H.ARENDT penseur du politique
Une première approche des fondements de la Démocratie: la pensée d'Hannah Arendt
Ni politique, ni philosophe », Hannah Arendt constatait : - "Je ne cadre pas". Née en 1906 à Hanovre, morte en 1975 à New York, elle« étudie successivement sous la direction des plus grands penseurs allemands de ce siècle : Husserl, Heidegger, Jaspers. Juive allemande, l'arrivée d'Hitler la contraint à l'exil en 1933. Elle connaîtra l'absence de statut des apatrides pendant dix-huit années. A Paris, où elle vit jusqu'en 1941, elle rencontre Aron, Sartre, Camus.. Elle émigré ensuite aux Etats-Unis, dont elle choisit délibérément de devenir citoyenne en 1951. Après une réception difficile en France, tardé Hannah Arendt s'impose actuellement comme une figure originale et majeure de la pensée contemporaine. Aucun des événements tragiques de ce siècle, décisifs pour la condition de l'homme moderne - révolutions, antisémitisme, impérialisme, totalitarisme, crise de l'autorité et de la tradition -, n'a échappé à son mode de penser .
Notre siècle a totalement transformé le statut de l'homme ; celui-ci est désormais un membre d'un ensemble qui le dépasse, et dont il ne peut s'échapper. Il vit dans un monde où la technique prend de plus en plus d'importance, et où le politique s'impose sans possibilité d'écart ou de fuite. Ce monde est également celui des pires violences, de la barbarie généralisée. Hannah Arendt commence ici sa réflexion sur l'originalité radicale de notre époque. Elle pose les bases d'une réflexion qui permettra, peut-être, de se donner les moyens d'éviter les dérapages vers la violence aveugle, en comprenant en profondeur la dimension de "l'homme moderne".
la pensée elle même doit nait d'évènements de l'expérience vécue et doit leur demeurer liée comme aux seuls guides propres à l'orienter
L'horreur nazie et le Stalinisme ont suscité son étude majeure sur les ORIGINES DU TOTALITARISME , signe de "sombres temps" où l'homme est devenu "superflu" et qui annoncent notre modernité.
Conséquence des totalitarismes et de notre libéralisme planétaire: superflu l'est aussi l'apatride, l'homme nu, celui qui ne doit plus le maintien de sa vie au droit, mais à la charité, au bon vouloir versatile des autres;
Ce qui rend les hommes égaux à l'encontre n'est donc pas la naissance mais la citoyenneté, l'appartenance à une "polis" à une cité" le droit d'avoir des droits" c'est à dire d'être simplement jugé sur ses actes ou ses opinions. et non sur quelques critères ethniques ou raciaux.
A l'encontre des lois de l'histoire et des processus dialectiques fatalistes et justificateurs,Arendt produit une pensée de l'évènement:
Elle le considère comme un amalgame, qu'elle nommera par la suite « cristallisation ». L'événement est un composé complexe d'éléments souvent disparates qui, à un moment donné, imprévisible, se cristallisent, c'est-à-dire se figent en une forme identifiable, l'événement lui-même.( les grecs parlaient de "kairos" et Machiavel de Fortune) En partant de l'événement, la démarche de compréhension peut tenter de reconstituer ces éléments - qu'Arendt appellera par la suite ses origines.
« Les composantes du totalitarisme en constituent les origines, à condition que par "origines" on n'entende pas "causes". [...] Par eux-mêmes, des éléments ne sauraient causer quoi que ce soit. Ils ne deviennent les origines d'événements que s'ils cristallisent soudainement en des formes fixes et définies, et à ce moment là uniquement » En définitive, c'est l'importance donnée à la notion même d'événement qui commande le sens de la méthode : « L'événement éclaire son propre passé, mais il ne saurait en être déduit. » Par définition, un événement est absolument imprévisible et singulier, il résiste à toute tentative d'explication strictement causale. Un événement relève bien plutôt d'une logique du sens, et il requiert une méthode compréhensive susceptible de laisser une place à la nouveauté.
Mais, d'autre part, cette nouveauté n'est pas un monstre soudainement apparu et aussi soudainement disparu. Si les problèmes que le totalitarisme a prétendu résoudre sont ceux de notre temps - et pas seulement ceux de l'Allemagne - sa défaite ne laisse pas place à un recouvrement immédiat de la liberté mais fait réapparaître - entiers - les problèmes qui restent irrésolus. De sorte que nous continuons d'être menacés par une nouvelle cristallisation .
