ESPACES DE CULTURES ,ANTHROPOLOGIE,PHILOSOPHIE,VOYAGES...
SUIVEURS DE PISTES,DE SAISONS ,LEVEURS DE CAMPEMENTS DANS LE PETIT VENT DE L'AUBE ; Ô CHERCHEURS DE POINTS D'EAU SUR L'ECORCE DU MONDE. Ô CHERCHEURS,Ô TROUVEURS DE RAISONS POUR S'EN ALLER AILLEURS"...
SAINT JOHN PERSE .ANABASE.
« Depuis une époque très reculée et durant une longue période de temps, le pays que nous étudions a été exclusivement habité par les Bobo et c’est à juste titre, pensons-nous, que ceux-ci se déclarent autochtones. Il semble en effet que l’ethnie qui se donna un jour le nom de « Bobo 99 se soit lentement constituée sur place autour de quelques clans de cultivateurs sédentaires très anciennement implantés. Chacun de ces clans possédait un patrimoine personnel de connaissances- ….
… …Il en est résulté la création d’un modèle culturel > original dans lequel s’est identifiée plus tard l’« ethnie » bobo et sans doute aussi bwa. Bien entendu, ce processus ne s’est pas élaboré hors de toute influence extérieure. Il est certain que les patrimoines culturels propres à chacun des clans initiaux se sont longtemps nourris au grand courant de pensée mandé et c’est précisément parce que les éléments de connaissance échangés se trouvaient ainsi parfaitement compatibles qu’ils purent aisément se combiner et donner naissance à un système cohérent qui devint le propre des Bobo. L’héritage mandé a laissé des traces, mais étant donné l’époque lointaine où il a été acquis, il contient surtout des valeurs archaïques qui se retrouvent de la sorte préservées aujourd’hui et toujours vivantes dans la culture bobo : certains des aspects de la notion de personne, la place prééminente des masques de feuilles dans la religion en sont des exemples. La différenciation entre Bobo et Bwa n’est intervenue, selon nous, qu’après qu’une culture commune soit née des échanges auxquels les clans autochtones procédèrent. Des clans de langue mandé (les futurs Bobo) et des clans de langue voltaïque (les futurs Bwa), proches géographiquement mais proches aussi par la nature d’un savoir qui était déjà de même inspiration, ont puisé dans leurs patrimoines personnels de pensée et édifié en commun un système qui se trouva exprimé en deux langues différentes. Par la suite, les deux communautés linguistiques espacèrent leurs rapports et en vinrent à s’isoler pratiquement. Chacune se donna un nom et chacune développa son génie propre, en exploitant le donné commun selon des lignes différentes. »
G.LEMOAL. LES BOBOS.NATURE ET FONCTION DES MASQUES. TRAVAUX ET DOCUMENTS DE L’ORSTOM n121
Les Bobo sont une population d'Afrique de l’ouest vivant principalement au nord-ouest du Burkina Faso, également de l'autre côté de la frontière au Mali. Le nom de la ville de BOBO DIOULASSO– baptisée ainsi en 1904 –, signifie « la maison des Bobo-Dioula
L’actuelle société bobo est le fruit d'une construction historique pluriséculaire, riche par son système d'intégration sociale. Les Bobo font partie de la soixantaine d'ethnies présentes le territoire du Burkina Faso. Ils vivent en communautés villageoises indépendantes, sans pouvoir politique centralise et a l'instar des ethnies circonvoisines, ils appartiennent au groupe de sociétés dites lignagères ou segmentaires.. Cependant, selon toute vraisemblance, la présence des bobo sur leur territoire ethnique actuel serait l'une des plus anciennes des peuples burkinabè et remonterait donc a plusieurs siècles..
1) les Bobo-Dioula ou Dioula musulmans et commerçants malinké venus du Mali et qui ont fondé Bobo-Dioulasso. Ils habitent cette ville. Ils parlent le mandaté, mélange de bobo et de dioula(dérivé du bambara). Ce sont les plus nombreux parmi les Bobo. Et sont la 3e ou 4e ethnie majoritaire du Burkina Faso leur langue le Dioula ou Malinké parlée par environ quatre millions de personnes au Burkina Faso est une des langues nationales du pays.
2) les Bobo-Fing (les bobos noirs) qui habitent essentiellement le long de la rivière KOU, à l'ouest de Bobo-Dioulasso. Ils parlent le Ndeni mélange de Bobo et de Mandarè. Ils sont animistes ou chrétiens.
3) les Bobos Woulé (bobos rouges car ils ont souvent le teint clair) ou Bwa (ou Bwaba). Ils habitent à l'est et dans le nord de Bobo-Dioulasso. Ils parlent le Bamou. Ils sont animistes ou chrétiens et constituent le sous groupe le plus important.
Les Bobos sont agriculteurs, ils cultivent le millet le sorgho et le coton pour approvisionner les métiers à tisser des villes.
Au niveau politique, l'organisation repose fondamentalement sur un système décentralisé qui tire ses origines des enseignements du Dwo. En effet, dans la pensée bobo, Dwo est le fondateur de l'ethnie et du village, et lui seul est chef. Chaque village est autonome et ses dirigeants, des lieutenants : d’où le titre d’aines (aînés) ou (anciens)., Le village se présente comme une agglomération rurale ayant une vie propre à elle. Il est fondé sur des rapports interlignagers et régi par une administration fortement décentralisée dont les principaux responsables sont les aînés ou grands Il est constitué d'un ensemble d'habitations groupées et compactes. En général, les villages sont divisés en plusieurs quartiers et habités par plusieurs clans : les cultivateurs, les griots , les forgerons .
Pour qu'un village ait son statut, il lui faut plusieurs familles dont la cohabitation favorise un mode de relations érigé en modèle de société et dans lequel coexistent le familial») et le communautaire..Le familial a un fondement ,la parenté biologique et le communautaire est plutôt l'expression d'un choix, un lien contractuel et une obligation mutuelle. Les villages tout comme les autres villages africains ont donc développé dans le passé des communautés authentiquement humaines fondées sur une volonté de vivre ensemble, de réaliser un projet tourné vers l'avenir.
Le groupe de parenté , le lignage, est la base de la structure sociale et pièce essentielle de I ’organisation villageoise,. Il réunit, en un lieu précis , tous les descendants en ligne directe agnatique d’un ancêtre commun parfaitement connu.. les descendants du fondateur du village sont les gens qui, liés par le même statut parental et les mêmes droits, vivent dans le même’ groupe de maisons, autour de la maison de l’ancêtre,(WASA) dite « la mère des maisons ». La wasa, est en effet la première maison construite par l’ancêtre fondateur du lignage au moment de son installation dans le village. Elle a été préservée intacte: murs, charpente, etc..). Plus qu’une maison ancienne, c’est en fait un lieu religieux, comportant l’autel de lignage soit la tombe de l’ancêtre signalée par une pierre sous le seuil de la porte et où il a été en effet enterré.
En dehors des principes de parenté sur lesquels il se fonde, le lignage bobo se distinguait autrefois par des fonctions économiques essentielles : il constituait en effet l’unité primaire de production et de consommation. Cette unité, qui opérait pratiquement en autarcie, était caractérisée par son organisation rigoureusement communautaire
Du lignage au clan, puis du village à l’ethnie, au gré des analyses, se dégagent certains concepts qui vont se révéler opératoires tant au niveau socio-politique qu’au niveau religieux. C’est ainsi qu’on porte une particulière attention ici à la notion de « communauté » - FOROBA - instrument de cohésion au service du groupe de parenté et de groupe social villageois tout autant que du groupe partageant le culte d’une même figure divine (Dwo et ses masques notamment). : Les Bobo emploient le terme foroba pour désigner l’état de ce qui est « commun ». Le mot se retrouve d’ailleurs avec le même sens dans de nombreuses langues mande et notamment en malinké et bambara. Le champ d’application de la notion de foroba est très vaste : peuvent être foroba non seulement des biens matériels de tous ordres, mais aussi des biens « spirituels » (idées, connaissances, révélations mystiques et cultes même) des personnes (captifs, certaines catégories d’épouses), des modes d’activité (façons collectives de travailler). Foroba s’oppose à zakane qui désigne en bobo tout ce qui est individuel, privé. Ainsi,en période de culture, tous les hommes valides du lignage sans exception se réunissent cinq jours par semaine pour travailler sur le foroba « champ communautaire.
