VAUDOU(3) LES LOAS: essai de classification.
« Les loa nous aiment, nous protègent et nous gardent. Ils nous révèlent ce qui arrive à nos parents qui vivent loin de nous, ils nous indiquent les remèdes qui nous soulagent quand nous sommes malades... Si nous souffrons de la faim, les loa nous apparaissent en songe et nous disent : « Ne perds pas « courage, tu gagneras de l'argent. » Et l'argent promis nous parvient. » Cette profession de foi d'une paysanne de Marbial résume assez bien ce que les adeptes du vaudou attendent des loa. Pour qu'elle fût complète, à aurait fallu ajouter : « Les loa nous avertissent des machinations de ceux qui nous veulent du mal. » Alfred Metraux : le Vaudou Haïtien
On s'interroge encore sur l'origine linguistique de ce vocable par lequel les Haïtiens désignent leurs dieux. Nous nous trouvons ici en présence d'un curieux mélange de l'abstraction la plus poussée et du concret le plus proche du quotidien.
Le monde surnaturel des Haïtiens pourrait, dans un premier temps, être conçu comme un monde de concepts purs, d’Idées platoniciennes. La violence, l'amour, la connaissance, la puissance, etc., sont pris en charge par des classes de divinités : Ogoun, Erzili, Loko, Ayizan, etc. Ces noms de dieux renvoient immédiatement à ces concepts très généraux.
Dans un deuxième temps, ces idées abstraites se concrétisent, s'humanisent, s'anthropomorphisent.
La différence est minime entre la société surnaturelle des loa et la paysannerie haïtienne qui l'a imaginée. Les esprits se distinguent des hommes uniquement par l'étendue de leurs « connaissances » ou, ce qui revient au même, de leurs pouvoirs. Ce sont tous des personnages du terroir qui partagent les goûts, les habitudes et les passions de leurs serviteurs. Ils sont comme ceux-ci amis de la bonne chère, roublards, paillards, susceptibles, jaloux et sujets à de violents accès de colère vite dissipés; ils s'aiment ou se détestent, se fréquentent ou s'évitent tout comme les « habitants » des sections rurales. Lorsqu'ils se manifestent par le moyen des possessions, leur conduite en public n'est pas toujours celle qu'on attendrait d'un être surnaturel. Il leur arrive de parler grossièrement, de jurer, de boire avec excès, de se disputer avec d'autres loas, de mendier, ou de se faire des farces d'écoliers.
On pourrait soutenir la thèse d’une dégradation de la mythologie dahoméenne : Mais si l'on se livre à une enquête approfondie, on aboutira à un système de classification des choses très complexe, témoin, de la part du vodouisant, d'une activité intellectuelle intense qui cherche à recoudre, à re-construire tant bien que mal avec les moyens du bord, l'ancien système africain. Bricolage mythique au sens de CL.Levi-Strauss. Au départ, chaque catégorie de loa renvoie à la fois à un des éléments de la nature (l'eau, le feu, l'air, la terre), à des espèces végétales, à des espèces animales, à des activités sociales, à des comportements humains. Ainsi, l'enfant élevé dans la paysannerie apprend à établir des correspondances entre les végétaux (avec leurs vertus alimentaires, médicinales, sacrées) et les animaux et les différents aspects de la vie sociale haïtienne, et les principaux mystères de la vie (naissance, mariage, mort).
Grâce aux loa, c'est un véritable réseau de communication qui se trouve créé entre les domaines du monde naturel et culturel, faisant d'eux une totalité dans laquelle l'individu vodouisant trouve de la sécurité. Ces correspondances sont établies à partir d'une perception d'oppositions entre des aspects de conduite humaine et entre des éléments de la nature. Ainsi, par exemple, les relations d'opposition entre l'eau et le feu, entre la couleur rouge et la couleur blanche, entre la main gauche et la main droite, entre le mal et le bien, entre l'autorité et la finesse, entre la méchanceté et l'innocence, etc... Plus précisément, le loa Ogu a une passion pour le feu, le feu étant son domaine, mais il a peur de l'eau à laquelle préside le loa Dâmbala. Celui-ci se caractérise par la finesse, la richesse, le bien, comme le blanc est le symbole de la pureté ; tandis qu'Ogu se manifeste dans l'orage et la tempête et symbolise la guerre, la volonté de puissance, la lutte contre la misère
Quelques grands exemples :
Chacune des catégories de dieux devient une famille (fâmi) dont les membres, par leurs caractéristiques propres, épuisent le concept, l'envisagent sous tous ses modes, dans toutes ses implications : • La famille des Ogoun compte un Ogoun Ferraille, loa de la guerre (du fer, de la forge de guerre) Ogoun Badagris, ivrogne, agressif ; un Ogoun Balindjo joyeux et bruyant, en pleine possession de sa maturité et de sa force ; un Ogoun Shango, bénéfique, à la jeunesse triomphante, à la voix de tonnerre ; un Ogoun Gè Rouge (aux yeux rouges), vieillard pernicieux et malfaisant, etc. ;
On peut citer comme exemple, les différents avatars d'Erzili qui épuisent tous les aspects de la féminité : Erzili Fréda Dahomey, la femme voluptueuse, l'amoureuse pleine de douceur ; Maîtresse Erzili, l'amoureuse coquette qui trompe ses amants et les fait souffrir ; Gran Erzili, la vieillesse de la femme, la grand-mère ;Erzili Gè Rouge, l'amoureuse jalouse et méchante ; Erzili Mapyang, la femme malfaisante. La vie d'Ezili est une succession de scandales : «Guédé-nibo la courtise, mais en vain, car étant une belle mulâtresse, Ezili a des préjugés de couleur et ne pardonne pas à Guédé-nibo sa peau noire. Le malheureux la suit, s'enivrant de son parfum et marmottant de sa voix nasillarde : « Vous savez bien que j'aime cette femme, mais elle ne veut pas de moi parce que je suis Noir.