"Ce que je propose est donc très simple : rien de plus que de penser ce que nous faisons. "
Seul l'effort de comprendre ce qui s'est passé rend possible une résistance lucide, loin de la révolte aveugle et des lamentations vaines. « Comprendre, toutefois, ne signifie pas nier ce qui est révoltant et ne consiste pas à déduire à partir de précédents ce qui est sans précédent ; ce n'est pas expliquer des phénomènes par des analogies et des généralités telles que le choc de la réalité s'en trouve supprimé. Cela veut plutôt dire examiner et porter en toute conscience le fardeau que les événements nous ont imposé, sans nier leur existence."
Ce projet recquiert ,à l'inverse , de donner toute sa place à la liberté humaine, et aux conditions sous lesquelles celle-ci peut s'épanouir., ce qui revient à fonder une nouvelle anthropologie politique Paradoxalement celle ci prend la forme d'un retour aux Grecs et aux fondements de la POLIS.
la référence aux Grecs:
Les constantes références à l'antique cité athénienne que l'on trouve dans l'ouvrage d'Arendt ne témoignent pas tant de sa nostalgie envers un idéal révolu que de l'effort de retrouver le sens d'une pensée politique qui conserverait toute sa pertinence pour le monde contemporain.
Les concepts grecs, bien qu'ils se soient considérablement modifiés, et que leur rôle ait beaucoup évolué au cours de l'histoire, demeurent, aujourd'hui plus que jamais, les fondements d'une authentique pensée politique. Toutefois, si notre époque n'a pas grand-chose à voir avec les concepts politiques qui ont marqué le « siècle de Périclès », la rupture historique du xxe siècle représente une grande chance. Rendus en effet à nous-mêmes, nous sommes à nouveau libres de jeter un regard dénué de préjugés sur toute la tradition occidentale, en remontant jusqu'à ses origines grecques. Lorsque Arendt en appelle aux Grecs, elle se réfère en réalité à la polis athénienne du Ve siècle avant notre ère.
Les références d'Arendt au monde grec seraient ainsi des invitations à lire entre les lignes de la tradition philosophique, pour y découvrir les fils d'une autre tradition de pensée. Le principe de démarcation entre domaine privé et domaine public serait, la distinction conceptuelle la plus significative du modèle athénien. En effet, cette démarcation semble structurer en profondeur l'organisation politique de la polis.
A l 'origine, la cité grecque antique est née de l'éclatement de royaumes mycéniens vers le VIIe siècle av. J.-C., et elle est issue d'un partage de la souveraineté entre pairs. La polis constitue d'abord un système aristocratique où l'exercice du pouvoir implique à la fois un partage et une rivalité entre égaux. Or, le régime de la polis n'a pris toute sa dimension qu'au moment où la puissance de parole, la force de persuasion est devenue le moyen quasi exclusif par lequel pouvait s'exprimer cette rivalité, en reléguant la violence et la guerre hors de la cité. « Ce qu'implique le système de la polis, c'est d'abord une extraordinaire prééminence de la parole sur tous les autres instruments du pouvoir. Elle devient l'outil par excellence, la clé de toute autorité dans l'État, le moyen de commandement et de domination sur autrui. » Le nouveau mode de vie social institué par la polis est ainsi un mode de vie actif et accompagné de paroles.C'est l'isonomie, le gouvernement des égaux.
Ce principe juridico-politique, qui constitue le coeur du régime de la polis, affirme l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Clisthène, dans la seconde moitié duV iècle, confère un rôle politique au « peuple » athénien, le Demos, en modifiant la composition du conseil, en donnant tous un droit à la parole et en démocratisant les institutions. La vie politique a dès lors pour enjeu une visée d'excellence qui concerne chaque citoyen et lui enjoint de participer aux affaires publiques.
De là procède la méfiance des Athéniens vis-à-vis de toute spécialisation des fonctions du pouvoir, les Stratèges et autres spécialistes militaires disposant en effet d'une autorité contrôlée. Périclès obtient, enfin, que chaque citoyen devienne éligible. L'« isonomie » se se transforme alors en démocratie réelle, les citoyens pouvant accéder à toutes lescharges publiques. L'égalité de tous les citoyens devant la loi se mue en participation effective à toutes les magistratures du pouvoir. Un tel régime politique implique, en particulier, que l'action politique des citoyens soit une action sans modèle et en quelque sorte improvisée, par opposition u travail productif qui est une activité réservée au spécialiste et qui requiert un savoir particulier - comme c'est le cas chez l'artisan. Enfin, chacun étant apte à donner son jugement sur l'action à mener, ou sur celle qui vient d'être menée, on comprend que la discussion et le débat soient toujours étroitement liés à l'action politique. L'espace politique ainsi institué par les citoyens est donc un espace d'apparition où chacun peut s'attacher une certaine « gloire », laquelle est liée à la grandeur de l'action et tributaire du jugement de ses concitoyens.
