient des petits villages chaque jour, au point que les vitres des écoles en bordure tremblaient de partout;là on n'avait plus de crédit pour contourner ces villages.
Pour mettre enfin au pas tous ces archaïques, Il envoya alors des sortes de cosmonautes casqués et encagoulés, chasser les jardiners et décida de raser les forêts, de combler les étangs .Ses shamans(qu'en France, on appelait technocrates),lui certifièrent la bienveillance des "esprits banquiers" et du dieu CROISSANCE dès lors que les Airbus remplaceraient,vaches,hérons et poules d'eau.
Comme les indiens ,comme les bergers du Larzac, les "jardiniers" décidèrent ,contre toute raison, de se soulever et d'alerter le monde sur la confiscation de leurs terres.
Il avaient compris le message des indiens, mieux que le Président.
Au dernière nouvelle, la présidente du Brésil envisage de recevoir les "jardiniers "pour fustiger l'ethnocentrisme et la folie destructrice des francais.A l'instar du président,va t-elle cette fois encore promettre son aide?. On peut le croire....C'est,en effet, bientôt NOËL.
Les dieux lacandons sont ainsi des personnifications de forces naturelles ; d'autre part, ce sont des pouvoirs surnaturels qui entrent en rapport entre eux, et en rapport avec l'homme au sein d'un univers hiérarchique . Ce trait de la mythologie lacandone se retrouve dans d'autres cultures mésoaméricaine. Il en est de même de leur conception cyclique du Temps, en particulier l'idée d'une succession de créations et de destructions du monde. Celle-ci commence, en général, par une éclipse du soleil qui plonge la forêt dans l'obscurité totale. Les hommes ont beau supplier les dieux, et brûler du copal dans leurs encensoirs, ils ne peuvent empêcher les jaguars du ciel et du monde souterrain de les poursuivre et de les dévorer. Celles et ceux qui sont vierges sont emmenés à Yaxchilán où Hachákyum, le créateur et dieu principal, les fait décapiter. Avec leur sang les dieux peignent leurs maisons. Ce mythe dépeint les dieux comme des êtres sanguinaires qui se, délectent à l'odeur du sang humain ; et il évoque les sacrifices humains pratiqués par les Mayas de l'ère postclassique.
Les âmes des hommes sacrifiés lors de la fin du monde sont envoyées au niveau le plus élevé du cosmos où il fait toujours nuit. Les Hach Winik croient que la fin du monde actuel est proche. Au demeurant, plusieurs familles lacandones se sont converties au christianisme pour que, lorsque adviendra la fin du monde, leurs âmes aillent au ciel « avec Jésus », au lieu d'avoir à souffrir les ténèbres, la peur, et le froid pour l'éternité.
J'ai exploré, près du caribal le plus méridional, une série de grottes où les Lacandons ne se sont aventurés qu'avec crainte. Que ces cavernes aient été habitées, on en tout cas utilisées, par une population indigène antérieure aux Lacandons actuels et dont ceux-ci ignorent tout, c'est ce que tendraient à prouver des vestiges tels qu'une céramique beaucoup plus perfectionnée que celle de nos Indiens, ou encore des murettes de pierres fort bien ajustées construites à l'entrée de certaines salles hypogées. C'est l'eau fortement sulfureuse d'une source voisine qui a creusé dans la masse d'une colline un labyrinthe que nous n'avions ni le temps ni les moyens de fouiller. L'air y est oppressant, presque irrespirable. Nos compagnons indiens étaient persuadés que nous les avions entraînés dans le royaume de Kisin : l'un d'eux, Bor, jeune homme d'un caractère instable et emporté, me fil une scène violente, vociférant que nous allions tous mourir, mais, quand la vengeance du dieu se fit attendre et qu'aucun malheur surnaturel ne fondit sur nous, notre prestige parvint à son comble et Bor ne dédaigna pas d'en tirer quelque peu pour lui-même.
Comme on le voit dans la « Bible » des Quiche, Indiens maya du Guatemala le monde souterrain que ces indigènes appelaient Xibalba a toujours exercé une profonde fascination sur leur imagination. Le « sage » Tchank'in Maash que j'ai mentionné plus haut ne tarissait pas de récits sur ce domaine de l'ombre où coulent côte à côte des ruisseaux glacés et des rivières de feu, où K'in, le soleil, devenu un héros mythico-historique, déjoue les embûches de Kisin, de même que, dans l'antiquité quiche, d'audacieux explorateurs des enfers triomphaient des obstacles magiques dressés sur leur chemin par les maîtres des ténèbres.
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C'est au carabal de San Quentin que j'ai eu la révélation dramatique de ce que signifie pour un Indien le mythe du dieu mauvais.
Le chef du groupe était un vieil homme placide, robuste, aux membres noueux. Il possédait la case la plus spacieuse du hameau et, dans le temple bien construit, présidait gravement aux cérémonies. Il avait deux femmes, dont la plus âgée, privilège très important, « savait » préparer le k'ayem pour les dieux, c'est-à-dire incorporer à la fabrication de cette bouillie de maïs les gestes et les formules sans lesquels l'offrande ne serait pas acceptée avec plaisir par les êtres surnaturels. Mordu au pied par un serpent à sonnettes, il avait supporté sans se plaindre, serrant les mâchoires tandis que ses yeux se remplissaient de larmes, l'opération rudimentaire que j'avais pratiquée sur lui avec une lame de rasoir et de l'alcool. Et voilà qu'il évoquait ses souvenirs : sa vie n'avait été qu'une longue fuite devant la maladie, les fleuves débordés, les flèches d'autres Lacandons hostiles, une lutte incessante contre la faim et les éléments. Soudain il décrivait l'épidémie qui s'était abattue sur le groupe dont il faisait partie — au moment, me semble-t-il, où la « grippe espagnole » ravageait le monde après la guerre de 1914-18. Haletant, martelant les dures syllabes maya, il retraçait avec un sifflement le vol meurtrier des flèches de l'archer invisible qui transperçaient les hommes, les convulsions, les râles des mourants. « Kisin ! Kisin ! » Aussitôt me revint à l'esprit le début de l'Iliade, où les flèches d'Apollon sèment la mort dans le camp des Grecs.
L'idée qu'un sagittaire divin frappe de ses traits les victimes de certaines maladies est commune à plus d'une culture : chez les Aztèques, c'était le dieu de l'Etoile du Matin, le « Seigneur de la Maison de l'Aube » qui, à certaines dates du calendrier divinatoire, s'acquittait de cette sinistre tâche.- JACQUES SOUSTELLE. LES QUATRE SOLEILS.TERRE HUMAINE
les Lacandons ont face à leurs morts une attitude divergente par rapport aux autres groupes yucatèques. Si certaines croyances sont communes, pour les Lacandons la fin de la période liminale met un terme à la relation entre vivants et morts. Jusqu'à cette date, l'âme du défunt est en étroite relation avec son corps qui permet de la nourrir ; des règles de commensalité l'intègre encore dans le groupe familial, même si, déjà, la tombe érigée dans la forêt et la volonté de tenir le mort à l'écart présagent la rupture prochaine. Lorsque celle-ci a lieu, l'âme rejoint l'espace des morts, un univers totalement dissocié de celui des vivants. Autrefois, comme le relatent les mythes des passages reliaient les deux mondes, c'est par là que des hommes se sont rendus au royaume des morts et c'est grâce à leurs témoignages que l'on connaît son existence. Puis ces passages ont été fermés. Les morts vivent en communauté, chez Mensabäk (dans l'inframonde) ou chez les Wayantekob (au ciel), et jamais ils ne sont amenés à revenir parmi les vivants.
Le terme pixan que l'on traduit par les mots « âme », « esprit », désigne en lacandon l'essence, ou la part spirituelle d'un être vivant ou d'un objet. Dans le cas d'un être humain — ou d'un animal — c'est le principe de vie dont la présence dans l'organisme se manifeste par le pouls et les battements du coeur.
Par extension le terme désigne aussi le coeur, les vaisseaux sanguins, et même les poumons et la poitrine. Le pixan a la faculté de quitter son enveloppe corporelle ; il en prend alors l'apparence, et devient le double du corps. Quand une personne endormie rêve c'est que son âme est partie se promener, et les images du rêve sont ce que voit le pixan. C'est aussi le cas du malade fiévreux qui délire. L'âme peut aussi quitter et réintégrer le corps à loisir. C'est le privilège de certains hommes, sortes de shamans qui ne doivent pas avoir de femme mais qui en échange peuvent se promener sur les « chemins menant au ciel ; ils ont le privilège de guérir les maladies. Si son absence se prolonge, si l'âme ne revient pas, celui-ci mourra pourtant . Le pixan, en tant que double du corps, séparé de lui et menant une existence autonome, est immortel.
Chez les Lacandons septentrionaux, il existe trois parties différentes qui composent l'individu : le pixan, siégeant dans les poumons, peut être considéré comme « l'âme » ; le kisnin, « les veines des bras et des jambes », a souvent le sens de « spectre » ; le sol, « l'enveloppe », renvoie au corps. Dans le rêve et lors de la mort, le pixan sort du corps tout en conservant exactement son image. Le cœur est dit ne chi'k yum in pixan, « le grand seigneur de mon pixan » et les poumons hach in pixan, « mon vrai pixan ». Le corps est qualifié de u nah winklil : « son grand propriétaire/ possesseur » (de nah « grand » et u winklil, « son propriétaire »). Au moment de la mort, les Lacandons disent généralement tu sol-in-t-ah u bäh, expression utilisée pour désigner la mue du serpent et qui signifie littéralement : « il ou elle a enlevé sa peau/son enveloppe ». De même, lorsque quelqu'un est sur le point de trépasser dans son hamac, certains disent que seul son sol « couverture ») est là, alors que son pixan est déjà parti Notons que les Lacandons du Nord pensent qu'il existe une seconde âme (ka' pixan) vivant dans l'inframonde sous la forme d'un singe-araignée. Si elle est tuée comme gibier par Kisinle seigneur de l'inframonde (Metnal), l'individu dont elle est le double meurt également.
le terme s'applique aussi aux offrandes. Les dieux « mangent » le pixan de l'encens qui est brûlé pour eux. Ils« mangent » le pixan de la nourriture cérémonielle ; ils « boivent » le pixan du ba'che', du gruau de maïs. En somme les dieux consomment l'essence de ces offrandes, tandis que les hommes en consomment la substance. Le pixan est donc ce qui reste d'une offrande, d'un animal, ou d'un être humain après leur destruction physique. La mort est due à l'action divine. Lorsqu'une faute grave a été commise les dieux refusent tout compromis, toute médiation ; et si le coupable ne parvient pas à « voir » son péché Hachàkyum ordonne à Mensabàk de prendre son âme, à moins qu'il ne prenne celle de sa femme ou celle d'un de ses enfants.
