VAUDOU(1): signification et histoire
Ils s'appellent Papa Legba, Baron Samdi, Ogou Feray, Ezili, ou la Grande Brigitte. Ce sont les Lwa, les esprits du vaudou, qu'on nomme encore anges, diables ou mystères. Leur société constitue un modèle pour les humains,-ils dictent leurs actes, les favorisent ou les punissent. Bon nombre d'entre eux sont venus de la lointaine Afrique et se sont installés en Haïti en même temps que les esclaves noirs
Et dans cette île, comme de nos jours à New York, à Miami, à Bahia, à Paris, ou toujours en Afrique, ils assurent le lien entre l'homme et la nature, les vivants et les morts, le temporel et le surnaturel. .
Religion qui ignore le dogme et dont l'oralité est la marque, le vodou suppose la croyance en un Dieu suprême et, en même temps, en une multitude de dieux capables d'intervenir dans les corps des individus par la transe et la possession. Qu'un individu puisse soudain changer d'identité et prendre la posture de tel ou tel dieu, qui ne manque pas d’interroger notre culture occidental, au point de le conduire à prendre la transe et la possession pour une crise d'hystérie et, en tout cas, pour un phénomène relevant de la pathologie. Il aura fallu attendre les années 1940 pour qu'une rupture s'opère avec la vision d'un vodou proche de l'animalité, de la sauvagerie ou de la sorcellerie africaine. Mais ce qui par-dessus tout a inquiété les observateurs étrangers du vodou, c'est, semble-t-il, cet attachement d'une partie importante de la population haïtienne à un ensemble de croyances et de rites hérités de l'Afrique, et que tout conspirait à faire oublier et à reléguer sur le terrain de l'esclavage. Il vaut la peine d'interroger la signification du vodou non seulement comme mémoire de la traite et de l'esclavage, mais aussi comme l'une des sources de l'identité individuelle et collective en Haïti ou au Brésil .
Dans la langue Fon, parlée au Bénin, vodun signifie une puissance invisible, redoutable et mystérieuse, ayant la capacité d'intervenir à tous moments dans la société des humains. La déportation vers le Nouveau Monde de millions d'esclaves noirs a entraîné la reconstitution dans les Amériques de croyances et de pratiques africaines, sous des formes et des appellations diverses : Candomblé au Brésil, Santeria à Cuba, Vodou en Haïti.
. Selon Herskovits, on considère au Dahomey (actuel Bénin) que ce mot vient des Ghedevis, premiers autochtones du plateau d'Abomey : vodu veut simplement dire divinité, mais au sens large : "Tout ceci est vodu, Mawu est vodu ; quand quelqu'un meurt et que son âme a été établie, lui aussi est vodu." Ce qui est mystérieux pour tous, indépendamment du moment et du lieu, donc, ce qui relève du divin». Il y a par conséquent différentes sortes de vodoun, ayant des pouvoirs différents, occupant des places différentes dans la hiérarchie et même ayant des natures fondamentalement différentes, puisque certains sont d'origine strictement divine alors que d'autres ont été de simples humains. Philosophiquement, le vodoun est conçu comme une force immatérielle existant partout dans l'espace, mais à qui on peut assigner un point matériel où les initiés peuvent l'invoquer par des formules connues d'eux seuls. La jarre encastrée dans les sanctuaires des grands dieux, certains rochers, certains arbres, certaines rivières ne sont pas le séjour permanent du vodoun, mais en quelque sorte un lieu de rendez-vous convenu entre la divinité et ses fidèles, lieu qui se trouve sacralisé de par son contact privilégié avec la divinité.