C’est un vaste champ rectangulaire de plusieurs hectares et divisé en parcelles … il s’agrandit chaque année d’une nouvelle extension cultivable à l’opposé du village tandis qu’on supprime périodiquement une parcelle proche de celui-ci.. le champ s’éloigne du village ainsi jusqu’aux limites du territoire ce qui obligera à cultiver un nouveau foruba. La principale culture pratiquée sur le foroba a consisté longtemps en deux variétés de mil anciennement connues ;parce que plantes sacrées révélées, selon le mythe Wuro ,l’entité suprême.. Cela donne un caractère foncièrement religieux à tout ce qui se rapporte au mil ainsi cultivé en foroba et la moindre des opérations agraires se trouve soumise à une extrême ritualisation. Le chef du lignage, détient toutes les responsabilités aussi bien techniques que religieuses en matière d’agriculture. Il décide des dates des travaux, fait les sacrifices nécessaires, surveille l’avancement de la tâche.. Les femmes, quant à elles, se chargent à tour de rôle de faire la nourriture et de l’apporter aux champs. Lorsque les travaux requièrent beaucoup de bras - semailles, moisson, transport du grain - les femmes, toutes obligatoirement présentes, apportent leur concours.
Il est un autre espace sacré où se concrétise l’activité communautaire du lignage,c’est l’aire de battage pati. Vaste rectangle de terre il fut délimité par l’ancêtre fondateur du lignage et depuis, n’a plus changé de place. Le pati symbolise ainsi la pérennité du lignage : les générations s’y succèdent et y œuvrent dans le même esprit de solidarité. Sur le pati, après stockage du produit de la récolte, on procède au battage, au vannage et à l’enlèvement du grain ; mais ces opérations techniques, toutes réalisées en commun par les membres du lignage rassemblés sont aussi des opérations rituelles délicates. Le pati ‘est un lieu privilégié du cosmos, situé à la frontière du domaine villageois et du terroir de brousse, il est la seule zone où certains transferts spirituels peuvent s’effectuer. L’animisme attribue une énergie vitale(âme) au mil ,énergie libérée dès lors qu’on le coupe. Cette énergie libre serait dangereuse pour le village si on la laissait entrer avec le grain.. En coupant le mil on le fait « mourir » et on libère son "âme". Pour ne plus laisser errer dangereusement cette âme, pour ne pas faire entrer au village des grains qui ‘sont, par ailleurs, tout imprégnés des forces nocives de la brousse, il est nécessaire de procéder à des rites spéciaux sur le pati même
LE SYSTEME DE PENSEE/
Dans la tradition, l'homme appartient à la nature. Il en est dépendant et entretient une sorte de fraternité cosmique avec tous les éléments de la nature.
"La solidarité dépasse les rapports entre les humains, pour englober tous les existants. qui ont chacun chacun leur place dans le «lien harmonieux du cosmos d'exister de chacun. On peut sans doute user des animaux et des plantes, mais détruire pour son bon plaisir, c'est méconnaître leur droit d'exister, et ceci est iui(, injustice, un « désordre », par rapport à l'ordre de la nature ou à l'ordre établi par l'organisation sociale : elle est empiétement sur les droits de l'autre, violation de son « kakiè » (sa zone d'existence) ». Gaston Sanou Aussi, dans la tradition, l'homme forme-t-il un tout avec les animaux, |es plantes, les insectes, les cailloux, la terre, le vent, les astres, etc. Il est partie prenante de cette nature. C'est tout un système vital qui se tient. Régulièrement, l'homme s'engage dans la nature pour y reprendre force. C'est dans le même sens qu'il faut comprendre que l'initiation, qui se déroule en brousse, est aussi une conduite au cœur de la nature, pour y purifier les candidats à l'initiation, raffermir leur foi, c'est-à-dire leur engagement sans réserve pour l'épanouissement de leur communauté, et les amener à une vie digne et à faire d'eux de vrais adultes .Il est donc tout à fait normal que l'homme retourne périodiquement, individuellement, en famille ou en communauté au cœur de la nature pour se ressourcer aux forces vitales de la nature.
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Les croyances relatives à l’histoire de la création du monde sont rassemblées et ordonnées dans des récits qui se présentent sous la forme de ‘vaste mythes cosmogonique.Pour désigner les mythes cosmogoniques, les Bobo parlent de Wuro Da Fere , de « choses relatives aux créations de Wuro ». Il s’agit de longs récits épiques consignés dans la langue bobo commune mais qui ne sont jamais transmis en public, à la différence par exemple des contes que peuvent écouter les auditoires les plus larges, ou même d’autres catégories de mythes ou de légendes qui, bien que réservées à des individus sélectionnés (membres de classes d’âge données), sont aussi contées dans des petites assemblées.
Les mythes bobo sont faits de de récits en deux cycles distincts. Le premier est celui de la création selon Wuro le principe premier et se termine lorsqu’elle est supposée parfaite et correspondant aux archétypes primordiaux. La fin du cycle marque éloignement définitif de Wuro et la révélation aux hommes de Dwo, émanation de la substance première et de son énergie ,qui se manifeste sous la forme du masque de feuilles. Les manifestations épisodiques et ses révélations de Dwo fournissent la matière aux mythes du second cycle, qui renseignent sur la façon dont certaines connaissances ont été transmises aux hommes par voie surnaturelle. Et c'est suivant l'époque et les circonstances de ces révélations ultérieures que se sont dessinées la hiérarchie des masques, leur typologie, leur nature et leur fonction.
Comme toute mythologie, les mythes énumèrent la succession des créations mais en instituant un ordre. Cet ordre, en première approche, semble dualiste avec deux grandes sections du monde et des couples d’opposés hommes/génies - village/brousse - domestique/sauvage - culture/nature - sécurité/danger - froid/chaud. Pourtant ces opposés sont en fait en situations de complémentarités dès que l’on introduit l’idée globale d’un cosmos. Tout en effet y est réparti de façon à ce que les entités contraires s’annulent et à ce que s’établisse un rigoureux équilibre. Les « forces » ,l’énergie constitutive de chacune contrebalance l’autre .. Au début du temps mythique, aucun clivage n’apparaît d’ailleurs entre les êtres ou les choses et les premiers partages, se font sans qu’ils soient exprimés en termes d’opposition ou de conflit. Si la création va se diversifier d’où un univers en instabilité lors de sa genèse, le fondateur suprême suit un plan jusqu’à l’équilibre parfait qui marque la fin des temps cosmogoniques
« Désormais, toute initiative divine doit cesser, rien ne peut plus être ajouté à l’œuvre sous peine d’en détruire la frêle harmonie : une note de plus et c’est la dissonance, le dérèglement de l’accord et bientôt le chaos. Pour échapper à sa vocation impérieuse de créateur, pour ne pas céder à la tentation du « perfectionnisme », pour se soustraire peut-être aussi aux exigences dangereuses de la plus encombrante de ses créatures, l’homme, Wuro doit rompre avec le monde, s’éloigner, non pas disparaître et abandonner complètement ceux qu’il a tirés du néant, mais leur épargner son contact - quitte, on le verra, à leur laisser en partage une parcelle matérialisée de sa substance (DwO, c’est-à-dire le masque). C’est sur cet événement capital que s’achève le récit des « choses relatives aux créations de Wuro » - les wuro di fere. On comprend que la perfection ayant été atteinte une fois pour toutes il n’y ait plus, dans la nouvelle période qui va s’ouvrir, aucune place pour le changement ou le progrès. Chez les Bobo, comme dans les nombreuses sociétés africaines qui possèdent ce même modèle cosmologique, le souci permanent est de ne rien modifier au donné mythologique. Ainsi le destin des générations humaines est-il de rester inchangées dans un monde figé et, paradoxalement, leur seule tâche active (dans le domaine spirituel s’entend) sera d’agir en vue de maintenir ce statisme par de constants rites de réactualisation ou par des opérations mystiques destinées à rétablir les équilibres préétablis jugés compromis. Finalement, c’est seulement dans la période cosmogonique que le monde aura connu un véritable devenir » G.LEMOAL. LES BOBOS.NATURE ET FONCTION DES MASQUES.