« Chez les Lacandons, au contraire, c'est un membre de la famille qui se charge de préparer le cadavre. Il est vrai que le mode de résidence en famille restreinte (le mari, ses femmes et ses enfants) ne facilite pas l'intervention d'autres personnes. On place dans les mains du défunt un épi de maïs, un os de singe ou de pécari et une mèche de cheveux. Ces éléments seront utiles à l'âme pour se débarrasser des animaux (poules, chiens et poux…) qui l'attaqueront successivement sur le sentier menant au royaume des morts. Sous le cadavre, on place une coupelle en terre cuite contenant des braises pour le garder chaud, sinon, le mort pourrait aller se plaindre aux dieux et accuser ses parents de l'avoir laissé refroidir. Les dieux puniraient alors cette négligence, en faisant mourir une autre personne de la famille. Il en va de même si des braises trop ardentes brûlent le corps. Le lendemain de la mort, le cadavre sera conduit à sa dernière demeure, une tombe dans la forêt.
« Un filet – contenant une gourde de gruau de maïs, quelques tortillas, des bougies et des brindilles pour faire du feu – est disposé dans la tombe sur les genoux du mort. Les tortillas et le gruau sont offerts pour le voyage ; les bougies et les brindilles, pour les nuits solitaires dans l'inframonde. Des sources indiquent que la gourde de balche' placée près du corps serait une offrande pour Sukunkyum.Durant les trois jours qui lui sont nécessaires pour rejoindre le royaume de Mensabäk, l'âme séjourne sur terre. C'est pourquoi de la nourriture est apportée quotidiennement sur sa tombe et le feu ravivé. Ces trois jours sont considérés comme une période délicate, pendant laquelle l'âme est susceptible d'apparaître aux vivants, en particulier lorsqu'ils replacent des offrandes sur la sépulture. Une telle rencontre peut être fatale. Les tortillas et le gruau sont ensuite rapportés à la maison et consommés par la famille car on dit que les âmes ne mangent que le pixan des aliments. Les Lacandons s'attendent cependant à ce qu'un peu de nourriture soit entamé (la moitié d'une tortilla, une gorgée de gruau). Si rien n'a été touché pendant les trois jours, alors il faudra en conclure que l'âme, trop pécheresse, ne reviendra jamais du Metlan (lieux des morts) où elle a été brûlée entièrement par Kisin).» Olivier Le Guen, « Quand les morts reviennent… Réflexion sur l'ancestralité chez les Mayas des Basses Terres », Journal de la société des américanistes
Qu'arrive-t-il au pixan d'un homme après la mort de celui-ci ? l'âme d'un défunt erre pendant trois jours dans la forêt, rôde autour de la tombe et de la hutte familiale, va et vient entre la terre et le ciel . Au bout du troisième jour l'âme entame son voyage vers le monde souterrain qu'elle atteindra après un chemin parsemé d'épreuves et de dangers.
« elle devra franchir une rivière, et c'est l'âme de son chien qui la portera sur son dos jusqu'à l'autre rive.
Une fois de l'autre côté l'âme suit le sentier qui mène à lamaison de Sukunkyum, le Seigneur du Bas-Monde. Celui-ci la transperce du regard, et voit d'un coup d'oeil tous les péchés qu'elle a commis. Il l'envoie alors chez Kisin qui la brûlera en fonction de ceux-ci. L'enfant qui n'écoute pas sa mère aura les oreilles brûlées. Celui qui regarde les gens droit dans les yeux aura les yeux brûlés. L'incestueux aura les parties génitales brûlées et sera changé en mule ou en volaille. Le meurtrier disparaîtra complètement dans le feu de Kisin. Aucune âme n'échappe au châtiment. Même l'âme du nouveau-né sera passée au-dessus des flammes pour avoir fait souffrir sa mère lors de l'accouchement. Les enfants de Kisin voudraient bien brûler l'âme entièrement, mais Sukunkyum les en empêche. Après avoir payé pour ses fautes l'âme est tirée du feu (sauf si elle a tué ou commis l'inceste), et Sukunkyum l'envoie chez Mensabàk. Ce dernier possède des aigles, des serpents et des jaguars géants, et il oblige l'âme à les nourrir. D'abord elle a très peur, puis elle apprend que les monstres ne la dévoreront point car ellen'a pas d'odeur. Au début l'âme a du mal à s'habituer à son nouveau mode d'existence, et désire recouvrer son corps. Mensabàk ordonne alors à l'un de ses assistants d'accompagner l'âme nostalgique jusqu'à sa tombe afin qu'elle puisse contempler son cadavre. Elle est horrifiée à la vue de son corps en putréfaction.
Alors elle « oublie sa nostalgie » et se résigne à retourner chez Mensabàk. Le monde des dieux est bon pour les dieux, mais pas pour les hommes, m'a dit le vieux Chan K'in. Les hommes sont habitués à la forêt, et les âmes des morts sont malheureuses sous le rocher de Mensabàk. Il y a là une multitude de gens; il n'y a pas de forêt, donc pas de gibier ; et les morts y sont séparés de leur conjoint. Ils se sentent seuls dans un monde étrange, et ils regrettent celui-ci. »DIDIER BOREMANSE.OP.CITE
Le genre humain, n'étant plus en contact direct avec les divinités, communique avec elles au moyen des pierres sacrées ou des encensoirs Or, les dieux sont irascibles. « Ils se fâchent contre nous », disent les indiens. Ou encore« ils ne nous aiment pas ». Un dieu irrité contre un homme lui cause de l'infortune en détruisant sa récolte ou, plus fréquemment, en lui envoyant une maladie, à luiou bien à un de ses proches (épouse, enfant...). L'on peut apaiser la colère des dieux par des offrandes de copal, de boisson et de nourriture. (La croyance en la
férocité des dieux est une des raisons pour lesquelles des familles lacandones se sont converties au christianisme).
Il arrive aussi qu'un dieu non représenté dans le temple d'un homme rende celui-ci malade afin d'être vénéré par lui. Après avoir pratiqué un rite de divination l'homme souffrant saura quel dieu implorer et s'en ira brûler de l'encens dans la « maison » de celui-ci. S'il guérit par la suite il fera un pot en terre cuite au fond duquel il déposera quelques pierres sacrées appartenant à la divinité. Il ajoutera cet encensoir à sa collection.
« La relation entre l'homme et les dieux est empreinte d'ambivalence. Hachàkyumest le créateur, le père des « Vrais Hommes » ; et il leur apporte assistance et protection par l'intermédiaire de son gendre, Ah K'in Chob. Celui-ci sert de messager et de médiateur entre Hachâkyum et ses créatures, entre Hachàkyum et les autres divinités, ainsi qu'entre celles-ci et les hommes. Néanmoins si ces derniers commettent des fautes, les dieux les plus cléments sont susceptibles de se mettre en colère et de les châtier durement. Le monde fut détruit plusieurs foi spour cette raison. La mort et l'enfantement dans la douleur devinrent le lot de
l'humanité parce que une femme manqua de respect à Ah K'in Chob. Ce fut alor sque le gendre de Notre Père donna aux hommes les encensoirs afin qu'ils puissent implorer les dieux. Ceux-ci continuèrent néanmoins à apparaître au genre humain durant les cérémonies religieuses. Ils venaient en personne consommer les offrandes de nourriture et de boisson rituelles. Jusqu'au jour où un homme se fâcha contre Ah K'in Chob et tenta de lui asséner un coup de machette. Le dieu condamna alors l'humanité à la maladie et à la souffrance, et cessa de lui apparaître. Depuis ce sacrilège, les dieux devinrent invisibles au commun des mortels. Aujourd'hui il est même dangereux pour l'homme de « voir les dieux ». Des divinités telles qu'Itzanohk'uh et Mensabàk — féroces et cruelles — dévoreraient immédiatement celui ou celle qui s'approcherait de leur antre. Il est pourtant arrivé à certain hommes, ayant atteint un haut niveau spirituel, de « voir les dieux » et de s'entretenir avec eux..
dieux » et de s'entretenir avec eux.
Le vieux Chan K'in (il a plus de quatre-vingts ans) m'a raconté comment son grand-père paternel rencontra Kânànk'ax (« Celui qui garde la forêt ») alors qu'il chassait des pécaris. Tout d'abord l'ancien aperçut un jaguar . Le fauve se dressa sur ses pattes de derrière et prit l'aspect d'un être humain ; il portait une tunique tachetée de rocou. « Moi, je garde ta forêt », dit-il à l'ancien. Et il l'invita à le suivre. Le grand-père de Chan k'in vit de nombreux champs de maïs. Il observa que les dieux vivent groupés (comme l'étaient les Anciens Mayas), et non dispersés comme les « Vrais Hommes ». Il les vit dans leurs maisons occupés à boire du bâche'. Une fois rentré chez lui, l'ancien fut pris de fièvre, et il alla prier dans le temple. L'homme qui a vu les dieux tremble de peur et de froid, et finit par mourir s'il n'implore immédiatement ses encensoirs. Plus tard, il retourna là où il avait vu les dieux, mais il n'y trouva que des ruines (il avait découvert un site archéologique mineur situé près de la colonie « Sival »). Il prit quelques pierres, rentra chez lui, et fit un encensoir pour Kânânk'ax. » DIDIER BOREMANSE.OP.CITE
Chaque campement comportait une maison-temple réservée au culte. Des encensoirs étaient disposés sur des étagères suspendues sous le toit, du côté ouest, de manière à faire face à l'est. Les encensoirs (K'ur) représentaient les dieux, étaient les dieux ; c'étaient donc les objets rituels les plus importants. C'étaient des coupes en terre cuite de forme hémisphérique, à pied large et bas, de facture grossière et comportent une représentation anthropomorphe. S'y ajoutaient des pierres sacrées (appelées pierres de la foret) placées devant ou derrière la poterie. On brûlait dessus du copal comme offrande à la forêt. Le copal (gomme résine végétale semi-fossile ressemblant à l'ambre et signifiant encens en langue des indiens)) était présent dans toutes les cérémonies. On en trouvait dans tous les encensoirs ; en petites mottes sur les planches rectangulaires dont, à terre dans le temple ou suspendu au toit.