Une mémoire de l’esclavage :
Religion encore vivante dans le golfe de Guinée, notamment au Bénin, au Nigeria, au Togo et au Ghana, le vodou a subi de profondes transformations dans le contexte de l'esclavage à Saint-Domingue( la partie occidentale de l'île d'Haïti), Haïti étant le nom indien qui sera repris seulement au moment de l'indépendance, en 1804. Tout d'abord, l'esclave est introduit de force dans la religion catholique, seule religion autorisée par le Code noir de 1685, qui régit le mode de vie des esclaves. À la limite, la traite n'avait qu'un objectif avoué, qui était d'évangéliser les Noirs en leur donnant la chance de vivre au contact des Européens : "Leur servitude est le principe de leur bonheur »
Maîtres et'administration cherchent à rendre les esclaves amnésiques pour qu'ils parviennent à une intériorisation parfaite de leur condition Concrètement, les esclaves devaient être dans l'impossibilité de se reconnaître membres de leur lignage et de leurs tribus, pour ne vivre que dans la dépendance la plus absolue aux maîtres. Un esclave est marqué au fer comme un animal il est un bien meuble et reçoit un nouveau nom( fantaisiste) de la part de son propriétaire
C'est au cœur de ce processus de dégradation de l'humanité de l'esclave celui-ci va parvenir produire une tâche de reconstitution d'une mémoire en vue récupérer sa dignité. Les croyances aux dieux de l'Afrique tout entière identifiées à la Guinée vont représenter l'ensemble des tribus africaines. Le lignage perdu est retrouvé au plan du symbolique. Le vodou reconstruit temps et l'espace par quoi l'esclave tente d'échapper au pouvoir du maître. On peut comprendre ainsi l’importance donnée aux obsèques et au culte des morts: l'esclavage est une mort sociale par laquelle l'individu est dépouillé de tous ses droits, à l’inverse; l'acte de sépulture opère paradoxalement la négation de sa condition d'esclave mais aussi recrée les liens avec les familles, ancêtres et tout le monde invisible de la lignée à laquelle l'esclave appartient. Il noue une chaîne symbolique qui permet de renouer avec le monde ancestral, avec les dieux d'Afrique..
Le vodou peu à peu s'imposera comme moyen de vie pour l'esclave. Comme au Brésil la montagne est la résidence des dieux de l'Afrique. En Haïti un centre de réunion de tous les dieux du vodou se situe dans le nord-est du pays, et s'appelle la Ville-au-Camp. Les dieux sont censés suivre un itinéraire précis en traversant les mers pour finalement débarquer en Haiti .Roger Bastide déclare avoir entendu raconter sur un terreiro (un centre cultuel du candomblé au Brésil) "le mythe symbolique d'un arbre dont les racines traversaient l'océan pour rejoindre les deux mondes ; ce serait le long de ces racines que les orixa (équivalents des Lwa ou Loas) reviendraient, lorsqu'on les appelle ». Les cérémonies du vodou se déroulent habituellement autour de ce qu’on appelle "poteau-mitan", pilier central du « péristyle » . C'est autour de ce pilier que les danses en l'honneur des dieux se produisent, car il relie le monde visible aux dieux de l'Afrique qu'il ramène de ce côté-ci du Nouveau Monde.
Espace sacré fondateur qui sert à soutenir une mémoire.
La reconstruction de l'espace s'accompagne d'une tâche de production d'un temps propre par lequel l'esclave cherche à se mettre à l'abri du temps des maîtres. Si le calendrier chrétien est adopté, il reste de part en part dominé par le culte des dieux du vodou. Chaque jour de la semaine appartient à un dieu fon, yoruba ou bantou. Les temples disposent de leurs propres cycles rituels en fonction des dieux principaux auxquels ils sont dédiés. Pour un vodouisant, l'année commence en fait le 6 janvier, jour consacré au rassemblement de la famille élargie dans l'ounfo (ou temple), pour rendre un culte aux dieux de la lignée.