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Les mythes bobo font ainsi référence à un principe primordial « Wuro », mais qui comme dans beaucoup de religions africaines s’est éloigné et demeure invisible quoique toujours actif. On ne lui voue pas de culte. Fondamentalement, Wuro est un démiurge, l’architecte de l’univers. Il est à la fois unique) et multiple.Il peut se partager en ses « fils » DWO, SOXO ET KWERE. Ce que les Bobo veulent exprimer en parlant des « fils », c’est qu’en dépit de son unicité réelle, Wuro détache de lui-même des parts qui ne cessent pas de lui être intrinsèquement personnelles, mais qui s’individualisent et se spécialisent dans une fonction. Wuro, à la fin des temps cosmogoniques, disent les mythes, affecte une part de lui-même, à la sauvegarde de l’humanité (Dwo), une autre à l’animation du monde végétal (saxo) ou une autre encore à l’affirmation de son autorité (Kwere) . En fait, au-delà de la lettre, et selon les principes animistes, l’univers apparait comme un cosmos « vivant » et en manifestation continuelle où tout ce qui agit est ; et tout ce qui est agit. On a une vision unitaire englobant esprits, hommes, animaux, végétaux, astres, minéraux .L’ensemble est parcouru d’une une énergie cosmique qui irrigue le monde. Le feu est en effet l’élément constitutif de la nature de Wuro (d’où l’importance du forgeron). Tout ce qui émane de Wuro est donc ardent et sont ardents les « fils ». Kwere est ainsi « la foudre ». Si SOxo est la brousse aux yeux des hommes, ce serait pourtant un lieu « brûlant », un lieu qui entre dans la catégorie de pensée où sont associées à l’idée de nature ou de « sauvagerie », celles de chaleur, c’est-à-dire symboliquement de danger, de maladie, de fièvres. Quant à Dwo enfin : il est « flamme ». De façon symbolique, tout d’abord, Dwo est flamme parce que la flamme, le feu, c’est la lumière, c’est-à-dire, par métaphore, l’illumination des esprits et donc la connaissance puisque c’est autour de sa personne (représentée par le masque) que s’organise la longue quête de connaissances qu’est l’initiation.
D'après les mythes cosmogoniques recueillis par Guy Le Moal, Wuro crée la terre, puis certains animaux, et enfin le premier homme : le forgeron. Sur son instance, Wuro lui donne comme compagnon un deuxième homme, le cultivateur bobo. Dans les événements qui suivent, les animaux jouent le rôle d'émissaires de Wuro, s'ingéniant à relier, selon le dessein divin, le forgeron à l'œuvre de création. Mais lorsque le forgeron affiche la prétention de se placer sur un pied d'égalité avec son créateur, la conséquence est inévitable : Wuro s'éloigne de lui. Cependant, avant de quitter définitivement le forgeron, il lui donne Dwo pour la sauvegarde de l'humanité. La révélation de Dwo sous la forme du masque de feuilles est le prélude à l'effacement définitif de Wuro, qui opère le passage du mythe à la réalité. Dwo devient l'interlocuteur privilégié des hommes, et la forme par laquelle il a été révélé définit la manière de représenter le caractère universel de sa nature et le rôle qui lui a été confié.
Après l'effacement de Wuro, l'interaction entre Dwo et les hommes constitue donc le processus fondateur de l'histoire de l'humanité. Aux hommes incombe le devenir de leur monde, qui se modèle sur les préceptes et les interdictions que chacune des manifestations ultérieures de Dwo comporte. Alors que les mythes cosmogoniques justifient la face inconnaissable de Wuro, les mythes de Dwo montent son immanence dans ses multiples modalités. Car, derrière le masque et le puissant Dwo, c'est toujours Wuro qui se manifeste et poursuit son œuvre d'éducation de l'homme, d'une manière toujours différente.
A la lumière de tout ce qui précède, on peut dès maintenant retenir cette idée que deux « temps » ont existé, séparés par un événement mythique de portée majeure : - le premier temps, celui de la création de l’univers (mythes cosmogoniques), est tout entier placé sous le signe de Wuro ; - la fin de ce temps est consacrée par une rupture, Wuro s’efface mais donne aux hommes son « fils » Dwo- commencent alors de nouveaux temps, ceux qu’on peut dire « historiques , placés sous le signe de Dwo et de ses manifestations épisodiques (mythes post-cosmogoniques)
Dwo est en effet conçu, lui aussi, comme unique tout en même temps que multiple. : il appartient au temps cosmogonique primordial qui s’achève par sa révélation mais aussi au temps « historique » que constitue ses manifestations .Dwo, à ce stade, s’offre en effet à tous les hommes sans distinction.
« Sous la simple apparence d’un masque élémentaire fait de feuilles fraîches, il restera présent dans chacune des communautés humaines de l’univers (c’est-à-dire du « monde » selon les Bobo) où lui reviendront toujours et la première place et le rôle majeur. Avec les temps « historiques » surviennent de nouvelles manifestations de Dwo qui, étant post-cosmogoniques, n’ont plus le même caractère d’universalité et sont au contraire, de nature « privée », c’est-à-dire réservées à de simples individus. Ces nouvelles manifestations consistent en la révélation de masques qui s’avèrent tout à fait nouveaux et d’une nature même contraire à celle du masque de feuilles initial. Il s’agit cette fois en effet de masques qui, d’une part, affectent non plus une forme unique mais des morphologies variées à l’infini et qui, d’autre part, adoptent tous un matériau de base qui, à l’inverse de la feuille, est sec et ligneux : la fibre. Enfin, pour achever de marquer la différence avec la manifestation initiale de Dwo, toutes celles qui suivront dans la période post-cosmogonique se feront, non seulement - nous l’avons dit - à des individus précis, mais aussi en des lieux bien précis et c’est même le nom de ces lieux qu’on retiendra pour les distinguer :
En raison du caractère universel que lui donne son origine cosmogonique, le culte de la figure initiale de Dwo ne peut-être que foroba, c’est-à-dire partagé par tous sans distinction. Dans la pratique, ce culte ne peut donc se pratiquer que collectivement à l’échelle du village et nul lignage, fût-ce celui des fondateurs, ne peut employer les masques de feuilles à des fins personnelles ; ces masques sont destinés à œuvrer pour le compte exclusivement de la communauté des lignages. Les figures ultérieures de Dwo, en revanche, sont, dans un premier temps au moins, toujours zakane.(particulières) A l’époque post-cosmogonique, en effet, Dwo, comme toutes les entités spirituelles d’ailleurs, ne peut que s’adresser à des individus et ceux-ci ne peuvent d’abord que lui rendre un culte qui est « privé » dans la mesure où il ne sera pratiqué que par les seuls membres de la parenté de celui qui a bénéficié de la nouvelle révélation divine, c’est-à-dire par une collectivité réduite qui est en position zakane par rapport aux collectivités plus larges du type collectivités villageoises,. »
G.LEMOAL. op. Cite
Les Bobo adorent ainsi Dwo qui, dans la tradition, est l'esprit fondateur et vivificateur du village. C'est lui qui guide l'individu durant sa vie ; il est à la base de toute la vie individuelle et collective. C'est sous le signe du Dwo que se déroulent les célébrations liturgiques qui rythment chaque année la vie du village. Il y renouvèle la communauté en ses origines, ses coutumes, et refait la solidarité des liens avec les Ancêtres et au sein de la société villageoise »..
Soxo incarnerait, lui, l’idée de phusis telle qu’elle existait chez les grecs. C’est la brousse comme entité, moins le sol ou la terre que de ce qui y pousse : la végétation. où plutot ce qui la fait pousser. et c’est sans doute, l’herbe, qui représente le mieux l’idée qu’on se fait de l’entité parce qu’elle est, comme lui infiniment multipliée et abondamment répandue.
La brousse est également perçue comme le domaine des forces de la nature, esprits bons et mauvais, puissances supérieures à l'homme. Leurs lieux de résidence privilégiés sont les collines, les grands arbres, les forêts sacrées des différents villages, les forêts galeries le long des cours d'eau telle la forêt, les cours d'eau Aussi, est-il déconseillé de s'aventurer tout seul au-delà de la brousse à des heures néfastes, telles à midi ou à partir de minuit.