Les rites utilisaient une boisson rituelle le Balche ou Baltšé, sorte d'hydromel à base d'écorce séchée mélangée à l'eau, au miel et au mais pilé , très énivrant lorsqu'il avait fermentée 2 jours. Les femmes n'avaient pas le droit de s'en approcher ou de toucher l'écorce ; en revanche, elles fabriquaient le Pozol, la nourriture des dieux boisson épaisse, très nourrissante, faite avec de la pâte de mais délayée dans de l'eau. Toutes les cérémonies étaient accompagnées de chants monotones, ne comportant qu'une échelle de notes réduites ;en général l'officiant expliquait au dieu ce qu'il faisait , puis ce qu'il demandait . Les deux ou trois phrases que comportait le texte étaient répétées sans fin
Au total, la religion, dans la vie quotidienne d'un Lacandon, pèse lourdement. On est déjà confondu quand on évalue le temps, l'énergie, l'ingéniosité et la dépense de force physique que chacun de ces Indiens doit consacrer simplement à survivre face à une nature hostile, dans un milieu qui n'a rien du paradis des heureux sauvages tel qu'on l'imaginait au siècle des lumières : quel labeur sans trêve, quel effort épuisant ne lui faut-il pas renouveler chaque jour pour abattre des arbres énormes, repousser l'assaut perpétuel de la brousse, brûler la jungle, construire et entretenir sa hutte, planter maïs, manioc, coton, tabac, rechercher et cueillir vingt autres plantes, transpercer de ses flèches oiseaux, singes, pécaris et poissons ! Or il bâtit encore un temple, souvent plus spacieux et mieux agencé que sa propre case, avec sa table-autel ou ses étagères; il façonne avec soin ses encensoirs, modèle les figurines qui représentent les dieux, utilise le roucou, le noir de fumée et la craie pour les décorer; il va récolter dans la forêt la gomme aromatique du copal et les baies colorantes; il bat l'écorce dont on fait les bandeaux rituels, creuse un tronc d'arbre pour la fabrication du baltché, érige un abri sous lequel on prépare le k'ayem, entreprend de longs et fatigants pèlerinages à Yaxchilân : bref, lui qui a déjà tant de mal à se procurer ce qui lui est indispensable, pour lui-même et pour les siens, s'astreint en outre à un travail presque équivalent pour le service de ses dieux.JACQUES SOUSTELLE.OP.CITE
En offrant les prémices aux dieux l'homme leur demande principalement deux choses : de pouvoir lui aussi consommer les fruits de sa récolte ; et d'être, lui et les siens, à l'abri des maux et des maladies. La souffrance physique (yah), la maladie, et la mort sont perçues comme un châtiment divin. Si quelqu'un offense offense , les dieux se vengent sur lui ou sur l'un de ses proches. Et la victime n'a d'espoir de guérir que son péché commis est reconnu, confessé, et si une promesse de paiement est faite par des médiateurs à la divinité offensée. Le péché, la médiation, et le paiement rituel sont déterminés par la divination ; et tous ces éléments, pris dans leur ensemble, définissent, à mon sens, la quête religieuse des indiens Lacandons. L'homme dont l'épouse ou l'enfant est malade, dont l'épouse ou la fille va accoucher, pratique le rite de divination pour connaître la volonté des dieux et savoir comment obtenir la « guérison » du malade.
« Lorsque le devin a découvert quelle est la cause de l'infortune, il lui reste à savoir quels dieux sont disposés à l'aider en tant que médiateurs, quel paiement ils veulent, et quel paiement il lui faudra offrir aux dieux offensés. Il utilisera la technique divinatoire que l'on vient de décrire pour obtenir des réponses à ses multiples questions. Celles-ci auront trait principalement au type de cérémonie requise, au nombre et à la forme des offrandes, à la manière dont elles seront distribuées parmi les dieux.
Une fois terminé le rite de divination l'homme va dans son temple, et s'adresse aux dieux qui ont accepté de lui servir d'intermédiaires. Les encensoirs des divinités offensées qu'il s'agit d'apaiser restent sur l'étagère. Seuls ceux des médiateurs (deux ou trois) sont déposés sur la planche-autel, et le célébrant leur offre de l'encens afin d'obtenir la guérison de la personne malade. Ce qu'il dit alors aux encensoirs reflète l'information qu'il a obtenue par la divination. Il confesse sa faute, implore le pardon des dieux et leur promet une cérémonie importante en guise de compensation — paiement qui a été déterminé par le rite divinatoire. Il décrit la future cérémonie aux dieux ; il décrit les symptômes de la maladie, et demande aux dieux de guérir le malade ».DIDIER BOREMANSE
A partir du mois d'août les premiers épis de maïs encore verts sont offerts aux dieux. Entre août et octobre se déroule une série de cérémonies impliquant chacune une préparation différente du mais (à mesure qu'il mûrit). Tout d'abord le célébrant prend, un à un, les encensoirs rangés sur l'étagère suspendue au toit du temple, et les pose avec précaution sur une planche afin qu'ils ne touchent pas le sol (cette planche-autel se trouve par terre). Ensuite il va chercher la nourriture cérémonielle préparée par son épouse — le gruau servi dans des bols et les épis de maïs servis dans des plats — qu'il dépose en face des encensoirs dont la face anthropomorphe est tournée vers l'est Une fois mis place les encensoirs et les offrandes, la cérémonie peut commencer. Le célébrant saisit une calebasse pleine d'encens de copal ainsi qu'une petite palette d'acajou en avec laquelle il sert de l'encens dans chaque pot d'argile, en psalmodiant . Les bols contenant le gruau sont présentés aux encensoirs. Après avoir soulevé tous les bols, l'officiant se lève et prend une conque marine dans laquelle il se met à souffler afin d'avertir les dieux que l'offrande est imminente. Leur « âme » est invitée à venir consommer l'« âme » de la nourriture.
Au demeurant, les hommes du voisinage savent, en entendant le son de la conque, qu'une cérémonie va débuter ; et ils se dirigent vers le temple afin d'y partager le gruau et les épis de maïs avec le célébrant. Celui-ci donne à présent du gruau aux encensoirs bois il verse quelques gouttes de liquide (provenant de chaque bol présenté au dieu) sur la lippe de chaque figure d'argile. Après avoir offert le maïs et le gruau quatre fois aux encensoirs, le célébrant distribue la nourriture cérémonielle aux hommes présents dans le temple, et les invite à la consommer avec lui. Une cinquième et ultime offrande est faite aux encensoirs qui met fin à la cérémonie. Après quoi ceux-ci sont remis en place sur l'étagère.
« Dans le cas des Lacandons par exemple, l'Européen qui entre en contact avec eux pourra difficilement se défendre d'une double erreur. Ces êtres disséminés dans la jungle, avec leurs armes paléolithiques, lui apparaissent aussitôt comme des « primitifs ». Témoins d'un passé lointain égarés dans le présent, ils lui semblent aussi n'avoir pas eu d'histoire, comme si ce peuple n'avait vécu depuis des millénaires qu'une durée purement biologique. Cette illusion du « primitif » est tenace : elle fait partie sans nul doute de ces présupposés que notre culture injecte à notre pensée sans même que nous y prenions garde. L'ethnologie classique en France, en Allemagne, en Angleterre, s'est fondée sur l'exégèse des croyances, des structures et du rituel de peuples, tels que les indigènes d'Australie, considérés comme « primitifs » et nous offrant, par conséquent, l'image de ce qu'avaient dû être les débuts élémentaires de toutes les sociétés humaines.
La culture des Lacandons n'est, à aucun degré, «primitive. Ils appartiennent à cette partie de l'humanité américaine qui a fait vers 3000 avant J.-C. sa révolution agraire comme nos ancêtres du Vieux Monde l'avaient faite quelque 3.000 ans plus tôt. Certes, les Indiens du Mexique n'ont eu ni bovins, ni porcs, ni moutons, ni chèvres. Leur économie agricole n'a donc pas pu s'enrichir de l'élevage, et la culture du maïs n'a pas connu la charrue. Il n'en reste pas moins que les Lacandons sont des paysans, si étrange que puisse sembler d'abord ce qualificatif appliqué à ces hommes de la forêt.
Bien qu'ils obtiennent de la chasse et de la pêche une bonne part de leurs ressources alimentaires, et qu'ils utilisent des flèches en pierre taillée comme nos Européens préhistoriques, ils se distinguent des nomades chasseurs et collecteurs que les Aztèques appelaient « Chichimèques » et se rangent, avec toutes les tribus illustres ou non du Mexique et de l'Amérique centrale, du côté des agriculteurs, c'est-à-dire parmi des peuples qu'on ne saurait sans arbitraire appeler « primitifs » : la découverte de l'agriculture n'est-elle pas, précisément, l'étape la plus significative du devenir humain, celle qui a marqué la rupture la plus décisive avec le passé ? ».
« Dira-t-on que les Lacandons sont « primitifs » par leur mode de pensée, où les représentations religieuses et mythiques tiennent une si large place …..près les techniques et les connaissances qui leur servent de soubassement, viennent les représentations de caractère mythique et religieux : c'est au sens d'Aristote, après la physique, la métaphysique. Chez nos Indiens, on ne trouve pas de solution de continuité, de fossé, entre l'une et l'autre. C'est nous qui établissons cette distinction. Elle existe dans notre esprit. Mais, dans la réalité, un Lacandon, pour brûler la brousse et semer son maïs, considère l'invocation au dieu du feu comme aussi nécessaire que l'allumage du brasier. Pour réussir à la chasse, il lui faut, certes, un arc soigneusement construit et des flèches bien équilibrées ; il faut également que cet arc et ces flèches aient été tenus à l'écart des femmes, dont le contact suffirait à en ruiner l'efficacité. Homme chétif et périssable, il s'efforce d'insérer sa volonté, sa prière et son espoir dans la machinerie du monde. Un rite exactement et opportunément accompli écarte la menace des jaguars, apaise le dieu des orages, assure au Soleil sa nourriture pour
mi'il reparaisse chaque matin après son pénible voyage dans les ténèbres souterraines. »…
« Tel est un des aspects de la pensée religieuse des Lacandons : elle est intimement mêlée à la pensée positive et à la pratique réaliste qui conditionnent 'une et l'autre la survie des hommes, elle répond elle aussi au souci de l'être assiégé par un univers qui l'angoisse. Mais, sous un autre aspect, elle vise à introduire un ordre dans l'immense et menaçante diversité des choses. L'Indien ne se borne pas à localiser et à exploiter des ressources, ni même à intervenir par les rites dans le jeu des forces cosmiques : il s'efforce de comprendre le monde, d'en construire une représentation. Les mythes cosmologiques, les croyances relatives à la structure de l'univers, aux cieux superposés et aux enfers, à la vie dans l'au-delà, à la fin du monde, dépassent de beaucoup une simple entreprise utilitaire. A la nomenclature des falaises, des lacs, des rivières et des cités en ruines se superpose une géographie sacrée, de même que les espèces animales, les dieux et les astres apparaissent liés par des catégories transposées de la réalité sociale aux êtres naturels et surnaturels. Il s'agit ici d'un effort de connaissance, d'organisation, qui cherche à plaquer sur le réel un ordre issu de la pensée…. »..
