Il ne s’agit pas ici d’ouvrir une polémique de plus, mais un espace de questionnement d’abord à propos de simples impressions qui ouvrent sur des interrogations.
Le musée du quai Branly est il un « lieu ou un non lieu » ? Pourquoi la configuration spatiale extérieure ,comme intérieure, la rampe d’accès, la juxtaposition des « aires » m’ont-elles fait penser aux terminaux de Roissy, espace de transit ou de passage par excellence ,et dont Marc Augé donne la définition :
Un espace qui ne peut se définir , ni comme identitaire ni comme relationnel ni comme historique et qui n’est promis malgré la foule qu’à notre individualité solitaire.
Remarque propre à soulever l’indignation de toute une élite éprise de spectacle,de tout adorateur de l’image culturelle de la France, de sa ville centre et de son centre ville.
Pourquoi ai-je pourtant pensé en lisant (il ne faut pas être myope) , les quelques textes (l’ensemble est plutôt un simple étiquetage avec parfois de grossières erreurs)censés être explicatifs des œuvres, à ces panneaux publicitaires qui ornent nos autoroutes et qui vantent tel haut lieux. ?
A ce que dit Auge de la médiation dans les non-lieux qui passe nécessairement par certains messages ou injonctions : ainsi dès la rampe , sommes nous invités à nous ouvrir à l’altérité censée donc sans plus de problématisation, résumer le spectacle à venir.
De même les messages qui organisent l’exposition « qu’est ce qu’un corps ? » véhiculent des thèses problématiques (encore une fois distinguant dans l’absolu eux et nous ) mais qui ne peuvent être reçus que comme des évidences par la vertu du medium..
Absente toutes les références, tout le savoir vraiment anthropologique, voire géographique et qui informent sur l’origine d’un masque ou d’un objet : le culte,l’initiation,la parenté. L’ethnie, le peuple, la culture sont d’ailleurs bizarrement désignés par le concept purement démographique de population.
Un exemple presque « amusant » : le fameux Boli ou Kono (établi comme certaines autres pièces dans son mystère au fond d’une « grotte » ( il y a sans doute là, quelque chose des cavernes primitives ), est accompagné pourtant d’un extrait de l’Afrique Fantôme de Leiris. Mais évidemment sans le récit qu’il fait ensuite du pillage de l’objet.
Texte de M..Auge/
On voit bien que par « non-lieu » nous désignons deux réalités complémentaires mais distinctes : des espaces constitués en rapport à certaines fins (transport, transit, commerce,
loisir), et le rapport que des individus entretiennent avec ces espaces. Si les deux rapports se recouvrent assez largement, et, en tout cas, officiellement (les individus voyagent, achètent, se reposent), ils ne se confondent pas pour autant car les non-lieux médiatisent tout un ensemble de rapports à soi et aux autres qui ne tiennent qu'indirectement à leurs fins : comme les lieux anthropologiques créent du social organique, les non-lieux créent de la contractualité solitaire. Comment imaginer l'analyse durkheimienne d'une salle d'attente de Roissy ?...
…. La surmodernité, elle, fait de l'ancien (de l'histoire) un spectacle spécifique - comme de tous les exotismes et de tous les particularismes locaux. L'histoire et l'exotisme y jouent le même rôle que les « citations » dans le texte écrit - statut qui s'exprime à merveille dans les catalogues édités par les agences de voyages. Dans les non-lieux de la surmodernité, il y a toujours une place spécifique (en vitrine, sur affiche, à droite de l'appareil, à gauche de
« curiosités » présentées comme telles - des ananas de Côte-d'Ivoire, Venise, cité des Doges, la ville de Tanger, le site d'Alésia. Mais ils n'opèrent aucune synthèse, n'intègrent rien, autorisent seulement, le temps d'un parcours, la coexistence d'individualités distinctes, semblables et indifférentes les unes aux autres.
page du guide et commentaires: echanges et objets sont mis en evidence par les propriétes plastiques. cultes, parenté, pratiques magiques ne sont que le "contexte" de production de l'objet.
Les arts premiers sont ils des arts ? Au sens occidental , réduits à un ordre esthétique que l’on contemple passivement ou comme le savaient déjà les grecs, art serait-il au contraire le mot qui désigne l’activité humaine en général .
Plutôt que le beau de notre tradition ne peut-on alors invoquer un autre concept, celui de beauté agissante. ? Un concept qui respecterait le sens des œuvres en ne les ramenant pas à des chefs d’œuvres à contempler ; surtout qui rétablirait une unité dans la différence.
L’ethnocentrisme colonialiste a sans doute méconnu l’altérité mais sommes nous si loin de l’ancien concept de primitivité, quand nous faisons de l’autre, même valorisé, un absolu si mystérieux et si « éloigné » que nous ne pourrions plus le penser dans une relation de proximité et d’unité du genre humain.