L'espace politique constitue, en somme, un « espace public » en un double sens : il repose sur un intérêt commun et requiert une entière visibilité des actions.
Si la « publicité » de l'action politique détermine l'espace commun de la cité, elle s'oppose à l'obscurité qui enveloppe le domaine privé. Celui-ci désigne en effet la maisonnée où l'on se consacre aux affaires domestiques et économiques. Alors que la cité est l'espace de la liberté.
Représentation et opinion
L'exemple des grecs va donc servir de fil conducteur à deux reflexions sur la démocratie: l'une qui va prendre la forme d'une critique de l'extension du technique au poilitique, l'autre qui va interroger la notion même de représentativité
De ces deux reflexion critiques va naitre une caractéristique anthropologique du politique: il est le domaine de l'action, par apposition au travail ou à l'oeuvre d'art.
dans "l'Essai sur la Révolution ", Arendt écrit: à propos de la représentation « c'est l'un des problèmes les plus critiques et difficultueux de la politique moderne depuis les révolutions » A un tel problème il n'y a cependant pas de remède. Soit la représentation est un substitut de l'action directe des citoyens et elle laisse place à un espace d'action et de parole qui n'est plus réservé qu'aux représentants du peuple. Dans ce cas la démocratie n'est qu'une oligarchie, dans la mesure où « le bonheur et la liberté publique sont redevenus le privilège du petit nombre » . Soit la représentation restreint l'initiative des représentants, en les dotant d'un mandat impératif strictement contrôlé par les mandants. Dans ce cas, ils sont privés de toute action et le gouvernement se réduit à n'être qu'une administration. Par ailleurs, l'existence des partis politiques, formés en vue de faire élire un maximum de leurs membres au gouvernement, est inséparable du gouvernement représentatif. Certes, les partis divisent le corps électoral, affinent le rapport du représenté à la représentation et permettent un certain contrôle des citoyens sur le gouvernement. Leur objectif n'est cependant pas d'assurer une participation directe des citoyens aux affaires publiques, mais de faire parvenir leurs membres aux affaires avec le soutien des citoyens qui votent pour eux.
Le problème que pose la représentation est celui de savoir ce qui - politiquement - est à proprement parler représentable, c'est-à-dire délégable à un autre, de telle sorte que par lui, je sois présent tout en étant absent. Tout ceci amène une problématique du pouvoir et de l'opiniin ou" comment former un esprit public ?"
La grande chance de l'époque moderne réside dans le fait que le domaine politique a été rendu en quelque sorte à lui-même, grâce à la sécularisation et à la faillite de toutes les autorités traditionnelles. Dans le domaine des affaires humaines , tout peut être discuté et débattu, tout est soumis à la variété des opinions et des jugements. Ce domaine se caractérise par la relativité et le changement perpétuel et rend donc problématique l'idée d'une connaissance ferme.
En effet, le penseur politique se doit de partir de la reconnaissance de la pluralité comme condition du politique. Qr, celle-ci se manifeste de manière privilégiée dans l'échange et le conflit permanent des opinions. De même qu'elle refuse le concept de la souveraineté « une et indivisible », Arendt refuse l'unanimisme des opinions, y compris sous la forme du consensus rationnel ou de la vérité. La vérité, envisagée du point de vue politique, a un caractère contractuel, c'est-à-dire qu'elle résulte d'un accord passé entre plusieurs personnes ayant dialogué et délibéré entre elles. Au contraire, la vérité, prise au sens de la théorie philosophique ou scientifique, a un caractère contraignant pour les individus qui la conçoivent, dans la mesure où elle relève du processus purement a priori de la pensée logique. On peut y voir le fondement de théocraties et des totalitarismes:.Il y aurait une vérité du LIVRE comme une vérité scientifique des lois de l'histoire. Le penseur politique doit se préoccuper du sens des actions humaines que de la vérité des pensées. Cette pensée radicale ne doit pas être source de malentendu en particulier cette formule qu'aurait pu écrire Machiavel: « L'opinion et non la vérité est une des bases indispensables de tout pouvoir » .