Ainsi, le mode de constitution du vodou est lié intimement à la quête d'une identité individuelle et collective qui rendra possible le succès des luttes contre l'institution esclavagiste. C'est dans le cadre général de la refonte des grands axes des diverses cultures africaines - correspondant aux diverses tribus présentes dans l'île - que le vodou émerge peu à peu. Une nouvelle langue est créée - le créole -, qui favorisera la communication avec les maîtres et surtout entre esclaves, faisant apparaître de nouveaux liens communautaires et, partant, un système symbolique de reconnaissance mutuelle. Un nouveau type d'organisation familiale est aussi recherché, qui associe divers éléments tirés des traditions africaines et des conditions de vie imposées par les maîtres.
Les esclaves étaient autorisés à participer le samedi soir et le dimanche à des réjouissances qu'on appelait calenda, des danses qui pouvaient être exécutées sous le regard des maîtres. Des recherches récentes montrent comment la danse et la musique ont rempli une fonction décisive dans la configuration symbolique du lien social chez les esclaves. Il y a le tambour, le rythme et le mouvement. La danse est à la base d'une reconquête-récupération du corps dont les maîtres cessent d'être les propriétaires, et ce processus se réalise grâce au tambour, instrument qui sert à appeler les dieux du vodou pour qu'ils viennent s'incarner dans les corps de leurs fidèles, qui deviennent alors des "montures" .Chaque rythme de tambour est censé correspondre à un dieu bien précis
Les racines africaines du Vaudou :
Le vaudou est un syncrétisme, une structure religieuse issue de l'assemblage d'éléments empruntés à plusieurs autres religions. En élaborant ce langage, au cœur même des plantations de Saint-Domingue, les esclaves mirent en lumière ce qu'il y avait de commun aux différentes ethnies brassées par le commerce négrier ; une profonde synthèse entre les différents patrimoines traditionnels des tribus dont les représentants, parqués au hasard des plantations, se trouvaient pour la première fois soumis au même sort. Par-delà la diversité des origines, s'est formée une religion qui témoigne d'une grande unité d'inspiration
Malgré la variété du paysage ethnique de Saint-Domingue, deux lignes de force dominent la composition des populations réduites en esclavage : d'une part, les peuples de l'ancienne côte des Esclaves et, en particulier, les Dahoméens, (Benin) qui ont donné au vaudou son cadre général, sa structure ; d'autre part, les Bantous d'Afrique centrale, (Kongos) qui ont recueilli cette impulsion fondamentale, l'ont enrichie et transformée,.
Le Dahomey (actuel Bénin) :
Un fait est décisif : le syncrétisme n'a pu s'accomplir, que parce que les tribus d'Afrique occidentale qui en furent les initiatrices avaient une très vieille pratique de ce genre de démarche.
La mémoire des groupes culturels qui formèrent le royaume du Dahomey est hantée par la guerre, les conquêtes, les migrations. Ce mouvement continuel de populations la transforma en creuset bien avant l'arrivée des marchands d'esclaves européens. Ceux-ci ne firent qu'ajouter une motivation de plus à la guerre de conquête commencée par les rois du Dahomey dès le XVIe siècle. Or la religion avait toujours joué au cours de leur histoire un rôle intégrateur : c'est en accueillant les dieux vaincus que les rois du Dahomey intégraient leurs fidèles - les populations du Dahomey avaient ainsi l'habitude de voir le roi "acheter" les divinités qui servaient sa politique.
On peut citer comme exemple l’ histoire, qui commence avec la migration des Alladahonous, ancêtres des rois du Dahomey , petit groupe scissionnaire, qui édifia par la force des armes l'un des grands royaumes d'Afrique. Cette fraction de la tribu Aja aurait abandonné), sa ville d'origine à la suite d'une querelle. Les dissidents étaient dans une telle colère, qu'ils ne voulurent plus rien avoir en commun avec ceux qu'ils quittaient. Ils créèrent alors leur propre vodoun, Ayizan, un vodoun qui devait symboliser à la fois leur exode et un nouveau culte des ancêtres : "Pour marquer le jour de notre départ vers l'inconnu, nous instituons l'Ayizâ, et nous l'adorons désormais."