« Quand un Lacandon veut dire : « Je suis un Lacandon», il emploie l'expression maya winken, littéralement «homme-je», soit : «Je suis homme». Pour nous désigner, il empruntera à l'espagnol les mots : la gente, « les gens ». Et certes il y a là un de ces cas fréquents d'ethnocentrisme, chaque peuple tendant à s'identifier avec l'homme par excellence. Mais d'un autre point de vue le Lacandon a raison : si étrange et si différent qu'il nous paraisse, il est d'abord un homme, une des formes du phénomène-homme. Si le double poids de l'histoire et du milieu naturel a infléchi l'usage qu'il fait de ses facultés dans un sens qui n'est pas le nôtre, rien dans ces facultés elles-mêmes n'est irréductible aux nôtres. Moi aussi je suis héritier d'un passé et le monde où je vis est aussi une jungle. Je peux, comme le Lacandon, proclamer que je suis homme. Diversement façonnés, nous sommes faits, lui et moi, de la même glaise. Ou, pour employer une autre métaphore, nous sommes, lui et moi, deux variations sur un même thème : ni identiques, ni radicalement étrangers…. »
« J'ai comparé plus haut l'ethnologue à l'astronome. Il est bien vrai que les diverses cultures se situent, les unes par rapport aux autres, comme des astres dans l'espace. De même que l'univers, nous le savons, ne tourne pas autour de notre Terre et ne s'ordonne pas en fonction d'elle, de même notre civilisation n'est qu'un cas particulier parmi d'autres, elle ne constitue ni un achèvement privilégié ni même un point d'observation ou un cadre de référence préférables en eux-mêmes à d'autres. Mais il reste que ces planètes demeurent comparables ; les plus éloignées de nous ne sont pas inconnaissables, parce que toutes sont pétries de la même matière. Etant ainsi parvenus à la notion de la relativité des phénomènes sociaux, en repoussant la tentation d'un illusoire ethnocentrisme, nous savons pourtant qu'une condition humaine commune relie les unes aux autres les cultures les plus diverses par-dessus les abîmes qui les séparent.
Reconnaître en tout groupe humain à la fois ce qui le rapproche des autres et ce qui lui est singulier, telle est bien la première leçon que m'ont apprise les petits hommes cuivrés de la forêt chiapanèque ».JACQUES SOUSTELLE. OP.CITE
« Cette hantise de la mort, chez les nations de l'Amérique moyenne, avait atteint un degré extrême, et c'est sans doute pourquoi elles furent tenues par les Conquérants venus d'Espagne pour des civilisations vouées au malheur et au désespoir - et sans doute pourquoi aussi elles furent aisément conduites à leur fin. Mayas, Toltèques, Tarasques, Aztèques vivaient dans l'attente pessimiste d'une catastrophe. Les Prophéties du Chilam Balam, les pronostics des prêtres, les légendes et les récits mythiques, tout proclamait la proximité de la mort. Les peuples indiens ont vécu les grands thèmes de la philosophie avec une acuité qu'aucune civilisation de l'ancien monde n'a jamais connue. Pour eux, la vie n'est qu'un bref passage, et le néant emporte le monde. C'est que ces thèmes, pour les Indiens, n'étaient pas seulement des idées philosophiques, mais aussi une religion qui donnait son sens à chaque moment de l'existence. Totalement à la merci des dieux, les hommes mortels vivaient avec une ferveur sombre en vue de l'instant suprême où ils seraient unis avec leurs ancêtres ,dans l'au dela intemporel
L'extraordinaire richesse des mythes mexicains est à l'origine du sentiment d'horreur et de fascination que ressent Bernardine de Sahagun. La religion des anciens Mexicains, au moment où les Espagnols la rencontrent, est avant tout une passion, et c'est cela qui trouble et émeut les évangélisateurs. Ce peuple, qui a su vaincre et maintenir sous son joug les nations qui l'entourent, et qui a su inventer l'une des civilisations les plus raffinées de l'Amérique moyenne, est aussi l'un des peuples les plus dévoués à ses dieux, entièrement tourné vers le surnaturel. Chaque geste de la vie, chaque pensée, semble dirigé vers les seuls dieux.
Les dieux, les mythes sont derrière chaque événement. Sur le Mexique règnent une ferveur, une splendeur mystique inconnues de l'Occident. Comme sur les civilisations mayas ou toltêques, plane l'ombre de la fatalité. Mais en contrepartie, il y a l'exaltation, l'ivresse, le partage. Les dieux indiens ne sont pas inaccessibles. Ils ne sont pas indifférents. Ils sont très proches, ils sont liés à la terre et aux êtres vivants par un pacte de sang. Ils se nourrissent d'offrandes, de fumée, du corps et du cœur des victimes. Tout ce qui est vivant leur plaît, tout leur est dû. La prière est avant tout un échange que l'homme fait avec l'au-delà, par lequel il cherche à apaiser les dieux et à détourner de lui le malheur. Comme Sahagun le rapporte, non sans raillerie, l'Indien, si son vœu n'est pas exaucé, n'hésite pas à adresser des reproches aux dieux, à les insulter.J.M.LE CLEZIO. LE REVE MEXICAIN.FOLIO
Le premier soin des conquérants espagnol fut de détruire les religions indiennes et de convertir les Indiens au christianisme. La nouvelle religion, d'abord subie par les indigènes, fut ensuite acceptée volontairement, surtout dans les régions à forte densité de population du Mexique central, où la conquête spirituelle eut lieu très tôt et de manière intensive. Elle se fit avec plus de difficulté en pays maya, dans les lointaines montagnes du Centre, dans les steppes du Nord. Quelques groupes échappèrent à la conversion, d'autres furent à peine touchés. Les Indiens christianisés, c'est-à-dire la grande majorité, n'adoptèrent pas la nouvelle religion sans la modifier plus ou moins, l'adaptant à leur manière de penser. On peut ainsi citer le syncrétisme des Chorti du Guatemala.L'église est le centre de la vie religieuse, bien qu'il n'y ait pas de prêtre résidant dans le village. Le plus important des padrinos, spécialistes religieux âgés et respectés, est chargé de faire venir la pluie à la fin du mois d'avril. Les padrinos sont censés avoir reçu la permission, à la fois de Dieu et des divinités païennes, de célébrer toutes les cérémonies en rapport avec l'agriculture et les rites de transition. Dieu est placé au sommet d'un panthéon qui comprend de très nombreux êtres surnaturels, parmi lesquels figurent Chiccham, serpent à la fois unique et innombrable, Ah Q'in, dieu du soleil, de la connaissance et des pouvoirs magiques, les saints patrons des villages et des familles, souvent associés aux divinités païennes. La représentation des dieux païens ayant disparu depuis longtemps, les saints sont les seules divinités qui existent sous une forme matérielle.
Aujourd'hui, il n'existe donc pas une seule religion dans cette zone, mais plusieurs formes de vie religieuse : catholicisme, catholicisme teinté de paganisme, catholicisme sans polythéisme mais transformé, polythéisme. Quel que soit leur univers religieux, tous les Indiens sont extrêmement pieux et observent avec ferveur leur religion.
Les Indiens polythéistes restent une infime minorité. Parmi eux, les lacandons, d' il y a une trentaine d'années, lorsqu'ils pratiquaient encore leur culte, d'où une riche mythologie orale, à préserver.
Le panthéon lacandon comporte à ma connaissance une trentaine de divinités. Cela ne signifie pas que tous les campements lacandons possèdent tous ces dieux, ni même qu'ils en soupçonnent l'existence. Dans tel ou tel groupement, on ignore jusqu'au nom des dieux vénérés quelques kilomètres plus loin. Je ne veux pas dire non plus qu'un culte est rendu à toutes ces divinités : dans une région déterminée, certaines d'entre elles ont une place dans la mythologie, mais ne figurent pas dans le temple et ne font l'objet d'aucun culte. Elles ont peut-être eu à cet endroit-là une importance plus grande autrefois, importance qu'elles ont gardée dans tel autre caribal. Enfin) alors que certains dieux sont localisés géographiquement, d'autres ne sont pas situés d'une manière précise.
Ainsi, suivant la région, le caractère des dieux change, leur histoire est différente, leur importance varie, leur localisation n'est pas la même, non plus que le culte qui leur est rendu. Autrement dit, nous nous trouvons devant une religion, une même religion, certes, pour toute la zone étudiée, mais à l'intérieur de laquelle les différences locales sont très marquées.
Chez les Lacandons, la société est donc tellement réduite et morcelée qu'un individu peut agir sur la religion : il peut l'appauvrir ; il peut aussi la transformer et l'enrichir
Cet aspect instable n'est-il pas un signe révélateur, dans cette tribu, d'une profonde décadence ? Nous avons admis, avec Morley, le caractère archaïque de cette religion. Cependant, l'importance de l'action individuelle et la faiblesse du groupe en matière religieuse amènent à penser que cette société est en train de se dégrader. Sommes-nous donc en face d'une société archaïque ou en face d'une société en décadence ? Telle est la question que suggère l'étude des Lacandons, aussi bien celle de leur religion, que celle des autres éléments de leur culture. A cette question, il nous est évidemment impossible de répondre. Les Lacandons sont trop peu nombreux pour que la connais sanceq ue l'on peut avoir de leur société soit concluante. D'autre part, leur passé nous est inconnu et l'on ne peut faire à ce sujet que des suppositions
Archaïques ou décadents, ou peut-être les deux à la fois, les Lacandons sont des paysans maya. Leur religion est celle d'une population rurale maya. Elle est relativement simple et ne comporte pas de classe sacerdotale. Ses caractères généraux sont propres à toute l'aire maya. On en retrouve tel ou tel trait dans tel ou tel groupe et à telle ou telle époque. C'est sur ce fond idéologique commun au monde maya que s'est élaborée la grande religion maya classique, infiniment complexe, au sein des hautes civilisations du Chiapas, du Yucatan et du Guatemala, en même temps que ces civilisations atteignaient leur apogée.". GEORGETTE SOUSTELLE.Observations sur la religion des Lacandons du Mexique méridional.Persée.
La pratique rituelle des indiens Lacandons s'inspire de diverses traditions religieuses pré-cortésiennes. Après la chute de la civilisation maya classique, au Neuvième siècle de notre ère, les habitants de la forêt qui survécurent au cataclysme(ou les nouveaux venus dans la région) continuèrent à visiter les centres abandonnés et à y pratiquer d'humbles rites. Comme l'on sait, la forêt du Chiapas et du Petén est parsemée de monuments en ruine (temples, pyramides, stèles...) qui furent érigés par les anciens Mayas durant l'époque classique (250-900 après J.C.). pour les Lacandons ces constructions sont justement l'œuvres de ces êtres surnaturels qu'ils appellent qu'ils appellent k'ul , les « dieux ». Ceux-ci qui auraient vécu jadis sur terre, ont laissé derrière eux leur maisons les grandes ruines mayas sont donc pour les lacandons « la maison des dieux » S'ajoutent aux ruines, des grands rochers du bord des lacs, où l'on allait autrefois en pèlerinage, et des grottes, anciens ossuaires sacrés des tribus qui les ont précédés.les os seraient ceux des dieux désormais invisibles .Leur esprit reste enfouis sous les rochers ou sont montés au ciels comme dans le grand site maya d' Yaxchilán.ils ont laissé aux hommes des encensoirs en terre cuite pour pouvoir communiquer avec eux déposés dans des huttes temples, qui sont aussi des maisons des dieux.