La brousse concrétise le principe animiste NYAMA ,dont on dit souvent qu’il est une « force » : force universelle, invisible et indifférenciée donc répandue partout. Par rapport à elle, ,les « esprits « sont des « forces » d’une individualité et d’une spécificité beaucoup plus marquées. De façon latente, tout être et toute chose est imprégné de nyama. Celui-ci peut rester inactif, mais il est toujours prêt à se manifester dans un sens néfaste pour l’homme. Si on lance une pierre et qu’elle blesse involontairement un ami, c’est le nyama qui l’a guidée. Le nyama règne principalement dans le domaine spatial de la brousse, véhiculé par les génies de celle-ci mais il n’est pas également réparti, il se concentre en effet dans certaines espèces avec une densité et une nocivité variables. Le nyama est - pour reprendre l’expression bobo - « sur » certains oiseaux comme l’outarde et le calao. Il est sur un nombre limité d’animaux : l’oryctérope, le porc-épic, le céphalophe à flancs roux et surtout sur l’hyène et le lion chez lesquels il atteint à un haut degré de nocivité. Il réside aussi sur quelques végétaux, des arbres principalement et sur le cadavre des hommes morts accidentellement en brousse. Le nyama, enfin imprègne les objets sacrés que l’on découvre fortuitement en brousse (rhombes, masques miniatures).
« A côté des divinités de haut rang classées dans la catégorie Wuro, il existe une infinité d’entités spirituelles qui, par comparaison, peuvent être qualifiées de mineures. Bien qu’ils fassent grand cas d’elles, puisqu’ils leur vouent un culte actif et fervent, les Bobo disent souvent, avec une teinte de dédain qu’elles ont été « inventées par les hommes » Des entités dont nous allons parler, aucune n’existaient dans les temps cosmogoniques, toutes sont apparues dans la période historique et toutes, pour se révéler, ont dû prendre appui sur des hommes ; ce sont donc ces derniers qui, en promouvant leur culte, leur ont donné corps et c’est en ce sens seulement qu’on pourrait dire qu’ils les ont « inventées. Dans leur ensemble, les entités spirituelles qui ne sont pas « des Wuro » portent le nom de fùnanyono ; terme singulier, probablement composé, dont aucune étymologie satisfaisante n’a pu nous être fournie.
Nous serions, quant à nous, tenté de traduire en français par « esprit » car le propre d’un fùnanyono (c’est d’être immatériel, incorporel. Le fùnanyono n’est jamais visible, c’est une substance douée de forces et de pouvoirs surnaturels. Elle peut se localiser en un point bien précis, en se coulant, par exemple, dans un objet matériel ou, plus souvent, dans un végétal (arbre ou seulement racine, feuille) qui lui serviront dès lors de support et feront office d’autel. »
Il peut aussi se localiser temporairement dans le corps d’un homme, posséder son esprit et se servir de sa bouche pour transmettre un message ou faire des révélations. Il est aussi plus diffus dans l’espace et s’identifier avec tout ou partie d’un élément de la nature (l’eau en général ou bien telle rivière, telle mare), un accident de terrain (les grottes, les collines), une espèce végétale. Chaque esprit possède des aptitudes personnelles bien précises. :comme le pouvoir de donner des enfants, d’autres sont de véritables spécialités : détecter les empoisonneurs, protéger contre telle ou telle maladie, « calmer » les conflits, aider les chasseurs, etc. Dans chaque village bobo, des dizaines d’esprits ont leurs autels, certains sont personnels, d’autres sont lignagers et ces derniers peuvent être adoptés par l’ensemble du village et devenir firoba, mais, en raison de leur apparition pos cosmogonique, tous sont appropriés, tous ont un « propriétaire » qui est la personne (puis ses descendants) à qui ils se sont révélés pour la première fois (le plus souvent en rêve) .
La nature, ainsi entendue comme «phusis », précède l'action de l'homme et celle de Dwo, l'esprit fondateur du village qui s'en inspire et anime toutes les coutumes. Cette nature primordiale n'est pourtant pas un espace, vague et sans propriétaire. Elle est répartie en différentes zones appartenant chacune à un village .La répartition se serait faite selon l'ordre d'arrivée des populations qui s'installèrent sur le territoire et s'organisèrent en villages. Ce qui expliquerait l'inégalité entre les terroirs villageois souvent délimités entre eux par des frontières naturelles : cours d'eau, collines, forêts, etc.
Le terroir villageois est à son tour réparti en zones de champs de culture, «appartenant aux différentes grandes familles constituant le village selon la lignée paternelle. Ces champs sont appelés » « champs des fils de la même maisonnée ». Un champ de culture est un bien commun de la famille et ne peut être vendu. II peut être exploité soit en « foroba » (collectivement) soit en « zakanè » (individuellement) ou sous les deux formes à la fois. Comme pour le terroir on peut également observer ici une inégalité d'étendue entre les champs des grandes familles.
Avant d’être séduite par Zeus sous la forme d’un serpent et de concevoir Dionysos, Perséphone avait commence un tissagesur lequel serait représenté l’univers (récits orphiques)
Filer le coton, tisser le vêtement l’homme et la femme qui rentrent à la maison pour procréer c’est tout un…les fils de coton des tisserands, les nombreux hommes de ce monde, c’est tout un….(ogotemmêli à m.griaule ..dieu d’eau)
Nous tisserons le linceul du vieux monde (chants des canuts)
Notre tradition veut que la vérité soit un dévoilement. Une chose, un ensemble de choses couvertes d'un voile, à découvrir, tâche des sciences et de la philosophie
Pourtant le réel, l’état des choses s'enchevêtrent, mêlé comme un fil, un long câble, un écheveau. Les connexions n'ont pas toujours leur dénouement. L'état des choses paraît une multiplicité croisée de voilages, dont l'entrelacs figure une projection. « L'état des choses écrit Michel Serres se chiffonne, se froisse, replié, parcouru de fronces et de volants, de franges, de mailles, de laçages. » les cinq sens….Grasset
« Non, la chose ne gît pas sous voile, ni la femme ne danse sous ses sept voiles, la danseuse est elle-même un complexe de tissus. La nudité révèle encore plis ou replis. Arlequin ne parviendra jamais à son dernier costume, il se déshabille infiniment. Restent toujours ocelles et tatouages…
Dévoiler ne consiste point à ôter un obstacle, enlever un décor, écarter une couverture, sous lesquels gît la chose nue, mais à suivre patiemment, avec un respectueux doigté, la disposition délicate des voiles, les zones, les espaces voisins, la profondeur de leur entassement, le talweg de leurs coutures, à les déployer quand il se peut, comme une queue de paon ou une jupe de dentelles. »
et M.Serres, de proposer ce qui pourrait fonder en effet une nouvelle anthropologie : que le tissu, le textile, l'étoffe donnent d'excellents modèles de la connaissance, d'excellents objets quasi abstraits.
« Le tisserand, la fileuse, Pénélope ou autre, m'étaient jadis apparus comme les premiers géomètres, parce que leur art ou leur artisanat explore ou exploite l'espace par nœuds, voisinages et continuités, sans nulle intervention de la mesure, parce que leurs manipulations tactiles anticipent la topologie. Le maçon ou l'arpenteur devancent les géomètres au sens étroit de la métrique, mais celle ou celui qui tisse ou file les précède dans l'art, dans l'idée, sans doute dans l'histoire. On a dû s'habiller avant de bâtir, se vêtir flou avant de construire en dur. »
. La Méditerranée, cultures et peuples non linéaires, a laissé place à l'Atlantique nouvelle et à la linéarité. La méthode passe la forêt en tenant les arbres pour nuls ; elle traverse la grande mer. Ainsi l'agriculteur laboure pour tuer toute plante ou racine et solliciter pour la culture d'une seule une réaction du champ qui la fait régner sans partage ; il méprise pour sauvage l'homme des bois, connaisseur d'arbres et de lianes, lieu par lieu et temps par temps, pouvant se repérer dans la forêt sans chemin ni boussole, par repères si instruits qu'ils deviennent instinctifs. Sortir du bois par le chemin droit sans rien voir équivalait à se délivrer de la sauvagerie. Ces deux rapports aux lieux et à l'espace marquent encore aujourd'hui la distance entre un homme de science et celui qu'on appelle, par mépris, littéraire ou poète, sauvage, distance entre le paysage et le panorama.