Formule choquante à première vue, mais qui s'éclaire quand on se souvient que persécutions, inquisitions, se sont toujours accomplies au nom de Dieu, de l'Histoire, des lois de la Nature, de de la Vérité enfin. Il s'agit moins d'un relativisme de la connaissance que d'une sagesse politique, respectueuse de la fragilité des choses humaines et loin de tous les fanatismes.
Absence de vérité, n'implique pas vil opportunisme ou absence de véracité personnelle:
Le concept d'opinion au sens arendtien est lié à sa conception du domaine politique comme « espace public », ou comme espace de révélation et d'apparence. Ce n'est pas tant l'opinion en elle-même qui intéresse Arendt que la constitution d'un espace où les opinions puissent s'échanger et se confronter les unes aux autres. L'opinion n'est donc pas par elle-même la manifestation de la réalité, mais la condition de possibilité pour qu'une réalité puisse se manifester aux yeux des hommes, cette réalité devenant alors un « monde commun ». L'opinion joue ainsi un rôle politique, dans la mesure où elle rend possible un espace public d'apparition. Or, cet espace ne relève pas des opinions individuelles prises en elles-mêmes (c'est-à-dire de leur contenu), mais il relève de la structure formelle instituée par la confrontation des opinions. En ce sens, l'espace public constitue à la fois la condition de possibilité et l'horizon de sens des opinions. L'espace politique ainsi institué serait au fond un espace « agonistique », fait d'échanges et de confrontations, et réglé par le respect du principe de pluralité : les hommes y sont à la fois égaux et différents.
Arendt distingue en effet "opinion publique " et "esprit public".
Tandis que l'opinion publique se doit d'être unanime pour exister, l'esprit public consiste au contraire dans la confrontation et la divergence des points de vue. La première relèverait, selon Arendt, de la sphère sociale de la production et des échanges : elle tendrait vers la convergence des intérêts et des points de vue, vers le consensus. Au contraire, l'esprit public constituerait un enjeu authentiquement politique.
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Car si le monde commun offre à tous un lieu de rencontre, ceux qui s'y présentent y ont des places différentes, et la place de l'un ne coïncide pas plus avec celle d'un autre que deux objets ne peuvent coïncider dans l'espace. Il vaut la peine d'être vu et d'être entendu parce que chacun voit|et entend de sa place, qui est différente de toutes autres. Tel est le sens de la vie publique; par contre, la plus riche, la plus satisfaisante vie famille n'offre à l'homme que le prolongement ou la multiplication du point qu'il occupe avec les aspects et perspectives que comporte cette localisation. La subjectivité du privé peut se prolonger et se multiplier dans la famille,; elle peut même devenir assez forte pour peser sur le domaine public; mais ce « monde » familial ne remplacera jamais la réalité qui résulte de la somme des aspect» que présente un unique objet à une multitude de spectateurs. Lorsque les choses sont vues par un grand nombre d'hommes sous une variété d'aspects seulement apparaît la réalité du monde, sûre et vraie. Dans les conditions d'un monde commun, ce n'est pas! d'abord la « nature commune » de tous les hommes qui garantit le réel; c'est plutôt le fait que, malgré les différences de localisation et la variété des perspectives! qui en résulte, tous s'intéressent toujours au même] objet. Si l'on ne discerne plus l'identité de l'objet, nulle communauté de nature, moins encore le conformisme! contre nature d'une société de masse, n'empêcheront la destruction du monde commun, habituellement précédée de la destruction des nombreux aspects sous lesquels il se présente à la pluralité humaine. C'est ce qui peut se produire dans les conditions d'un isolement radical, quand personne ne s'accorde plus avec personne, comme c'est le cas d'ordinaire dans les tyrannies. Mais cela peut se produire aussi dans les conditions de la société de masse ou de l'hystérie des foules où nous voyons les gens se comporter tous soudain en membres d'une immense famille, chacun multipliant et prolongeant la perspective de son voisin. Dans les deux cas, les hommes deviennent entièrement privés : ils sont privés de voir et d'entendre autrui, comme d'être vus et entendus par autrui. tous sont tous prisonniers de la révélation de leur propre expérience singulière,
"Le monde commun prend fin lorsqu'on ne le voit que sous un seul aspect, lorsqu'il n'a le droit de se présenter que dans une seule perspective. "
la pensée technique:
Dans celle ci, toute fin peut en effet devenir moyen pour une autre fin, et ainsi de suite à l'infini. ..