"Dans ce caribal du Sud, dont les habitants sont venus, si j'en crois le vieux chef, des jungles du Guatemala, le culte du Soleil et celui de la Forêt dominent toute la religion. Chez les autres Lacandons, une multitude de divinités occupent à la fois les trois cieux superposés, les encensoirs qui les représentent dans les temples, et certains lieux déterminés.
Kanank'ash, par exemple, « protecteur de la forêt », réside dans une falaise que j'ai pu entrevoir quelques instants, perdue dans la jungle qui sépare le fleuve Chocoljâ de la rivière de La Arena ; toute la forêt, autour de cette falaise, lui appartient, et mon guide lacandon m'interdit de couper ou de briser le moindre branchage. Itsanohk'ou, « le grand dieu Itsana », où l'on peut reconnaître, je crois, l'Itzamna des Maya classiques, habite lui aussi dans une falaise qui domine le lac Peljâ. Les Indiens qui vivent au bord de cette lagune l'appellent d'ailleurs « le lac d'Itsa-nohk'ou ». La haute muraille calcaire est marquée de pétroglyphes analogues à ceux du lac Metsaboc, d'empreintes de mains ouvertes, et d'un dessin représentant un serpent à plumes dont la facture, nettement différente de celle des pétroglyphes, s'apparente à l'art maya ancien. Enfin d'autres dieux hantent les ruines de Yaxchilân, la grande cité maya qui brilla de son plus vif éclat au vu" siècle sur la rive gauche de l'Usumacinta." JACQUES SOUSTELLE. LES QUATRE SOLEILS.TERRE HUMAINE.
Selon la cosmologie des indiens, Il y a plusieurs mondes et plusieurs cieux hiérarchiquement superposés, un nombre variable selon les groupes Lacandons (de trois à cinq). dans chacun il y a un soleil et au dessus du dernier une nuit éternelle . Il y a des dieux dans chacun des cieux. Les dieux qui vivent dans le premier ciel sont soumis aux dieux du deuxième ciel qui, à leur tour, dépendent des dieux du troisième ciel. Tous ces dieux ont à leur service des gens de race blanche,(gente) c'est-à-dire semblables à nous.
Dans CONTES ET MYTHOLOGIE DES INDIENS LACANDONS, l'anthropologue belge DIIDIER BOREMANSE, s'est efforcé de recueillir toute la tradition orole des Lacandons,avant la disparition complète de leur culte : il rapporte le mythe d'origine ci-dessous :
« Au commencement était Ka'koch. Ka'koch n'est pas le dieu de tous ; les Vrais Hommes ne le connaissent point. Notre Vrai Père, Hach Ak Yum, lui, connaît Ka'koch ; celui-ci est son dieu. Ka'koch créa la terre. Il ne fit pas une bonne terre. Elle n'était pas dure. Il n'y avait point de forêt, ni de pierres. Il n'y avait que de la terre et de l'eau).
Ka'koch créa la tubéreuse), pour avoir des adorateurs. On ne sait comment il les fit. Il les créa, les transforma dans la tubéreuse. Il les créa tout d'un coup. D'abord, il créa Sukunkyum, le Frère Aîné de Notre Père; ensuite Ah Kyantho ; enfin il fit le puîné, Hach Ak Yum, Notre Vrai Père). On raconte qu'une fois écloses les fleurs de la tubéreuse, ils naquirent. Ils n'eurent point de mère. Ils naquirent des fleurs de la tubéreuse, ce fut leur mère. Elle avait beaucoup de fleurs. Celles-ci s'ouvrirent, et ils en sortirent. D'abord les trois frères ne virent que la tubéreuse ; il n'y avait point de forêt. Sukunkyum vit que la terre n'était pas vraiment bien faite, et il ne dit rien. Ah Kyantho non plus ne dit rien ; mais il vit que ce n'était pas bon. Ils ne descendirent pas de la tubéreuse. Hach Ak Yum sortit de la fleur et il posa son pied sur le sol. Il marcha et dit :
— Ah ! pourquoi la terre n'est-elle pas dure ? Ce n'est pas bien ! La terre était bourbeuse, on s'y enfonçait. C'était comme un grand marécage.
— Je ne m'y habituerai point ! dit Notre Vrai Père. Comment ferai-je ?
Il prit du sable et le jeta sur la terre ; il l'y répandit. Elle devint sablonneuse ; il y eut des pierres. Notre Vrai Père attendit.
— Ai-je bien fait de jeter le sable ? Nous allons voir... se dit-il. La terre devint dure partout. Il l'examina en marchant, et dit à ses frères
:
— Fort bien, Seigneurs ! Maintenant, c'est de la terre ! Elle est très dure !
Voyant que la terre était bonne, Hach Ak Yum fit la forêt. Il créa tous les arbres. Il fit des lacs et des collines. Très bien ! Et rien que de la forêt. Il n'y avait ni serpent, ni oiseau, ni faisan, ni pécari, ni singe, rien. Il vit surgir les pierres. Il y eut des pierres (7) dans la forêt. C'était bien. Quand il eut fini de créer la forêt, tout fut en ordre. Désormais, la terre était bonne.
Cinq jours après naquirent les autres dieux, les assistants (8) de Notre Père : Itzana ; Sak Ah Pouk ; K'ulel, le balayeur ; K'ayoum, le Seigneur du chant ; Bor, l'échanson ; K'in, le joueur de flûte. Tous naquirent de la tubéreuse, mais on ne sait pas quel était leur lignage (9). Hach Ak Yum et ses frères sont du lignage « Singe-araignée ». D'une autre tubercule naquirent les dieux du lignage « Pécari » qui vivent ici, dans la forêt (10) : Mensabâk, le faiseur de suie ; Ts'ibatnah, qui peint les maisons ; Itzanohk'uh, le faiseur de grêle ; et Kanank'ax, le gardien de la forêt ; ainsi que K'ak, le dieu de la chasse et du courage, qui est du lignage « Chevreuil ». Ensuite naquirent les dieux mineurs. Ils sont très nombreux. Il n'y a personne qui les connaisse tous.
Dix jours plus tard naquirent de la tubéreuse les épouses de Hach a]j; Yum, Sukunkyum et Ah Kyantho.
Auparavant, Ka'koch avait créé le maïs pour Notre Vrai Père, et celui-ci montra à son épouse comment préparer des galettes et de la bouillie. Il fabriqua la pierre à broyer le maïs et lui enseigna à moudre les grains pour faire la pâte. Ensuite, Notre Mère fit les galettes de maïs sur une feuille de bananier et les cuisit sur le cornai (11). Après avoir fait les tortillas, elle apprit à préparer la bouillie de maïs (
Hach Ak Yum vivait à Palenque. Il avait fini de refaire la terre, et il songeait. Il avait réarrangé la terre, créé les arbres et la forêt. La terre était bonne. Notre Vrai Père était assis, et pensait. Puis il créa Kisin. Il le créa, et lui donna son nom : « Kisin » Il le créa dans la fleur « écume de nuit » ). C'est la fleur d'un arbre. Elle éclot durant la nuit et son parfum est délicieux. C'est la « tubéreuse » de Kisin, car c'est là qu'il naquit.
Hach Ak Yum prit de la terre et du bois pourri, et il les mit dans la fleur « écume de nuit », et Kisin en sortit à la tombée de la nuit. Ainsi naquit Kisin, et sa femme naquit en même temps que lui. «
Les lacandons pratiquaient le totémisme et l'exogamie. il existait pour se différencier dix noms d'animaux totems et deux noms de phratries (groupes différents qui permettent le mariage exogame): Karsiya et Kobo. Un système d'identification qui a pratiquement disparu sauf dans les groupes du nord ouest ou qui se réduit à un ou deux totems . Alors que la notion de clans totémiques est limitée aux hommes et aux animaux, l'on retrouve celle de phratries pour le monde surnaturel .
Les « dieux » appartiennent à l'une ou à l'autre des deux phratries .Le soleil et la lune sont ainsi tous deux de la phratrie Karsiya, donc de la même phratrie, bien que mari et femme ;dans de nombreuses mythologies américaines, le mariage du soleil et de la lune correspond à l'inceste. Le soleil et la lune sont ainsi mariés. Ils sont tous deux blancs comme la «gente», comme les humains qui ne sont pas des Lacandons. La lumière que répand le soleil provient de sa tête. Il a dans le ciel un chemin bien ouvert, sans végétation, pour aller du levant au couchant. Quand le soleil arrive au couchant, Usukunkyum vient le chercher et le porte sur ses épaules, au moyen d'une planche. A minuit, le soleil se repose un instant et prend du pozol, puis Usukunkyum le transporte de la même manière jus qu'au levant.
Dans tout le Nord-Ouest, le monde souterrain est régi par un dieu bon Hachâkyum; par un dieu mauvais : Kisin. Le premier, accompagne le soleil dans son voyage nocturne. C'est lui le grand dieu bienveillant du monde souterrain, puisqu'il soutient les poteaux sur lesquels la terre est appuyée lorsqu'il y a un tremblement de terre, lequel est l'oeuvre du dieu mauvais, Kisin,le seigneur de la mort et de la putréfaction. Le mythe d'origine raconté ci-dessus évoque son nom dont l'étymologie reflète sa nature ambigüe : elle évoque « quelque chose qui pue »,l'odeur de la putréfaction ;une autre origine traduit celui par « qui cause la mort ».