Les loa deviennent ainsi des personnages familiers, facilement identifiables, des individus dont on connaît bien le caractère, avec lesquels on entretient des rapports détendus et que l'on n'a aucun mal à "interpréter" théâtralement lors des possessions.
Le panthéon rada
legba
Tous les loas n'ont pas la même importance, ni la même place dans chacun des panthéons correspondant aux trois rites principaux. Au départ, il existe un loa considéré comme le chef de file de tous les autres, pour tous les rites : Legba. Invoqué en premier dans le culte, il a pour fonction d'ouvrir la barrière qui sépare les humains du monde surnaturel, comme l'exprime son chant d'honneur :
(«Papa Legba, ouvrez-moi la barrière, / Pour me permettre de passer, / A mon retour, je saluerai les Iwa.»)
Comme le Prométhée de la mythologie grecque, Legba est celui qui a volé le secret de Dieu pour le livrer au monde. Il garde l'entrée des temples ou des habitations, la croisée des chemins où on le nomme mèt-kalfou (maître-carrefour). Vers midi ou vers minuit, Legba se transforme en esprit capable d'actions maléfiques. C'est donc sous ses auspices qu'on procède aux pratiques de magie défensive et offensive.
Invoqué au début de chaque «service», il est celui qui ouvre le chemin vers tous les autres loas. Il emprunte souvent, en Haïti, les traits de saint Pierre qui garde les clés du paradis, .il apparaît aussi comme un vieillard appuyé sur une béquille, capable de violentes colères.
Le dieu serpent Dambala Wèdo
Dambala Wèdo, le dieu serpent du panthéon Rada, hante rivières, sources et marais, mais aussi les arbres, où il se repose. Associé à la pluie, la sagesse, la fécondité, il forme avec Ayida Wèdo, sa femme, un couple assurant la lien entre la terre et les eaux. On les représente souvent dans les fresques murales par deux serpents qui plongent dans un bassin, surmontés par un arc-en-ciel, serpent céleste qui symbolise les deux membres du couple. Le symbole de Dambala est le blanc, son offrande préférée, l'œuf. Maître de l'argent (métal blanc), il est le dispensateur de richesses, celui qui vous met sur la voie des trésors cachés. Dans la plupart des sanctuaires, un bassin rempli d'eau lui est consacré. Il est souvent représenté comme saint Patrick, qui commandait aux serpents, en Irlande, et parfois comme Moïse tenant la table des Dix Commandements. Ceux qui se trouvent possédés par Dambala rampent, sifflent, dardent la langue, grimpent aux arbres, s'y suspendent parfois la tête en bas, comme un boa — et seul le hougan ( prêtre) sait interpréter la « parole » du dieu-serpent.
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Agoué ( ou Agwe), le Neptune haïtien, règne sur la mer et tout ce qui s'y rapporte, flore, faune, bateaux et marins. Vêtu tel un officier de marine, portant casque et gants blancs, ses emblèmes sont les bateaux miniatures, les avirons peints en bleu ou en vert, les coquillages, les poissons en métal. On le représente parfois par des navires toutes cheminées fumantes ou par des navires de guerre hérissés de canons. On le célèbre sur le rivage en confiant à la marée de petits bateaux chargés de ses mets et boissons préférées.
Divinités liées : La Sirène et la Baleine. On dit la Baleine, parfois, la mère de la Sirène, parfois son mari, parfois on les confond. Femme d'Agoué, coquette, soucieuse de sa toilette, elle n'est pas sans ressembler à Ezili Freda, sa cousine.
Les membres de la grande famille des Guédé occupent, par rapport aux autres loas, une position marginale. Les Guédé, ethnie vaincue par les rois d'Abomey et vendue par ceux-ci comme esclaves, sont devenus en Haïti les loas de la mort
Les autres loa les craignent et cherchent à les éviter, de sorte que dans les cérémonies les Guédé arrivent généralement vers le tard, après que les autres loa ont été salués les Guédé ne sont pas des « morts », mais des esprits de même nature que les autres, dont les activités et les fonctions sont du domaine de la mort.