Le mode de pensée qui, prenant appui sur l'activité de fabrication, prétend en faire le modèle de l'action , n'envisage la « valeur » des choses et des êtres que sous l'angle de leur utilité, c'est-à-dire en rapport avec la fin qui leur est assignable. L'homo faber ne risque-t-il pas d'être lui-même instrumentalisé, et amené à servir un processus dont la signification lui échappe ? « Cette perplexité inhérente à l'utilitarisme , qui est par excellence la philosophie de l'homo faber, peut se diagnostiquer théoriquement comme une incapacité congénitale de comprendre la distinction entre l'utilité et le sens, distinction qu'on exprime linguistiquement en distinguant entre "afin de" et "en raison de".
En réalité, ce n'est pas l'instrument en tant que telle qui est en cause ici, mais plutôt la généralisation de l'expérience de la fabrication à d'autres modes de l'agir humain, et à notre rapport au monde en général. La tentation humaine de la démesure (identifiée dans la tragédie grecque classique), naîtrait ainsi d'une méconnaissance de cette distinction principielle entre la fabrication instrumentale et l'action politique, que connaissaient les Grecs. : « Dans la République, de Platon, le roi-philosophe applique les idées comme l'artisan ses règles et ses mesures ; il "fait" sa cité comme le sculpteur sa statue ; et, pour finir, dans l'oeuvre de Platon ces idées deviennent des lois qu'il n'y a plus qu'à mettre en pratique. » Or, la modernité a accompli pleinement ce processus d'absorption de l'action politique dans le schéma instrumental de la fabrication. C'est seulement l'époque moderne, qui a défini l'homme comme homo faber surtout, comme fabricant d'outils et producteur Le schéma de la fabrication qui assigne une fin prévisible, car fixée d'avance à notre activité, s'est imposé aux yeux des modernes comme modèle de l'action politique:
:« Les fabricateurs ne peuvent s'empêcher de considérer toutes choses comme moyens pour leurs fins ou, selon le cas, de juger toutes choses d'après leur utilité spécifique".
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Or, ces changements conduisent à une dévaluation et à une incompréhension affectant le concept d'action qui est le concept central de toute pensée politique véritable, selon Arendt .
C'est précisément cette incompréhension du sens véritable de l'action qui aurait été brutalement mise au jour par le surgissement du totalitarisme. La conception « techno-poiétique » du pouvoir propre au nazisme résulte, en effet, d'une généralisation de la logique instrumentale de la fabrication à l'intégralité du monde humain. Ce faisant, les conditions de l'action politique ne pouvaient qu'être détruites dans leur principe même. S'il est vrai, , que les problèmes fondamentaux du monde moderne « sont ceux de l'organisation politique des sociétés de masse et de l'intégration politique du pouvoir technique », alors cela signifie que la question de la technique doit devenir la question centrale de la pensée politique En réalité, ces deux questions n'en font qu'une. C'est précisément parce que l'homme de la « société de masse » a perdu le sens commun qu'il a pu abandonner totalement le domaine politique à des gestionnaires technocratiques, et que ceux-ci ont pu devenir à l'occasion des «criminels de bureau». Inversement, c'est parce que le schéma instrumental de la fabrication s'est imposé comme mode de gouvernement à l'époque contemporaine, que les sociétés humaines sont peu à peu devenues des société: où les homme apparaissaient comme superflus,
L'étude d'Arendt sur le totalitarisme entend partir de ce constat : le totalitarisme constitue un événement qui a bousculé toutes nos catégories de pensée. La nouveauté radicale et l'indicible horreur de ce qui s'est passé nous commandent de renoncer à toutes nos certitudes antérieures. Nous en sommes au point où les mots et les concepts nous manquent. L'immédiat après-guerre serait en ce sens un moment suspendu entre deux époques, une brèche entre passé et futur : une « année zéro » ou un absolu commencement.
l'Action et la Parole:
« Afin d'être ce que le monde est toujours censé être, patrie des hommes durant leur vie sur terre, l'artifice humain doit pouvoir accueillir l'action et la parole, activités qui, non seulement sont tout à fait inutiles aux nécessités de la vie, mais, en outre, diffèrent totalement des multiples activités de fabrication par lesquelles sont produits le monde et tout ce qu'il contient1.