L'ethnologie s'est longtemps préoccupée de « dévoiler » dans le monde des espaces signifiants « durs », des sociétés identifiées à des cultures ( univers de sens à l'intérieur desquels les individus et les groupes se définiraient) conçueselles-mêmescommedestotalités s’ordonnant par ailleurs dans le temps selon un évolutionnisme linéaire et ethnocentrique. Dans ce modèle, le vécu autochtone était d’une certaine façon disqualifié parce quepostulé inconscient de son sens réel que seul l’ethnologiepouvait dégager ,l’indigène pour sa part étantau mieux « élevé » au statut d’informateur.
On avait par exemple, un panorama de la société dogon, totalité pure, miraculeusement préservée du métissage culturel et de l’islam environnant( c’est un choix des films de jean Rouch),et régie par des mythes et des rites auxquels s’initie l’ethnologue. Une altérité fascinante (le temps d’un voyage ,d’une danse des masques,d’une visite au quai Branly,) qui nourrit notre nostalgie de l’origine, mais qui reste heureusement suffisamment autre pour ne pas « altérer » notre propre identité.
Pour les anthropologues contemporains, l'espace de la modernité déborde et relativisece modèle. Marc Augé décrit notre surabondance spatiale qui tisse « lieux » (, villes centres, terroirs et territoires lieux de mémoires, hauts lieux),et « non lieux » : les points de transit et les occupations provisoires où se développe un réseau serré de moyens de transport qui sont aussi des espaces habités les aéroports, les gares et les stations aérospatiales, les grandes chaînes hôtelières, les parcs de loisir, et les grandes surfaces de la distribution, L’écheveau complexe, enfin, des réseaux câblés ou sans fil qui mobilisent l'espace extra-terrestre aux fins d'une communication si étrange qu'elle ne met souvent en contact l'individu qu'avec une autre image de lui-même.
Cette nouvelle anthropologie n’a-t-elle pas une conséquence paradoxale. Auparavant l’anthropologuedécodait le bricolage sauvage, il l’interprétait sans l’écouter. En extrapolant le modèle issu de la linguistique il négligeait le tissu flou de la parole indigène pour en explorer la langue, les structures inconscientes.
Ainsi le primitif pouvait nous informer mais rien nous apprendre (sinon son altérité) qui puisse nourrir des modèles de compréhension de notre réalité, opposition de sociétés sans écriture, froides, horlogères, soucieuses de reconnaissance par les systèmes de parenté et les mythes, et des sociétés chaudes, historiques, productrices de techniques et de connaissances.
Il faut encore une foislire michel serres (hermes1) réduisant la raison classique( pour qui l’ailleurs est déraison incommunicable) à une simple raison régionalisée pour saisir la nouveauté du changement de perspectives :
A voyager sur terreou plonger dans le courant du sens,communiquer c’est voyager, traduire, échanger : passer au site de l’Autre, assumer sa parole comme version transverse d’objets gagés ; faire commerce réciproque: voici hermes dieu des chemins, et carrefours, des messages et des marchands…
Ce site de l’autre, Serres le rencontrait dans les voyages pour enfants, les contes pour amoureuses, les légendes populaires et rêves d’alchimistes, on pourrait aussi bien le rencontrer dans le vaudou fon ou haïtien. Le discours du vodouisant n’est pas pur mensonge, pure errance ou illusion : l’appartenance au tissu cosmique ou social , consiste pour lui à se mettre à l’écoute des loas qui parlent ,dans les arbres : il s’inserre ainsi dans un réseau de significations, dans une plénitude de sens, parole du monde qui interpellel’homme et dont la signification est inépuisable. Voici legba, fon ou haïtien, maître dieu des routes et des sentiers, des croisées et des chemins, « maitre carrefour » : « papa legba ouvre moi la barrierre pour que je passe »
Dans un autre texte(hermes ii)m Serres écrivait encore définissant la pensée scientifique contemporaine
« de l’élément atomique ou isotopique, à la molécule, de celle-ci au cristal, puis à l’étoile, l’invariant est sans contexte la forme même du réseau, les choses sont saisies dans les mailles d’un treillis législatif à deux ou trois dimensions ou entrées…peu à peu les régions autochtones disparaissent, des carrefours se connectent , ou se jettent des savoirs qui sont eux-mêmes des carrefours, des nœuds cde connexion…les domaines singuliers sont des échangeurs ; la coordination croisée , l’intersection rendent impensable un ordre irréversible ou linéaire ».
paradoxes : certains mythes dogons, certains récits de « rêves » aborigènes, font écho à ces propos :
ogotemmêli dans dieu d’eau, déroule ainsi le mythe de création : le génie nommo tisse l’univers et ce tissage esten même temps parole originaire :
Délivré de sa condition terrestre l'ancêtre fut pris en charge par le couple régénérateur. Le mâle le conduisit au fond de la terre, dans les eaux matricielles de sa compagne. Il se replia comme un fœtus, se réduisit comme un germe, atteignit la qualité d'eau, semence de Dieu, essence des deux génies. Les nommo
Et tout ce labour était de verbe : le mâle accompagnait de la voix la femelle qui se parlait à elle-même, qui parlait à son propre sexe. Le verbe entrait en elle, s'enroulait autour de la matrice en une hélice à huit spires. Et de même que la bande hélicoïdale de cuivre entourant le soleil lui donne son mouvement diurne, de même la spirale de verbe donnait à la matrice le mouvement régénérateur.
— Les paroles que le Nommo femelle se parlait à lui-même, dit Ogotemmêli, se tournaient en hélice et entraient dans son sexe. Le Nommo mâle l'aidait. Ce sont ces paroles qu'apprenait l'ancêtre septième à l'intérieur du ventre.
Le jour venu, à la lumière du soleil, le Septième génie expectora quatre-vingts fils de coton qu'il répartit entre ses dents supérieures utilisées comme celles d'un peigne de métier à tisser. Il forma ainsi la plage impaire de la chaîne. Il fit de même avec les dents inférieures pour constituer le plan des fils pairs. En ouvrant et refermant ses mâchoires, le génie imprimait à la chaîne les mouvements que lui imposent les lices du métier. Et comme tout son visage participait au labeur, ses ornements de nez représentaient la poulie sur laquelle ces dernières basculent ; la navette n'était autre que l'ornement de la lèvre inférieure.
Tandis que les fils se croisaient et se décroisaient, les deux pointes de la langue fourchue du génie poussaient alternativement le fil de trame et la bande se formait hors de la bouche, dans le souffle de la deuxième parole révélée.
En effet, le génie parlait. Comme avait fait le Nommo lors de la première divulgation, il octroyait son verbe au travers d'une technique, afin qu'il fut à la portée des hommes. Il montrait ainsi l'identité des gestes matériels et des forces spirituelles ou plutôt la nécessité de leur coopération.
Le génie déclamait et ses paroles colmataient tous les interstices de l'étoffe ; elles étaient tissées dans les fils et faisaient corps avec la bande. Elles étaient le tissu lui-même et le tissu était le verbe. Et c'est pourquoi étoffe se dit soy, qui signifie « c'est la parole ». Et ce mot veut dire aussi 7, rang de celui qui parla en tissant.
Durant l'accomplissement du travail, la fourmi allait et venait sur les bords de l'orifice, dans le souffle du génie, entendant et retenant les paroles. Nantie de cette nouvelle instruction, elle la communiqua aux hommes qui hantaient les parages et qui avaient déjà suivi la transformation du sexe de la terre.
ainsi les entrecroisements de la chaîne et de la trame enserrent les mêmes paroles, héritage des hommesque les tisserands transmettent de génération en génération, aux claquements de la navette et un bruit aigre de la poulie du métier » dites « grincement de la parole ».
Ci-dessous un mythe Dan (cote d’ivoire) d’origine des masques.