C'est également à cette époque que la figure d'Agassou prit toute son importance. Selon la légende, un monstre demi-homme demi-fauve était né des amours d'une femme de la tribu des Ajas et d'une panthère. Il eut lui-même un fils dont la lignée adora la panthère fabuleuse, sous le nom d’Agassou, l’ancêtre fondateur de la lignée royale d'Abomey .
D’autres « divinités » à l’origine du syncrétisme : ainsi FA (Nigeria), qui préside à la divination, en révélant à l'individu le vodun qu'il doit honorer ainsi que les rites appropriés pour obtenir ses faveurs ou apaiser sa colère. A Ifé, il est représenté par un palmier mythique d'où il aurait pris naissance - les arbres assurent de manière privilégiée le lien entre le ciel et la terre; pour cette raison, on les considère comme les résidences des esprits. Chacun possède son propre Fa, auquel il est initié en plusieurs étapes : à dix ans, à l'adolescence et à l'âge adulte.
A côté du Fa, personnification du destin, on trouve Legba, surnommé le Tricheur, qui, lui, permet de ruser avec le destin. Il représente le changement et la contestation,- Chaque individu dispose de son Legba, qui l'aide à surmonter les difficultés rencontrées dans sa vie.
D'autres vodun, comme Dambala Wèdo et Ayida Wèdo, symbolisés tous les deux par le serpent arc-en-ciel, forment un couple chargé d'assurer le lien entre le tonnerre (le ciel) et la mer, et de faciliter à leurs fidèles l'acquisition du prestige et des richesses matérielles.
Le panthéon dahoméen est organisé en trois grandes classes : l'une se référant au ciel .Gu est par exemple le dieu du Fer, il porte une épée comme attribut, il symbolise la guerre, mais aussi le travail; ou encore Hevioso, famille d'esprits représentant le tonnerre), une autre à la terre (comme Sakpata, chargé de lutter contre les épidémies), la troisième au domaine de l'eau (comme Agwé, vodun de la pêche).
Une partie de la littérature ethnologique fait état de la croyance des Dahoméens dans un Dieu créateur omnipotent, qui, une fois son œuvre accomplie, se serait retiré, livrant le monde à des divinités subalternes. De là, à l'affirmation suivant laquelle la religion dahoméenne serait monothéiste, il n'y avait qu'un pas, que franchirent les missionnaires catholiques. Cependant la distance est grande entre Mawu et le Dieu éternel des judéo-chrétiens. Mawu est une créature - avant elle, a existé un être qui l'a créée Il est cependant légitime de se demander si sa conception hiérarchisée du monde ne conduit pas le Dahoméen à considérer un personnage divin qui, par l'étendue de ses pouvoirs et l'absolue nécessité de sa présence comme condition de l'ordre, relègue les autres divinités au rang d'inférieurs Il serait alors plus facile de comprendre qu'en Haïti l'identification de Mawu avec le "bon Dieu" des chrétiens se soit opérée sans grande difficulté.
Les Bantous
Les Bantous, ou Kongos, n'ont pas modifié la structure religieuse dahoméenne, mais, en l'adoptant, ils l'ont enrichie d'éléments nouveaux et, parfois, l'ont réinterprétée d'après leur propre culture.
Un exemple : Pour les Bakongos, l'eau est le monde des ancêtres. "Dans leur village, les ancêtres ont leurs maisons, leurs champs, ils ont de grandes richesses, des étoffes, de l'argent, du gibier, du vin de palme. Ce village est situé ku masa, dans l'eau, du côté de la forêt, car la forêt se trouve près des rivières." Une âme, à la mort de l'homme, entre en contact avec l'eau. Si la mort du vaudouisant haïtien s'inscrit très nettement dans un contexte dahoméen, une étape importante dans l'itinéraire de l'âme après la mort témoigne de l'influence des Bakongos : l'âme, qui sera récupérée pour être divinisée, va directement sous l'eau où elle séjournera en attendant qu'on "la fasse lever…..
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