Dans la mythologie Kinsin finit par vouloir tuer Hach Ah Kun,,devenu vieux lequel lui échappa en trouvant ou non de l'aide auprès des hommes( en récompense ou en punition le maïs deviendra beau ou la terre stérile). Il finit par se fabriquer un double trompeur que Kinsin tua. Ce mythe est rapporté par Didier Boremanse :
« Le double de Hach Ak Yum était moribond. Mais le véritable Hach Ak Yum pensait à toute autre chose ; il était allé faire le Monde Souterrain. Il était parti avec ses frères aînés, Sukunkyum et Ah Kyantho, et ils firent les piliers qui soutiennent la terre. Et puis ils firent la poutre transversale. Comme pour le toit des huttes, il y a une poutre transversale qui supporte la terre, pour qu'elle ne s'effondre pas. Ils firent aussi des maisons. Il y a des maisons, il y a de la forêt dans le Monde Souterrain ; il y a des arbres, il y a du gibier (mais il s'agit des âmes des animaux abattus sur la terre)). Ils firent la demeure de Sukunkyum, le gardien de Kisin. Hach Ak Yum créa Metlan), le feu où Kisin brûle nos âmes. Et il confia à Son Frère Aîné la garde du Monde Souterrain. »…
Cependant Hach Ak Yum avait fini de créer le Monde Souterrain. Alors il fit éclater la terre (Celle-ci se crevassa, s'ouvrit, et Kinsin s' y engouffra avec tout ce qui lui appartenait. Le sol se déroba sous ses pieds, il tomba, et la terre se referma au-dessus de lui. C'est ainsi Hach Ak Yum fit un sentier qui mène de la terre au Monde Souterrain (c'est par là qu'il en sortit), mais Kisin ne le connaît point. Lorsque Kisin se fâche, il donne des coups de pied sur les piliers qui soutiennent la poutre transversale sur laquelle repose la terre, afin qu'elle s'effondre. La terre tremble, mais ne s'affaisse pas. Le Frère Aîné de Notre Père ne le permet pas. Kisin remue et la terre vibre, mais c'est seulement pour nous effrayer, car elle ne s'écroule pas vraiment.
Après avoir envoyé Kisin sous la terre, Hach Ak Yum était content. Alors il s'en alla au ciel pour créer le firmament. Ka'Koch le dieu de Notre Père, avait déjà fait un ciel ; Hach Ak Yum en fit un autre. Il fit un ciel plus proche de la terre, celui de Ka'Koch est plus haut. Sous le ciel de Ka'Koch, Hach Ak Yum accrocha le ciel de I T'oub, et en dessous, il fit le sien
I
l créa la sphère céleste en faisant monter de la fumée — comme des nuages qui montent à l'horizon et s'accumulent — de chaque extrémité du ciel jusqu'au zénith. Il fit se rencontrer ces nuages tout au-dessus. Ainsi se forma la voûte du ciel, dont la base est de pierre, dure. Hach Ak Yum courut voir au-dessus de cette voûte de fumée, et il vit... la forêt. Il y avait des arbres Il y construisit sa maison. Notre Mère-épouse-de- Hach Ak Yum et T'oub l'y suivirent, ainsi que tous ses assistants). Tous montèrent au ciel.
— Allons-nous-en, désormais nos créatures resteront sur terre. !
C'est pourquoi les Vrais Hommes se trouvent ici, sur la terre. »
Ka'Koch n'est pas bon. Chaque année, il voilait le soleil et causait ainsi la fin du monde L'humanité mourait de froid.
— Mes pauvres créatures ! disait Hach Ak Yum, elles ne sont guère nombreuses et Ka'Koch n'arrête pas de les détruire. Les jaguars dévorent sans cesse les terriens ; si je n'interviens pas, Ka'Koch les aura bientôt exterminés.
Hach Ak Yum parla à l'encensoir de Ka'Koch en vain. Voyant que ses efforts étaient inutiles, il monta voir son dieu et lui dit :
Ka'Koch avait couvert le soleil d'un voile noir.
__ Enlève-le ! lui dit Hach Ak Yum.
Ka'Koch ôta le voile, et le soleil reparut.
__Bien, dit Hach Ak Yum, ne cache point son visage.
Mais Ka'Koch continua de détruire le monde et les hommes en causant des éclipses. Alors, un jour, Hach Ak Yum déclara :
— Oh ! ce sont mes créatures, après tout. Moi, je vais créer un soleil pour qu'il éclaire les terriens. Et je n'ordonnerai point la fin du monde
Notre Vrai Père fit alors celui-qui-nous-chauffe, et il le plaça au milieu du firmament. Ce nouveau soleil, il le donna à T'oub. T'oub est le gardien du soleil, car il n'a point d'épouse. Quand son père lui en donnera l'ordre, il couvrira d'un voile le visage du soleil, et causera ainsi la fin du monde.
Le nom du soleil est K'in, et son épouse est Notre Mère, la lune (28). K'in est un Blanc qui a une boule de feu sur la tête. Lui et Ah Kyantho sont les seuls dieux qui soient blancs, mais K'in, lui, porte une tunique que lui tissa son épouse.
K'in sait que les jaguars de Kisin essayeront de le dévorer. C'est pourquoi il emporte toujours son arc et ses flèches avec lui. Quant à Notre Mère, elle emporte son métier à tisser pour frapper les jaguars au cas où ils s'approcheraient d'elle. Le soleil suit son sentier, qui va d'une extrémité du monde à l'autre. A midi, Sukunkyum lui apporte de l'atole et des tortillas. Au bout du jour, quand le soleil atteint son but, Sukunkyum va le chercher et le porte chez lui dans un hamac). C'est pourquoi quand il fait nuit sur terre, il fait jour dans le Monde Souterrain. Le soleil se repose et se restaure dans la maison de Sukunkyum, et puis celui-ci va le reconduire à l'autre bout du sentier pour qu'il reprenne sa course.
Hach Ak Yum créa aussi les choses-du-ciel) : les étoiles. Il vit que, lorsque Notre Mère était absente, la terre était très obscure. Aussi créa-t-il les choses-du-ciel. Il fit les étoiles avec du sable de pierres. D'abord il les sema, et dit :
— Ah ! les racines que j'ai semées seront des racines d'arbres. Toutes les racines des choses-du-ciel sont des racines d'arbres.
Les étoiles que nous voyons sont les racines des arbres que Notre Vrai Père a plantés dans la forêt du firmament. Lorsqu'un de ces arbres tombe, il cause la chute d'une étoile dans le ciel). Après qu'il eut créé les étoiles, il y eut de la clarté dans la nuit. Il ne faisait plus aussi obscur.
•— C'est très bien, dit Hach Ak Yum, leur clarté n'égale pas celle de la lune, elle éclaire juste à la tombée de la nuit. C'est parfait. ».
« Voilà plus de trente ans que j'ai rencontré pour la première fois des Indiens lacandons.
C'était auprès de la rive marécageuse d'un lac, dans la pénombre d'une des forêts les plus épaisses du monde. Avec le vieux coureur de brousse Adolf von Schmeling, Poméranien de naissance et Chiapanèque d'adoption, nous avions tiré des coups de feu en l'air pour signaler notre présence aux « Caribes », comme on dit là-bas. Tout autour de nous, les arbres comme les piliers d'une nef s'élevaient jusqu'à la voûte de feuillages qui nous cachait le ciel, et leurs troncs dérobaient à nos yeux le bord pourtant tout proche de la lagune. Le silence était retombé plus lourd après le fracas de nos armes. Nous attendions dans une chaleur étouffante de serre.
Et soudain ils étaient là : quatre petites silhouettes furtives dans leurs robes écrues, leurs longs cheveux flottant sur leurs épaules, leurs pieds nus frôlant le sol sans bruit. Quelques instants plus tard, nous glissions à l'air libre, dans leur pirogue, sur l'eau grise et calme. Au loin, le lac s'élargissait au pied de hautes falaises crayeuses d'où pendaient des écheveaux embrouillés de lianes. Bientôt, sur un promontoire défriché, apparurent les toits de feuilles roussies d'un caribal, d'un hameau lacandon. Des colonnes de fumée montaient, des foyers, vers le ciel chargé de nuages.
Bien qu'on fût alors dans la saison dite « sèche », il pleuvait chaque jour dans ce pays des Lacandons, et il en fut de même quand j'y retournai l'année suivante. Aux confins du Mexique et du Guatemala, entre Palenque et le fleuve Lacantûn, entre l'Usu-macinta et le Jataté, deux centaines d'Indiens peut-être, vivent disséminés par petits groupes sur près de dix mille kilomètres carrés, dans les replis d'un vaste système montagneux recouvert par la jungle, criblé de lacs, parcouru de fleuves, de rivières et de ruisseaux innombrables. Le vent qui souffle du golfe du Mexique pousse sans trêve vers ces forêts les nuages et les brumes qui s'accrochent aux cîraes
des arbres, ondulent paresseusement le long des pentes et se résolvent à tout instant en averses sur cet océan de végétation gorgée d'eau.
Aussi quel soulagement, quelle impression de confort lorsqu'on se trouve, dans les huttes d'un caribal, enfin au sec ! D'énormes bûches disposées en étoile rougeoient jour et nuit ; les Indiens ne dorment jamais que d'un œil et se relèvent vingt fois pour entretenir le feu. Souvent, pour chasser les moustiques et combattre l'humidité, on allume aussi un petit foyer sous les hamacs. La fumée a laqué de noir les feuilles de palmiers de la toiture.
Encore aujourd'hui, si je passe à l'automne près d'un de ces brasiers où l'on brûle, chez nous, les feuilles mortes, soudain l'acre odeur de la fumée me replace d'emblée, par un vertigineux voyage dans l'espace et dans le temps, sous ces toits, près_ des Caribes avec qui j'ai vécu en partageant des racines de manioc rôties sous la cendre. Je revois les petites cases assiégées par la jungle, avec leurs pauvres plantations entre les troncs d'arbres abattus, la muraille verte de la forêt, le lac s'estompant au loin dans le brouillard. Je me retrouve assis dans un hamac, les yeux et la gorge irrités par l'éternelle fumée, tandis que Tchank'in - - « petit soleil » — taille délicatement des pointes en silex pour ses flèches ».JACQUES SOUSTELLE. LES QUATRE SOLEILS. TERRE HUMAINE 1967
Les indiens que l'on nomme « Lacandons » vivent aujourd'hui dans la forêt du Chiapas, à l'extrême sud du Mexique. Ils sont les derniers représentants d'une culture maya des Basses-Terres, datant de l'ère postclassique, actuellement en voie d'extinction. Leurs ancêtres, originaires du Petén (la forêt guatémaltèque), se trouvaient le long des rios de la Pasión et Usumacinta durant l'époque coloniale et ne pénétrèrent au Chiapas que vers la fin du dix-huitième siècle. Ils ne sont guère nombreux (autour de 400 de nos jours) mais s'intitulent pourtant fièrement, HACH WINIK, « les vrais hommes », en Maya.
Ils ne sont pas, comme on le pense souvent, les descendants des mayas de l'âge classique, ni de ceux qui occupaient leur foret au temps de la conquête, des indiens de langue Cholti, (soumis et déportés par les espagnols durant le XVIème et XVIIème.) alors qu'eux parlent un dialecte Yucatèque.
Héritiers d'une culture en voie d'extinction, il s'infiltrèrent progressivement dans ces régions fuyant les missionnaires et les migrations d'autres réfugiés .Le terme « lacandon » ne désigne donc pas un groupe ethnique précis et ils ne sont d'ailleurs pas homogènes physiquement ni sociologiquement(lacandons du nord et du sud , différents par certains détails vestimentaires des femmes et avec des système de parenté différents).Lacandon dérive d'un terme chol qui signifié « Grand Rocher « (ils ont donc pris le nom des premiers habitants) et qui désigne le lac Miramar au Chiapas. ».El Lacandon devint le nom de toute la région et des tribus qui y vivaient.et s'appliqua à tout groupe indien insoumis du Peten.les Lacandons apparurent dans la littérature au XVIIIème, lorsque, conduits par un curé un petit groupe fonda un hameau près de Palenque, servant d'intermédiaires avec les groupes de la foret.