Si l’homme était reste pur, il aurait conservé sa force ; toutes les connaissances étant à sa portée, la mort aurait tenté en vain de s’établir, chassée à tout coup par la vertu des plantes, des herbes, tenue en respect par la présence du créateur : mais celui-ci s’étant retiré, avec lui s’en alla le principe de la vie, de la santé ; la maladie survint avec son cortège de faiblesses et de misères. L’insécurité donna naissance à l’égoïsme, chacun cherchant à faire provision de forces, de biens, en affaiblissant, en appauvrissant les autres. Les plus forts réduisirent les faibles en esclavage, d’où les luttes et le règne du crime - entre maîtres et esclaves, entre esclaves, entre maîtres, entre riches et pauvres, entre pauvres, entre riches. Tous les esprits, agents et messagers de Dieu pour la terre ne s’essaient pas retirés avec lui, mais impuissants désormais à se faire entendre de l’homme, à inspirer l’homme, ils s’étaient retirés loin du contact de l’homme, au plus profond des forêts. Quant à ceux qui ne s’étaient pas retirés assez vite du voisinage de l’impureté, quelques-uns, à leur tour, succombèrent et péchèrent, mettant le comble à ce qui était devenu l’apanage du roi de la création : les débauches et la cruauté.
La situation, intolérable, s’en allait, se propageant, et Dieu ne bougeait pas, se disant que l’humanité stupide avait à sa disposition toute la sagesse dont elle pouvait avoir besoin, si seulement elle s’arrêtait pour penser. Le roi et l’instructeur s’étant dégradé, qui pouvait désormais enseigner les voies de la sagesse ? Il y eut toutefois un village où les choses semblaient s’être moins corrompues qu’ailleurs. Peut-être la vraie fille de Dieu avait-elle été son partage, et l’un des bons Esprits de la Forêt imagina de ramener l’ordre par le biais de ce village. Il lui fallait prendre ce village en main et faire de ses hommes les instructeurs du monde, mais là aussi les coeurs s’étaient endurcis, les esprits alourdis, et il n’y avait pas moyen pour l’Esprit d’entrer en dialogue avec l’homme même en cet endroit, parce que, malgré une certaine retenue, l’homme ne priait plus, ne se tournait plus vers l’Invisible. Il n’y avait d’autre recours pour cet Esprit que de prendre l’apparence de l’homme. Ainsi se transforma-t-il en un visage, une face, un masque ; mais ce faisant, il perdit aussi la force qui l’avait animé : cette faculté qui fait d’un esprit né en vol un être vivant en liberté. Etant devenu ce masque, l’Esprit tomba de son arbre-reposoir. Et parce qu’il était devenu un homme, plus exactement, parce qu’il avait pris l’apparence d’un homme, les autres Esprits ne purent ou ne voulurent pas lui venir en aide. Seul l’homme pouvait désormais l’aider en l’adoptant, en le soignant, finalement en se soumettant à ce qu’il apportait et qui était plus grand que l’homme et que lui-même, à la sagesse, à l’enseignement de la sagesse. C’était à portée de main, en apparence tout simple, mais le masque tombé ne pouvait bouger et dut attendre à l’endroit où il avait chu, dans l’humus et la rose, exposé à toutes les salissures ; et puisqu’il était d’essence immortelle il ne pouvait périr : un Dieu rendu impuissant par sa propre volonté, s’identifiant à l’homme, devenu plus faible que l’homme, un nouveau-né parmi les êtres créés. Et un jour il se mit à chanter, se lamentant de son impuissance, de ses désirs restés vains, de ses espoirs. Il disait en chantant ce qui aurait pu être et n’avait pas été, s’interrogeant en sanglotant : cela serait-il jamais ? Or, tandis que leurs hommes étaient partis loin à quelque fête, les femmes du village entrèrent dans la forêt pour recueillir, quelques-uns disent des champignons, d’autres des termites. Etant entrées dans le bois plus loin qu’à l’ordinaire, elles entendirent, certains disent un chant, d’autres une plainte, disons que c’était une chanson triste, une complainte, comme pouvait en chanter un dieu prisonnier de l’humaine fragilité. Les femmes se rassemblèrent ; celles qui s’étaient écartées furent rappelées, et sur la pointe des pieds elles s’approchèrent de la voix, et d’abord elles ne purent rien voir, parce que l’herbe et les épines avaient recouvert la face et elles crurent que le chant venait d’en has, qu’il était peut-être la plainte d’un trépassé, mais quelques-unes pensèrent qu’il venait d’un chasseur blessé, et elles avancèrent, serrées les unes contre les autres en une masse compacte, mais elles ne formèrent pas un cercle ; ces mots sont importants : elles ne formèrent pas un cercle, elles allèrent de l’avant, serrées en une masse tremblante, gélatineuse, liées par une commune peur, les plus braves en avant, et la plus brave d’entre les braves saisit une gaule, écarta les herbes, et devant elles : les yeux exorbités, les joues creusées et ravinées, les dents énormes, déchaussées, grimaçantes, devant elles était, dans son horreur, Le Masque. Jetant au loin sacs et paniers, se poussant, bataillant pour s’échapper, courant comme si leur vie en dépendait, aucune ne voulant traîner la dernière, coupant à travers les herbes, les lianes, les épines, de leurs corps nus maintenant saignants, dans un tumulte de cris, les femmes, en une galopade éperdue, s’enfuirent vers leur clairière, vers la sécurité des huttes où elles se barricadèrent, n’en sortant qu’à l’arrivée de leurs époux, encore effrayées et tremblantes, et les hommes ne comprirent d’abord pas grand chose à leurs récits, bien qu’ils sentissent entrer en eux aussi le petit froid de la peur, car la peur est contagieuse. Le lendemain, les mâles s’armèrent contre l’inconnu, qui d’arcs et de flèches, qui de lances et de frondes, qui de coutelas, et ils entrèrent dans la foret. Suivant la route indiquée par les femmes, ils entendirent bientôt la plainte qui était un chant. Tout aux alentours était tranquille, et ils formèrent un cercle autour du chant, allant chacun droit devant soi à travers les herbes et les arbres, un cercle qui se resserrait, chacun allant tout droit devant sa propre trace, jusqu’à se voir tous en un cercle de lances, de flèches, de harpons, de lames nues, se sentant rassurés parce qu’ils se voyaient résolus, et s’aimant les uns les autres de se trouver frères en courage. Leur cercle se referma, et si quelque bras s’était levé, prêt à frapper, aucun coup cependant ne fut porté quand les herbes écartées révélèrent, yeux exorbités, joues ravinées, dents grimaçantes, dans sa lamentable humanité, « Le Masque ». L’un d’entre eux dit aussitôt : Il est des nôtres ; et cette phrase était l’écho de ce que chacun s’était formulé tout bas : il est semblable à nous. Les herbes furent écartées, les végétations épineuses arrachées. Avec des mains tendres, ces hommes rudes nettoyèrent le masque, le tournant et le retournant comme fait une mère de l’enfant au berceau. Avec un soupir, le masque s’était arrêté de chanter, reposant doucement comme un voyageur au bout de son périple, comme un enfant rafraîchi s’endort. En dépit de son silence et de son immobilité, ses sauveurs savaient qu’il n’était pas mort, comme aussi, mystérieusement, ils surent qu’il était sans malice. Tous eurent la même pensée, « Les Folles » ! Référant à leurs épouses, et ils décidèrent entre eux de ne pas emmener le masque au village. « Construisons ici... » et ils ne savaient exactement que construire. Ils savaient seulement que c’était un lieu à partager entre eux et lui, et ils commenceront à élever une haie. Comment ils en aménagèrent l’enceinte, ce qu’ils y mirent ou y construisirent, c’est leur secret, mais la clairière fut achevée ce même jour. Là ils communièrent avec lui en affection, et ainsi naquit la première Société, ses secrets protégés des profanes par une haute haie, et ainsi naquit la première école d’initiation ou l’Esprit, relevé par l’homme, ayant pris force, prit aussi forme avec la face de l’homme et les vêtements de la Forêt : herbages, fourrures, plumes et tissus ; et, comme il s’était mis à enseigner, tous furent sous sa houlette, unis en soumission. Ainsi, jusqu’à ce jour, à travers une succession des « Bois Sacrés », tous héritiers de ce premier, la tradition a été gardée de soumettre tous les enfants mâles aux rites de puberté, aux enseignements de l’Esprit et de tenir éloignées des arcanes hermétiques celles qui avaient eu leur chance et l’avaient laissée se perdre