Le concept d'action est au centre de la pensée politique d'Arendt. Le mot français « action » vient du verbe latin "agere" dont Arendt fait observer qu'il signifie « commencer ou prendre une initiative », par opposition à gerere (« gérer ») qui signifie « mener une entreprise à son terme En ce sens, l'action est liée à l'imprévisibilité qui caractérise le commencement de quelque chose de nouveau. D'autre part, l'action est irréversible, car, une fois qu'on l'a entreprise, on ne peut plus contrôler ses effets. Ces deux caractères de l'action, imprévisibilité et irréversibilité, la distinguent spécifiquement de l'oeuvre. De plus, l'action a pour condition la pluralité, c'est-à-dire l'existence de plusieurs êtres singuliers, à la fois semblables et différents -mais non une multiplicité indéfinie d'individus interchangeables. En ce sens, l'action est étroitement associée à la parole. « L'action muette ne serait plus action parce qu'il n'y aurait plus d'acteur, et l'acteur, le faiseur d'actes, n'est possible que s'il est en même temps diseur de paroles!.
Or, si l'action et la parole sont aussi intimement liées, c'est avant tout parce qu'elles permettent toutes deux la révélation de l'individu, ou plutôt la révélation du « qui suis-je ? » aux yeux de tous. Ambivalence du mot « acteur », car inhérente au concept de l'action ! Un acteur possède en effet une existence dans la réalité concrète, en tant que personne physique, mais c'est seulement dans la mesure où il acquiert une existence symbolique au sein d'un espace d'apparence qu'il devient proprement un acteur.
De même, selon Arendt, l'identité individuelle de chaque être humain ne peut se révéler pleinement aux yeux des autres que dans un espace d'apparence où s'échangent les paroles et les actions. C'est pourquoi elle affirme que « le théâtre est l'art politique par excellence». Qu'on songe ici au représentations des tragédies grecques, à la fois représentation et fête civique où « la cité se faisait théâtre ».
La dimension intersubjective paraît ainsi déterminante pour la compréhension de l'action. elle crée un lien entre les hommes, elle actualise la pluralité qui constitue sa condition de possibilité. « Le domaine des affaires humaines proprement dit consiste dans le réseau des relations humaines, qui existe partout où des hommes vivent ensemble ». C'est cette dimension intersubjective qui explique le caractère à la fois imprévisible et irréversible de l'action. Toutefois cette révélation du « qui » ne peut se faire que dans la rivalité et la contradiction avec les autres, et, ainsi, l'action s'avère foncièrement polémique. C'est de là, également, que provient son caractère problématique, incertain et insaisissable. Entreprise sans fin assignable ni prévisible (contrairement à l'oeuvre qui vise un objectif clairement défini), l'action échappe à la maîtrise des acteurs. (Cf .Les tragiques grecs)
Autrement dit, l'action ne saurait être expliquée en fonction de sa fin ; on peut seulement la comprendre en raison de son principe. On comprend alors pourquoi le courage apparaît, aux yeux d'Arendt, comme la vertu politique par excellence. Cette vertu consiste à « s'exposer » au double sens du terme. Celui qui agit accepte de se dévoiler au regard de tous. Mais il choisit, également, d'assumer les conséquences imprévisibles de ses actes. En ce sens, le courage n'est pas l'héroïsme, et il ne caractérise nullement l'homme d'exception ou l'homme providentiel ,mais c'est la vertu politique par excellence : celle dont fait preuve le citoyen ordinaire, dès lors qu'il accepte de prendre part à la vie de la cité.
" La force des choses nous conduit à des résultats auxquels nous n'avons pas pensé". Saint-Just.
Le concept de l'action s'inscrit en faux contre les théories politiques fondées sur le concept de domination. Il n'implique nullement la maîtrise de soi-même et de son environnement .Celui qui agit, n'est pas maître de lui-même, et ses actions ne sont pas le moyen d'acquérir la maîtrise du monde qui l'entoure. En effet, la singularité du « qui », révélée dans l'action, est dissimulée à ses propres yeux, et l'histoire, en tant que tissu des actions humaines, n'est pas « faite » par un seul homme. Néanmoins, la signification de l'histoire humaine pourra se révéler aux yeux de l'historien rétrospectif ou du conteur. L'action « produit » ainsi des histoires qui constituent la matière même de la vie et de l'action politiques.
« C'est à cause de ce réseau déjà existant des relations humaines, avec ses innombrables conflits de volonté et d'intentions, que l'action n'atteint presque jamais son but ; mais c'est aussi à cause de ce médium, dans lequel il n'y a de réel que l'action, qu'elle "produit" intentionnellement ou non des histoires, aussi naturellement que la fabrication produit des objets .
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