« Bien que peu nombreux, les Lacandons actuels témoignent d'un manque d'homogénéité culturelle et physique qu'il ne faut pas exagérer, mais qu'il faut souligner. « Chez certains indigènes, écrit J. Soustelle (1937 : 10), la face est très large, la bouche large et les lèvres épaisses, le nez large et aplati, un peu déprimé à la racine ; chez d'autres, la face est plus haute et moins large, la bouche plus étroite avec des lèvres toujours assez épaisses, le nez proéminent, busqué, et relativement étroit, évoquant d'une façon saisissante les figures sculptées de l'époque maya. Ces deux types se retrouvent côte à côte dans les divers groupes ; ils n'ont pas de localisation géographique déterminée. On peut se demander si leur existence n'est pas la marque d'une hétérogénéité fondamentale ou d'un apport de populations... » La question que pose Soustelle est intéressante. Il y a des raisons de supposer que les Hach Winik sont le résultat d'un mélange de populations et de cultures diverses. Peut-être sont-ils les descendants de groupes marginaux qui pénétrèrent dans le bassin de la Pasion et de l'Usumacinta peu après la chute du « Vieil Empire » maya, et qui se mélangèrent aux autochtones ayant survécu au cataclysme. Nul ne le sait »t .DIDIER BOREMANSE.CONTES ET MYTHOLOGIES DES INDIENS LACANDONS .L'HARMATTAN.
les Lacandons conservèrent jusque vers les années 1950 un mode de vie relativement traditionnel, caractérisé par un habitat très dispersé. Ils pratiquaient l'agriculture, la chasse, la pêche, et la cueillette.
Ils vivaient en petits groupes de deux ou trois huttes, disséminés dans la forêt. Ils évitaient, quand cela n'était pas absolument nécessaire, les rapports avec les métis et les indiens groupés en villages, par peur des rhumes, grippes, et autres maladies contagieuses contre lesquelles ils n'avaient d'autre défense que leur foi en les dieux et en leurs encensoirs. Seules les cérémonies religieuses rompaient la monotonie de l'existence de ces indiens, solitaires et oubliés dans la forêt tropicale .Les Hach Winik n'avaient ni chefs politiques, ni prêtres ; seuls les chefs de famille exerçaient leur autorité, mais pas au-delà de leur entourage immédiat Ils pratiquaient la polygynie. Plusieurs hommes n'avaient pas moins de trois épouses, et parfois davantage. Les mariages entre cousins germains étaient fréquents
« J'ai vu au total une population de 73 personnes, réparties en sept caribales, le mot caribal désignant dans toute cette région le groupe de quelques cases qui forment un campement lacandon. Les caribales sont souvent très éloignés les uns des autres, quelquefois à plusieurs jours de marche. des greniers et des temple, …
il y a a dans chaque caribal, un personnage plus important que les autres que l'on peut considérer comme le chef ; son autorité cependant n'est pas très définie, ni très assurée. Si donc l'on peut parler de chefferie en ce qui concerne les Lacandons, il s'agit en tout cas d'un phénomène assez diffus Cette prééminence est le fait d'un homme dans le caribal, soit parce qu'il est aîné ; soit parce qu'il est plus intelligent et plus instruit que ses compagnons. Le chef jouit de privilèges certains : il a souvent une maison, avec ses annexes, plus grande que les autres habitations ; il commence le premier sa fête dans le temple ; c'est lui qui règle les relations soit avec d'autres Lacandons, soit avec les étrangers. Enfin, il est souvent polygame, alors que les autres hommes n'ont qu'une ou point de femme.
Chaque caribal, nous l'avons vu, ne comprend que dix à quinze personnes, c'est-à-dire deux ou trois familles.
Les Lacandons éprouvent une grande répugnance à vivre dans une agglomération un peu importante. Leur tendance naturelle est de se diviser, et non de se grouper. En suivant l'histoire de tel ou tel groupe, on voit qu'une famille s'est séparée des autres, qu'elle est allée s'installer à deux ou trois jours de marche du campement. D'ail leurs, on peut se demander si les Lacandons, étant donnés leurs procédés de culture, ne sont pas sages d'agir ainsi : un village important exigerait le dé frichement d'une si grande surface de terrain que les champs se trouveraient très rapidement à une distance considérable de l'agglomération. Cette observation est peut-être de nature à jeter une certaine lumière sur les causes de la décadence de la civilisation maya. »
Les caribales changent donc souvent de place et leur population ne reste pas constituée par les mêmes familles. Les disputes à propos des femmes ou pour d'autres sujets sont fréquentes. Les familles décident donc de se séparer et de se grouper (dans le cas où il y a regroupement) autrement et ailleurs, le long d'autres rivières ou au bord d'autres lacs, à la recherche de terres qui seraient éternellement fertiles. Si on ajoute à cela qu'on abandonne également le caribal après un décès, on comprendra combien il est difficile de savoir où sont les Lacandons »
Occupant un territoire dans la partie Est de l'Etat mexicain du Chiapas près de la frontière du Guatemala, ils sont disséminés sur près de 9000 km2. Le pays est en même temps très accidenté et couvert d'une épaisse forêt. En dehors de la saison sèche, qui ne dure que du mois de mars au mois de mai, il pleut toute l'année — les pluies les plus fortes tombant de juin à janvier. Les sous-sols sont relativement imperméables facilitant les écoulements de surface et l'érosion rapide des sols. Tout le pays est coupé de cours d'eau, de lacs et de lagunes. Il est très difficile de circuler, car il n'existe aucun véritable chemin. Une trouée faite au machete est « refermée » par la végétation quelques semaines plus tard. On circule à mulet, à pied ou en pirogue.
« Or il suffit de vivre huit jours avec les Lacandons pour constater qu'ils se comportent, dans l'existence quotidienne, avec un sens aigu du réel qui les entoure. Ce ne sont pas des rêveurs éveillés toujours prêts à devenir les jouets d'une illusion. Face à un milieu naturel très dur, à un monde impitoyable, ils appliquent jour après jour toute une série de techniques très sûres, très précises et souvent complexes (qu'on essaie par exemple de faire fonctionner le métier à tisser de type précolombien dont se servent les femmes caribes), témoignages d'un esprit positif sans lequel, d'ailleurs, il n'y aurait pas de Lacandons.
Mais ce n'est pas tout : ils ne se contentent pas de répéter machinalement les gestes nécessaires à la culture du maïs, à la chasse, à la pêche. Leurs actions sont fondées sur une connaissance. Que de fois n'ai-je pas été émerveillé de voir avec quelle certitude ils savaient où trouver en pleine jungle, à tant de jours de marche dans telle direction, un bouquet d'arbres dont l'écorce peut être battue, une colonie de perro-cruets, une plante isolée dont le fruit est comestible, un gisement d'argile ou de silex ; avec quelle érudition ils étaient capables de discerner les diverses variétés de baies, de lianes, d'animaux, de pierres ; quels indices, pour nous invisibles, les guidaient dans la pénombre de la grande forêt. Dans ce monde à eux, c'étaient eux les savants et moi l'ignorant : il s'ouvrait sous leurs yeux comme un livre que l'on déchiffre sans peine, alors que pour moi il demeurait scellé. Sans doute est-ce là le seul livre qu'ils connaissent, et leur savoir n'est-il conservé et transmis que par la mémoire et l'expérience, génération après génération. Il n'en reste pas moins vrai que ces Indiens ont établi l'inventaire du cadre naturel où se déroule leur vie et qu'ils le tiennent constamment à jour : démarche proprement intellectuelle, qui ne me semble séparée de nos processus mentaux les plus rationnels par aucune différence intrinsèque. Chaque Lacandon adulte a dans l'esprit une géographie, une botanique, une zoologie, une minéralogie non écrites mais fort bien adaptées à leurs objets ».J.SOUSTELLE OP.CITE
La végétation luxuriante est formée de grands arbres toujours verts à feuilles persistantes), tels que l'acajou, le cèdre, le fromager, la sapotier, le chêne vert..., et d'une grande variété de palmiers, ainsi que de pins dans les zones plus élevées ; Le sol est couvert de lianes, de buissons, de plantes parasites, de végétaux en train de pourrir Le sol de la forêt est composé d une couche d'humus de dix à trente centimètres d'épaisseur peu favorable à l'agriculture.
Une population peu nombreuse et dispersée, comme les Hach Winik autrefois, peut parfaitement vivre pourtant vivre de la culture sur brûlis. Celle-ci leur donnait le maïs, les haricots, les tomates, les tubercules, les calebasses, les cucurbitacées, le manioc doux, la papaye, le piment, et le tabac. Jadis, le gibier abondait. Les Indiens chassaient deux espèces de singe, deux espèces de pécari, deux espèces de chevreuil et de petits mammifères tels que l'agouti, le paca, le coati, le tatou ; enfin des oiseaux gallinacés : le faisan, la perdrix, la caille ; et grimpeurs : le toucan et le perroquet. Ils pèchaient aussi des tortues, des crabes, et des bigorneaux d'eau douce.
« Les Lacandons forment une société fortement caractérisée. Si on les compare à leurs voisins indigènes du Chiapas, leur originalité saute aux yeux : ils parlent, avec des variantes locales peu importantes, le maya « classique » du Yucatân et non le dialecte tzeltal ; ils ne portent aucun vêtement de type européen, point de chapeau, mais la tunique des hommes ou le corsage et la jupe des femmes (dans la zone sud, les femmes se revêtent d'une tunique semblable à celle des hommes) ; ils n'ont été soumis à aucune évangélisation et conservent leur religion polythéiste. Loin de s'agglomérer en villages sous le commandement de « principales » comme les katinab des tribus du Chiapas, ils se dispersent à l'infini en petits groupes autonomes qui souvent éclatent et se subdivisent encore ; sans doute existe-t-il chez eux des hommes qu'on peut qualifier de chefs, mais la nature et l'étendue de leur autorité varient d'un caribal à l'autre.