Pour un Africain, la nature est une sorte de champ magnétique où l’on puise la force. Une énergie unique anime la nature à des degrés d’intensité plus ou moins forts, une énergie répond à nos angoisses, à nos désirs, à nos espérances. Le problème essentiel consiste à capter ces forces éparses et à former avec elles un noyau de réalité plus dense. Dans cet esprit, le masque agit en support visible des forces invisibles. Le but à atteindre est de participer à une surréalité qui sous-tend l’univers. L’art africain peut évoquer l’animal, l’ancêtre ou la divinité au moyen de la sculpture, de la musique ou de la danse - il s’agit d’un tout unique. Dans tous les cas, l’on assiste à une métamorphose de l’homme par le truchement d’une danse rituelle obéissant à des lois rythmiques, produisant une forte accumulation d’énergie. Ce que nous considérons comme une œuvre d’art n’est qu’un objet défonctionnalisé. Il a perdu sa force. On le place dans un musée ou dans une collection... ou dans un coffre-fort à moins qu’il ne serve à un concert ou à un spectacle. Mais les œuvres africaines n’ont pas été créées pour la contemplation. Ce sont des objets de participation destinés à l’accomplissement de cérémonies rituelles. Détachés de leur contexte humain et sacré, ils perdent toute intelligibilité. Malraux dit avec juste raison : « C’est le musée qui contraint le crucifix à devenir une sculpture ». Il en va exactement de même avec les masques africains dont la fonction est de susciter une puissance surnaturelle. Ce que nous appelons danse, musique, sculpture, ne sont que les composantes d’un même acte qui tend à capter et à transmettre une force dans le collectif qui l’invoque et qui l’évoque. On réactualise et on ranime la puissance d’un ancêtre ou d’un dieu en revivant le mythe par le rite. Cette force recréée dépasse celle de chacun des membres de la Communauté. On atteint le surnaturel, au-delà de la simple addition des forces individuelles. C’est le moment d’une action collective, mimique préparatoire où s’affirme, par une participation totale, la cohésion interne, religieuse, d’un groupe d’individus. Le groupe dépasse ses possibilités, aussi bien en matière de chasse, que de guerre, que d’agriculture ou de toute autre forme de création. Aimé Césaire dit, en grand poète : « Ici, la vie captée et redistribuée selon la règle du chant et la justice de la danse ». En sculptant le bois pour lui donner la forme d’un masque, le sculpteur ne cherche pas à imiter une apparence sensible mais à donner une forme visible à une présence invisible, surnaturelle - afin de s’en approprier le pouvoir. Quel pouvoir ? Cela va de la vitesse de l’antilope -que recherchent certains « Ti wara » du Mali- à la puissance terrifiante de l’ancêtre -comme dans certains masques Guéré-Wobés de Côte d’Ivoire. Les masques font abstraction de toute ressemblance physique, ils visent uniquement à évoquer la tension et la puissance de l’ancêtre au moyen d’un agencement rythmique des volumes. L’apparence importe peu. Ce qui compte, c’est de créer une réalité qui suscite une puissance. La grandeur de la statuaire africaine repose sur ce principe. La danse rituelle mime et résume par son rythme la marche du monde. En donnant un support visible à l’esprit des morts, la sculpture en rassemble les forces. La signification de telles œuvres commande leur structure. Elle commence par se séparer du monde quotidien en refusant de l’imiter. Elle imagine une réalité nouvelle, comparable à celle d’une forme technique, ne cherchant pas à imiter une réalité existante.
L’objet est en bois. A le manipuler chacun le sait. Il est préférablement fait d’aubier pour être léger, facile à porter. Il peut être un heaume à simple face (Mende) ou « bifrons », un masque facial régulier de vingt cinq à trente centimètres de long ou une miniature de trois centimètres, chacun ayant naturellement son sens et sa fonction. (Dan. Guéré-Wobé). Il est généralement noir ou brun sombre (tatoué ou non de symboles en blanc ou en couleur) ; il peut être aussi violemment colorié (Ekoï). Il peut s’arrêter au front ou se créer de quelque monumentale projection, (Bobo/Dogon). Il est d’expression terrifiante ou suave. La fonction dicte l’expression. Tous ces masques ont été faits par des artistes baignant dans la tradition A chaque fonction correspond un certain type de masque tel que voulu par la tradition du clan. La fonction peut être là même ici et là, un « juge » Baoulé ne ressemble pas forcément à un juge Bambara ; le Dan marque la clairvoyance, comme son voisin Guéré-Wobé, en solidifiant le regard dans la projection de deux cylindres, le voisin Mano, pour marquer le même attribut, évide les yeux en deux larges cercles bordés peut-être de blanc. Sans autrement connaître les fonctions, comment sait-on qu’un masque est Ibo, Gola ou Mossi ? Interviennent ici les marques façons d’écoles passées de maîtres à apprentis des nouvelles générations.
La sculpture du bois est née de la forge, les deux formes étant liées de tradition immémoriale. Les sculpteurs non forgerons des récentes générations, depuis que la forge a été dépassée par les articles d’importation, n’en sont pas moins les héritiers d’une discipline double, dont chaque aspect avait sa signification et son autorité particulières. Le forgeron, redouté parce que maître du feu, et membre d’une caste parce que artisan,était dépositaire destraditions .Son ambivalence entre la caste et la qualité se compliquait encore du fait de son utilité. II était, en effet, inséparable du bien-être commun, étant le fabricant des instruments aratoires, de certains ustensiles ménagers, de certaines armes, des couteaux, des pinces et autres accessoires de l’initiation. Son atelier était séparé du village autant par la distance que par la peur. Les enfants n’en approchaient pas, les femmes négociaient de l’extérieur leurs besoins domestiques, les hommes n’y entraient qu’en passant. D’entrée dans la vie, les descendants de cet homme important et redoutable assumaient leur mise à part, leurs mères étant aussi bien des potières ou autres artisanes .
Le sculpteur se sait inspiré et la communauté l’accepte comme tel par besoin d’un créateur « assiste » de simulacres divins. Favorisé par la position toujours en retrait de son hangar de travail, il y assume sa singularité par son comportement, tantôt rêveur et distant, tantôt fébrile. Sa personnalité s’est trouvée affectée du fait de jouer un rôle de direction (sans être vraiment un pilote) et de voyant (sans entre vraiment prêtre ou sorcier). Détaché de la production agricole, s’abreuvant à des sources esthétiques ou spirituelles, il a son genre, ses manières, créant dans le cadre de la subsistance la notion étrange des « stéréotypes » de l’artiste. Personne n’approche de l’atelier sans avoir été annoncé ; personne ne s’adresse au maître tant qu’il travaille, (mais parfois il se laisse entourer d’un cercle admiratif pendant que sous l’hilaire volent les copeaux), et si la loi du silence est absolue quant aux apprentis, soudainle maître, peut à l’occasion, laisser tomber ses outils et de se mettre à discourir sur le passé, sur les vieux maîtres et l’ancienne gloire !!
Masque noir, masque rouge, vous masques blanc-et-noir. Ancêtre à la tête de lion.
Vous gardez le lieu forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane
Vous distillez cet air d’éternité où je respire l’air de mes pères
Masques aux visages sans masque, dépouillés de toute fossette comme de toute ride. Qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché sur l’autel de papier blanc. A votre image, écoutez-moi Voici que meurt l’Afrique des empires - c’est l’agonie d’une princesse pitoyable Et aussi l’Europe à qui nous sommes liés par le nombril.
Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l’on commande.
Qui donnent leur vie comme le pauvre son dernier vêtement. Que nous répondions présents à la renaissance du Monde Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons ? Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l’aurore
? Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l’homme aux espoirs éventrés. Ils nous disent les hommes du coton du café de l’huile. Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur
LE MASQUE DANS LA SCULPTURE AFRICAINE
Aucune société humaine n’a ignoré le masque et celui-ci surgit dès le moment où l’homme accède à l’état de culture. De la Grèce antique à l’Amérique ancienne en passant par l’Asie et l’Océanie, les masques ont symbolisé les dieux, incarné la beauté et l’effroi, exprimé l’immanence et l’illusion mais aussi le calme, l’ordre et la sérénité. Gorgones dont parle Hésiode , masques d’initiation du Péloponèse, masques bugaku et nô du Japon, des masques barong de Java, masques des Eskirno et des Indiens d’Amérique du Nord, masques des Papou Orokolo de la Nouvelle-Guinée. En Afrique Noire, continent célèbre depuis le début de ce siècle pour la richesse de son art, la sculpture des masques est une dominante majeure de l’art plastique. Le masque peut ici être considéré comme un phénomène artistique caractérisé par son ubiquité et la diversité de ses formes et styles.