Le musée du Quai-Branly s'est ouvert dans un tintamarre de poncifs. Mais pas un mot n'a été dit sur le dialogue, autrement vivifiant et universel, qui lie, depuis une dizaine d'années, des représentants des Premières nations aborigènes, hommes et femmes médecine Navajos, méditants tibétains... - aux plus pointus de nos savants, plaçant ces sociétés indigènes au point névralgique des connaissances contemporaines. Une notion, contre toute attente, les a réunis: la beauté. Pas la beauté décorative, évidemment, qui a fait commander à deux peintres aborigènes d'Australie un plafond et un vitrail pour la librairie du musée! Mais une beauté agissante qui fait dire au professeur Didier Sicard, président du Comité national consultatif d'éthique, depuis son bureau de l'hôpital Cochin, à Paris: «Le tort de l'Occident a été d'avoir réduit la fonction de l’art à un ordre seulement esthétique.» Et il ajoute: «II y a un lien mystérieux de parenté entre la santé et la peinture.» Les Indiens de la nation Navajo, dans le sud-ouest américain, ne le démentiraient pas. «Hozho», chez eux, signifie «beauté» et «santé». Et leurs «hommes-médecine» -appelés, dans leur langue, des «chanteurs» -réalisent des peintures de «guérison» destinées à favoriser l'avènement de cet état équilibré de«beauté-santé»,«quand tout est à sa juste place», résume l'anthropologue indien Harry Walters. Aux murs du musée de l'université Navajo qu'il dirige en Arizona sont accrochées des peintures «de guérison» fixes, réalisées dans les années 70 par Fred Stevens, éminent homme médecin de l'époque. Les hôpitaux du territoire, eux, laissent entrer, dans leur en ceinte, ces peintures dans leur forme éphémère et leurs praticiens officient en complémentarité avec les chirurgiens les plus classiques. La question de cette «santé-beauté» a gagné jusqu'à nos facultés de médecine Laënnec et Lyon- Sud. Depuis deux ans, elles ont inscrit en lecture obligatoire pour les étudiants de première année le Scalpel et l'ours d'argent, ouvrage de Lori Arviso Alvord, la première femme chirurgien Navajo. Médecins, ils se souviendront, comme Lori, que guérir, c'est aussi rendre un patient à sa beauté intérieure. Si la neurologie et l'immunologie ont pu faire les progrès que l'on sait en matière de plasticité neuronale et immunitaire, c'est bien grâce aux travaux que mènent de puis près de vingt ans maintenant, en collaboration avec le dalaï lama et de hauts méditants, des chercheurs comme Richard Davidson, directeur du laboratoire de neurosciences affectives à l'université du Wisconsin, aux Etats-Unis. En novembre 2004, la PNAS (Proceedings of thé National Academy of Sciences) publiait leurs conclusions: pratiquée comme une technique, indépendamment de toute conviction religieuse, la méditation peut permettre de rééquilibrer son activité neuronale et d'agir, positivement, sur son immunité. Or, de tous les supports qui aident à la méditation, le mandala - splendide figure, centrée et axée, de l'art tibétain - est le plus efficace. Et notamment le mandala de Kalachakra, réalisé en poudres de couleurs, éphémère, dont le rayonnement, disent les praticiens, est «cent fois supérieur à celui du soleil»...
Beaux-Arts ou «beaux-savoirs»? Chez les Aborigènes d'Australie, des peintures sur écorce, des sculptures de sable, autant que ces fameuses peintures acryliques «à points» du désert central, ont ébranlé les juristes. Car ces œuvres sont en réalité des titres de propriété et agissent comme tels dans le mouvement de reconquête foncière entamé depuis les années 60 parles premiers habitants de l'Australie. Pour un Aborigène, hériter d'une terre,c'est hériter de l'œuvre à laquelle son émergence est rattachée, et du devoir de l'entretenir. C'est se conduire envers sa parcelle de terre avec le respect que nous réservons à la Joconde. Oui, chez ces peuples, l'art opère, éveille, transforme. Oui, la beauté est efficace, et ils la sollicitent quand il s'agit de vivre et survivre. Elle peut, combinée à nos savoirs, nous projeter ensemble dans le futur. Cessons de parler de «cultures autres» comme si celles-ci n'avaient rien à voir avec notre destin d'humains! Abolir la hiérarchie des cultures, c'est nécessairement reconnaître ces beaux-savoirs, les unir aux nôtres non pas avec un colloque de plus, mais en inventant une muséographie capable de donner à «voir» cette beauté indigène.
Article de S.Grosmmn et J.P.Barou : DES BEAUX ARTS AUXX BEAUX SAVOIRS. Le
monde
Pourquoi n’ai-je pu, comble de la trivialité, m’empêcher de rapprocher la sélection nécessaire qui a du présider à la désignation de quelques 4500 « chefs d’œuvres, parmi la masse des objets qui constituaient le musée de l’homme, du concept « d’immigration choisie », qui pour certains constitueraient le comble de l’humanité en matière d’accueil « de la misère du monde ».
Le même geste, le notre, procéderait ou non ainsi à la promotion en chefs d’œuvres de certaines parmi toutes les productions culturelles de peuples d’ailleurs fortement désignés par l’altérité ; ce qui les éloigne d’ailleurs commodément de nous dans le présent et laisse un doute sur leur possibilité d’intégration ».
Le même geste ferait le tri parmi les élites, utiles et dignes de séjourner en nos lieux, de la grand masse des « sans », juste bonne à séjourner dans les camps de transit. Les nons lieux de notre modernité.
L’humanisme chiraquien ne rejoindrait il pas dans ce geste la brutalité cynique de son ministre ?
J'abonde tout à fait dans le sens des textes et surtout de votre conclusion.
Emile Proust/Montpellier
Rédigé par : Emile Proust | vendredi 01 sep 2006 à 18h17