Tantôt il s'agit du père de famille le plus âgé, tantôt du frère aîné, tantôt de l'homme qui est réputé connaître mieux que les autres les dieux et les rites, tantôt de celui qui s'est imposé par un caractère violent, voire tyrannique. De toute manière, quand un Lacandon, pour quelque raison que ce soit, ne supporte plus la cohabitation avec ses voisins de groupe, il part avec sa ou ses femmes et ses enfants, défriche quelque part un rectangle de Le plus étonnant peut-être pour nous, c'est de constater que les Lacandons parviennent à vivre, jour après jour, année après année, sans rien recevoir du dehors. Ils cultivent pour se nourrir le maïs, le manioc, la patate douce, le piment, le haricot, le chayote, la tomate. Ils chassent les oiseaux de la forêt, le singe, le tapir, le porc sauvage ; ils pèchent dans les lagunes et les rivières : leurs arcs et leurs flèches, ils les ont fabriqués avec le bois de gaïac, les roseaux, le silex, les plumes de perroquet qu'ils se sont procurés eux-mêmes.
Ils ont construit leurs maisons et leurs temples en branchages et en feuilles. Ils ont fait pousser le coton que les femmes ont filé et tissé pour confectionner les vêtements, et le tabac dont ils roulent ensemble les feuilles à peine séchées pour fumer leurs gros cigares. Ils ont abattu et creusé des troncs d'acajou pour faire leurs pirogues. Tout cela, sans parler de lécorce de baltché qu'ils font fermenter avec du maïs pour obtenir la boisson rituelle, ni de celle que l'on bat pour s'en vêtir, ni de la teinture rouge du roucou et des autres couleurs végétales que les femmes utilisent pour décorer leurs jupes, ni des plumes multicolores dont elle ornent leurs cheveux, ni de l'argile qu'on modèle en encensoirs sacrés, ni des fibres qu'on tord pour fabriquer des ficelles, des filets et des hamacs, ni des calebasses et des gourdes qui servent de récipients, ni des roseaux qu'on transforme en flûtes au son plaintif... que sais-je encore ? Tout, absolument tout, de la nourriture au loisir, de l'arme au jouet, de l'abri au rite, a été arraché à la terre, à l'eau et à la forêt, bâti, façonné, tissé par leurs mains. ». J.SOUSTELLE OP .CITE
Les premiers contacts avec eux datent de la fin du XIXème avec le commerce de l'acajou au Chiapas. Un commerce de troc s'établit avec les bucherons mais aussi les épidémies. Dès lors, les Indiens évitèrent systématiquement tout contact avec les étrangers, changeant de résidence dès que ceux-ci les avaient découverts. Dans les années 1920, le commerce de l'acajou s'effondra, et les « Vrais Hommes » furent rendus à leur solitude.
Après la Seconde Guerre mondiale, la forêt commença à être envahie par d'autres indiens. Ils furent suivis par les Tzotzils des Hautes-Terres du Chiapas. Ces pauvres paysans fuyaient la misère ainsi que le joug des grands propriétaires terriens. Ils espéraient trouverune vie meilleure dans la forêt, qu'ils envahirent et défrichèrent énormément. Non contents de déboiser, les colons polluèrent les rivières avec leurs porcs et leurs mules, et ils chassèrent les Hach Winik du territoire que ceux-ci occupaient depuis des décennies. Les « Vrais Hommes » durent renoncer à leur mode d'habitat dispersé, et ils formèrent des groupements plus compacts, encore qu'à l'intérieur de ceux-ci la population fût relativement disséminée. On compte de nos jours à présent trois communautés lacandones, celles de Naha et Mensabak-Ts'ibatnah dans le Nord-Ouest, qui comptent chacune une centaine d'habitants, et celle de Lacanha Chan Sayab, dans le Sud-Est, dont la population s'élève à plus de cent dix personnes] y a une vingtaine de familles dans chaque communauté.
Bien que séparés, ces groupes ne sont jamais très loin de la piste d'atterrissage. Ils sont donc désormais à portée des missionnaires, touristes, ethnographes, cinéastes, reporters, photographes, et de tous ceux qui, par vocation, curiosité, nostalgie du « primitif, » veulent connaître un peuple qui aurait gardé son identité culturelle. En fait Ces contacts avec le monde extérieur ont miné peu à peu les derniers vestiges de cette culture maya postclassique du Péten, venue mourir au Chiapas. Hors quelques familles, la plupart des Hach Winik ont renoncé à leur religion traditionnelle et pratiquent les rites que leur ont enseignés les représentants locaux de diverses sectes protestantes nord-américaines. Leur littérature orale est en passe de tomber dans l'oubli, et c'est pourquoi il est urgent de la préserver.
« La culture matérielle des Lacandons a changé énormément depuis un demi-siècle. Les huttes aux toits de palmes se sont transformées en baraques couvertes de tôle ondulée, ou même en petites maisons de ciment. Les ustensiles de cuisine, les outils, les armes, les hamacs sont des produits manufacturés, extérieurs à la forêt. Le fusil a remplacé l'arc et les flèches ; la torche électrique a remplacé la chandelle ; le moulin métallique a pris la place de la pierre à broyer le maïs (métate) ; la radio et le tourne-disque ont éliminé la flûte et le tambour
Les techniques du tissage, de la vannerie, et de la poterie ne subsistent que dans quelques familles. Des meubles, des coffres, des lampes à pétrole, des machines à coudre, des casiers de bouteilles ont envahi le sol en terre battue des huttes indiennes. Dans la plupart de celles-ci le feu ne brûle plus entre les trois pierres du foyer, mais dans ur fourneau. Les ciseaux, les aiguilles, les plats en plastique, les couverts les poêles à frire, et les casseroles sont d'un usage courant.
L'aspect physique des adultes appartenant à la jeune génération ne ressemble guère à celui de leurs ancêtres. La majorité portent pantalon et chemise, chaussettes et souliers ; et nombreux sont ceux? qui ont les cheveux courts.
Depuis l'apparition des routes, des camions sillonnent la forêt —ce qu'il en reste — et bientôt, le canot à moteur remplacera la pirogue sur les lacs.
Au cours de ces vingt dernières années, l'alimentation des « Vrai; Hommes » s'est singulièrement détériorée. La destruction de la foré chiapanèque a pris des dimensions apocalyptiques et le gibier a pratiquement disparu. En vingt mois de séjour sur le terrain, je n'ai mangi du pécari que deux fois, et du singe à peine deux ou trois fois, e cela bien que mes généreux hôtes aient toujours partagé leur nourriture avec moi. Ces viandes succulentes sont devenues rares, et l'ordinaire ne comprend généralement que des galettes de maïs et des haricots noirs ». DIDIER BOREMANSE.CONTES ET MYTHOLOGIES DES INDIENS LACANDONS .L'HARMATTAN.
Au début des années 1970, 662000 hectares de forêt furent, par décret présidentiel, attribués aux Hach Winik, considérés comme les descendants des Lacandons de l'époque coloniale. Le gouvernement fédéral espérait-il, par cette mesure, protéger ou sauver la forêt ? Les invasions continuèrent néanmoins, y compris à l'intérieur du territoire lacandon. Aux émigrés précédents tzotzil, chol, vinrent s'ajouter des colonies de péons venus d'autres États mexicains, et de grands éleveurs dont le rêve est d'éliminer la forêt et de la remplacer par de vastes pâturages, sans même épargner assez d'arbres pour donner de l'ombre au bétail.
La décision du gouvernement mexicain de créer un parc sous un prétexte écologique fut en fait un leurre pour les lacandons.Propriétaires théoriques, et analphabètes, ils concédèrent facilement des droits à des compagnies forestières. Pour à peine peine 30% des revenus forestiers. Le reste censé leur servir fut aux mains des compagnies et des fonctionnaires. Des milliers d'arbres furent, et sont encore, brûlés presque inutilement par des colons affamés, ignorant que le sol de la forêt est impropre à l'agriculture. Une fois les arbres abattus, une fois disparue la voûte épaisse de leur feuillage, la mince couche d'humus du sol ne tarde pas à disparaître. Les cendres de la végétation brûlée constituent un engrais naturel et les premières récoltes sont abondantes. Mais, au bout de quelques années, le sol s'érode et devient pierreux et stérile. Et il n'y a plus qu'à s'en aller ailleurs, à déboiser davantage.
« A partir de 1979, des routes furent construites par la compagnie forestière, et l'on proposa alors aux « chefs » des différents « villages » désormais reliés entre eux, ainsi qu'aux villes voisines, de leur donner des camions en guise de paiement pour le bois précieux. La proposition fut acceptée, mais pas à l'unanimité. En fait, les camions furent monopolisés par quelques individus qui refusèrent d'en faire bénéficier la collectivité, et les utilisèrent comme s'il se fût agi de biens personnels. L'injustice existe désormais dans cette société qui était pourtant, il y a encore quelques années, fondamentalement égalitaire. D'intermi nables conflits la minent et empêchent les Indiens de s'unir pour défendre leurs droits et leur forêt en voie d'être complètement détruite.
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Que vont devenir les Hach Winik ? Leur nombre augmente sans cesse et la quantité de terres cultivables diminue. L'économie traditionnelle ne suffit plus, et personne ne leur a enseigné à s'adapter à la situation nouvelle. Les Indiens continuent d'aller vendre leurs flèches aux touristes de Palenque et autres lieux, ce qui leur permet d'acheter des vivres pour suppléer aux maigres produits de la chasse et de la milpa. Mais, avec la crise mondiale actuelle, l'abondance des années 1970 n'est plus qu'un souvenir, et la pauvreté qui s'abat sur le Mexique tout entier n'épargnera point les « Vrais Hommes », dont le sort est désormais lié à celui de l'économie nationale.
Il serait illusoire d'espérer que le gouvernement mexicain sauvât la forêt chiapanèque, et les derniers Lacandons, alors même que c'est tout le pays qui se trouve menacé de ruine, et que c'est ce même gouvernement (16) qui l'a conduit au bord du gouffre.
Les contes et les récits fabuleux qui suivent témoignent d'un monde englouti, d'une époque à jamais révolue durant laquelle les Hach Winik vivaient libres, en communion avec la nature, perdus et oubliés dans les profondeurs de la forêt vierge. Certes, leurs conditions d'existence étaient dures, voire cruelles ; mais la forêt tropicale est plus clémente à l'homme que la civilisation industrielle. Et si l'on devait comparer leur vie d'antan à leur lot présent et à venir, on exagérerait à peine en concluant que les « Vrais Hommes » ont été chassés du paradis ». DIDIER BOREMANSE.CONTES ET MYTHOLOGIES DES INDIENS LACANDONS .L'HARMATTAN.
Les carnavals masqués , continuent à rendre hommage aux mythes anciens un peu partout . Habillé sous forme de chèvre, de diable, d’ours ou de monstre avec mâchoire en acier, « l’homme sauvage » appartient au monde de ces mythes.
Le photographe Français Charles Freger découvre le Krampus ) à Salzburg lors d’une mascarade. - créature démoniaque, née dans des pays comme l’Autriche, la Bulgarie ou la Slovénie. Fasciné par la rencontre, il se mit à la recherche des divers figures du mythe dans une chasse photographique à travers, ce qu’il appelle « l’Europe tribale ».
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