Ils s'abattent, à l'époque de la Toussaint, sur les villes et les campagnes. Leurs possédés vont jusqu'à s'exhiber en plein midi dans les rues et au marché. Le seul aspect des Guédé suffit à susciter l'effroi en raison des visions funèbres qu'ils évoquent, mais par leur cynisme, leur jovialité et leurs grivoiseries, ils tempèrent la peur et la vague angoisse qu'ils provoquent. Leur venue est toujours accueillie avec joie par l'assistance. On peut compter sur eux pour introduire dans le déroulement des cérémonies les plus graves une note de franche gaieté. Leur langage aussi est plein d'imprévu. Ils déforment les mots les plus communs ou les remplacent par d'autres à connotations ordurières Ils possèdent un riche répertoire de chansons obscènes qu'ils chantent avec une mine stupide, le doigt levé et en prolongeant indéfiniment certaines notes. Leur danse favorite est le banda qui se caractérise par de violents déhanchements et des poses lascives
L'accoutrement des Guédé s'accorde avec l'ambivalence de leur nature : par certains côtés effrayant et par d'autres franchement ridicule. Ils arborent des hauts-de-forme, des melons ou des chapeaux de paille garnis de crêpes, ils enfilent de vieilles redingotes ou des fracs râpés, sans doute afin de ressembler à des croque-morts ou à des personnages officiels en grande tenue de deuil.. Les lunettes, noires de préférence, leur sont un accessoire indispensable Leur passion des lunettes est telle que certains Guédé vont jusqu'à en porter plusieurs paires
Baron-Samedi, Baron-la-croix, Baron-Cimetière, Guédé-nibo et Mme Brigitte sont les représentants les plus en vue de cette redoutable famille
Baron Samedi est le tout-puissant maître des morts, le loa le plus en vue de l'inquiétante famille des Guédés. Coiffé d'un haut-de-forme, vêtu d'un habit noir, ses emblèmes sont une croix noire surmontant un faux tombeau, ses outils, la pelle, le pic, la houe. Les récipients où on lui fait des offrandes sont peints en noir, décorés d'un crâne et de tibias croisés. C'est lui que l'on appelle pour les opérations de magie noire, dont le redoutable "envoi morts" à l'issue toujours fatale, si un houngan ne parvient pas à rompre le charme. La Grande Brigitte, sa femme, règne aussi sur les cimetières, surtout ceux où une femme a été enterrée la première.
Le panthéon petro
Le pétro compte trois catégories de loa : Des loas créoles nés en Haïti, C'est la partie "ouverte" du panthéon, celle qui ne cesse de s'enrichir ; Des avatars des divinités radas, qui expriment le "côté sombre" du concept incarné dans le rada : "L'opposition rada/pétro n'est pas sans rappeler celle qui, en Grèce, séparait les dieux olympiens des dieux chtoniens. De même qu'à côté d'un Zeus olympien il y avait un Zeus chtonien, le vaudou connaît un Legba rada et un Legba pétro. Des loa d'origine kongo : Les kongos ont joué un rôle de premier plan dans l'élaboration du pétro (ils étaient en majorité dans la colonie quand il est né). Tout le rituel pétro porte la marque de traits africains non dahoméens.
Le pétro, par son originalité propre, complète le rada. Dans la partie nord d'Haïti, le panthéon pétro est désigné par le vocable bantou lemba (verbe "apaiser"), qui est utilisé en Afrique comme en Haïti pour désigner une catégorie de cérémonies destinées à apaiser les esprits.
Exemples : Les loa pétros d'origine créole :
- Don Pétro, fondateur de la secte ;
- Ti Jean Pétro, son fils ;
- Pétro Gè Rouge (Pétro aux yeux rouges). Les yeux rouges sont une caractéristique des sorciers ; -Ti Jean Pie Chèche Quelques esprits africains ont été rebaptisés d'un nom chrétien et leur physionomie a subi l'influence du milieu haïtien. Ti Jean Pétro par exemple est un esprit arboricole que l'on se représente comme un nain à un seul pied
Le panthéon pétro a pour caractéristiques essentielles la violence de ses dieux et de ses transes et son caractère magique : "Le mot 'pétro' suggère immanquablement des idées de force implacable, de dureté et même de férocité qui ne sont pas associées a priori avec l'image que l'on se fait des radas . Les loas pétros sont en outre spécialisés dans la magie. Tous les charmes se font sous leur contrôle. La frontière entre magie blanche et magie noire est trop imprécise pour que les génies qui se consacrent à ces arts ne soient pas quelque peu suspects.
Il serait faux toutefois de qualifier le panthéon pétro de maléfique. Il compte beaucoup de loa "secourables et décents" et surtout de loas guérisseurs. Le respect mêlé d'effroi qu'il inspire aux fidèles est lié à son caractère magique : d'une part, les loas pétros sont capables du meilleur comme du pire, d'autre part, du fait du rôle historique qu'il a eu à remplir, il est le panthéon de la révolte des esclaves, du sang, de la guerre.
Les loas pétros prennent en charge toute la violence des choses et des hommes, refoulée ou exprimée, sous toutes ses formes. "Bref, s'il serait faux de dire que tous les loas pétros sont, par définition, méchants, il n'en reste pas moins vrai que les loa les plus craints sont classés d'office dans cette famille.
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