On rencontre le masque dans les savanes des pays Soudanais et des pays Bantou comme on le rencontre dans les forêts du Golfe de Guinée et de la cuvette Congolaise.Or, ces régions recouvrent plusieurs types de civilisations : Les civilisations des clairières avec les Dan, le Vê et les Akan ; Les civilisations des greniers avec les Dogon, les Sénoufo ; Les civilisations des cités avec les Mandingues et les Yoruba. Il s’agit là aussi de sociétés qui peuvent être patrilinéaires ou matrilinéaires, organisées en Etat ou organisées sur la simple base du village. Ce qui frappe dans cette présence du masque, c’est son indifférence aux variations d’ordre géographique ou culturel, d’ordre social ou politique. Il y a des régions privilégiées dans cette distribution géographique et socio-culturelle des masques en Afrique. - Le Soudan Occidental, et les peuples de la boucle du Niger (Bambara, Dogon, Mossi,bobo) ; Les régions côtières depuis la Casamance jusqu’à l’embouchure du Congo, en particulier les peuples du massif guinéo-libérien, de la Côte-d’Ivoire, du Nigéria,comme du Camerounou du Gabon ; Les contrées au Sud et au Sud-Est du Congo (le Congo, le Zaïre, l’Angola) ; - Enfin, il semble que les sociétés politiques organisées en Etats fortement centralisées soient moins riches en masques que celles organisées en chefferies et communautés villageoises.
Les hauts plateaux situés entre le lac Nyassa et l’Océan Indien. Une moindre importance des masques est attestée dans le Soudan Central, l’Oubangui Chari (l’actuelle République Centrafricaine) et le Nord du Congo.
Les masques sont taillés dans les matériaux les plus divers, mais avec une prépondérance manifeste du bois. Il y a une profusion des formes, mais trois tendances principales se dégagent de celles-ci.
Les masques à forme animale ou masques zoomorphes :
Ils sont la figuration des caractères dominants des animaux représentés, tels sont les masques Boli des Bambara qui figurent des lions, des hyènes et des antilopes. Notons ici l’importance des Tyi-Wara, masques antilopes qui conduisent les danses pendant les grands évènements. De même, la danse masquée djê des Gouro et des Baoulé, est un véritable déploiement de masques zoomorphes où apparaissent têtes de chien, cabri, gazelle, buffle et éléphant etc...
Les masques à figure humaine ou masque anthropomorphes :
Ils représentent des hommes ou des femmes. Chez les Dogon, les masques humains incarnent les anciens, les prêtres, les chasseurs et les sorciers. Il existe aussi chez les Mossi des masques à figure féminine à côté des masques à figure masculine. Enfin, de nombreux masques anthropomorphes existent chez d’autres peuples notamment chez les Dan et Gouro, où leurs traits sont finement ciselés. Qui ne se souvient de la célèbre Dje-La Lou-Zaouli, une des plus belles attractions des danses ivoiriennes !
Les masques anthropozoomorphes :
Ici s’associent traits animaux et traits humains, mais avec la prépondérance du visage humain. Le visage de l’homme est alors affecté d’une ornementation le plus souvent périphérique, composée d’éléments empruntés aux animaux (cornes, plumes, dents) et visant à souligner les caractéristiques fonctionnelles du masque. Ainsi en est-il des masques Zamblé chez les Gouro. Quant aux masques Wê (c’est-à-dire Guéré et Wobé) où cette ornementation est composée avec beaucoup de recherche, ils atteignent en ce domaine un haut degré d’expression symbolique.
ORIENTATIONS STYLISTIQUES
A travers les formes qu’ils donnent à la matière, les sculpteurs de masque s’efforcent de rendre visible l’invisible et d’exprimer desidées. L’union des éléments naturels et des éléments abstraits, des éléments expressionnistes et des éléments surréalistes, s’achève dans le surgissement d’une entité tout à fait nouvelle : le masque. Celui-ci avec une tête puissante, un oeil étincelant, des cornes de buffle, de bélier ou d’antilope, avec parfois une gueule de crocodile, doit dégager une impression de force et de puissance. L’équilibre statique, la symétrie et la frontalité doivent évoquer la grandeur supraterrestre dont le masque est le siège. Deux styles apparaissent très nettement à travers le fatras des formes : « un style cubiste », où dominent les formes géométriques, caractérise les masques des Dogon, Bambara, Bobo et Wê (Guéré en particulier) ; « un style naturaliste », où domine au contraire la représentation du réel visible, se retrouve dans les masques des Gouro, Baoulé et peuples de la civilisation du Bénin. Mais entre ces deux orientations existent des styles intermédiaires que l’on rencontre chez les sculpteurs de masques Dan et Sénoufo.
FONCTIONS DU MASQUE
En apparence, et pour le profane, le masque est un phénomène artistique et technique qui peut signifier, à travers l’ubiquité de cette sculpture en Afrique Noire, une unité d’expression artistique, un stade d’avancement technologique, une modalité de l’expression culturelle. William Fagg écrit à ce propos : « c’est par l’art qui lui est propre que nous pouvons acquérir la vue la plus pénétrante de la culture d’un peuple, et en particulier des peuples africains». (Musée des Arts décoratifs, 1964). C’est dire que les sculptures ont un rôle de témoins, sont révélatrices de la civilisation d’un peuple. Si en Occident, l’idée de sculpture est d’abord technique, dans la mesure où sculpter c’est « tailler avec le ciseau une figure, une image, dans la pierre, le bois, le marbre » (Littré), en Afrique la sculpture renvoie au sculpteur, c’est-à-dire à la société qui porte l’oeuvre et l’artiste. C’est pourquoi Ola Balogun a pu écrire : « l’un des principaux traits communs à l’ensemble de l’Afrique Noire, dans le domaine de la sculpture, est que les masques sculptés ne sont pas conçus pour être contemplés comme oeuvres d’art, mais pour être utilisés à l’occasion de cérémonies rituelles sociales ou religieuses ». (Introduction à la culture africaine, UNESCO, 10/18, p. 57). En matière d’art africain, la question-clé est toujours la question des fonctions. Il faut donc aller au delà des apparences pour comprendre la sculpture des masques à travers les fonctions qui lui sont assignées.
LES DOMAINES D’INTERVENTION :
Le masque n’est pas en réalité cette figure sculptée que l’on a coutume de voir, il est un personnage, un être qui représente à la fois une divinité et une force de la société humaine. Au moment où il le porte, son porteur est investi des attributs reconnus à cette force divine et sociale. Il en résulte une variété des domaines d’intervention du masque qui atteste de la variété de ses fonctions. on peut distinguer quatre domaines :
·Le masque intervient dans les cérémonies d’initiation, dans les rites liés à la naissance et dans les cérémonies funéraires ; il peut aussi diriger des rites d’adoration. Dans ce domaine strictement religieux, les masques servent de protection contre les esprits maléfiques mais jouent un rôle d’intermédiaires entre les dieux et les hommes.
·Le masque règle en dernier recours les litiges, les problèmes de la paix et de la guerre, ses décisions sont alors irrévocables ; au plan strictement politique les masques donnent des directives aux responsables politiques pour la gestion de la communauté ; enfin ils assurent la sécurité des villageois en organisant la police des villages ; ce sont encore les masques qui se chargent de l’information en cas de besoin.
·Le masque joue un rôle dans la vie économique parce qu’il doit veiller au bon déroulement des semailles et de la moisson, intervenir pour apaiser le courroux des dieux lors des calamités naturelles qui bouleversent les données de la vie agricole et menacent la survie de la communauté.
·Les réjouissances, les fêtes et les jeux voient encore les masques apporter leur concours aux hommes par la danse, le chant, les courses masquées. Ces domaines d’intervention correspondent donc aux fonctions sociales importantes jouées par les masques. Mais chaque fonction nécessite un type de masque approprié et la hiérarchie des fonctions appelle la hiérarchie des masques.
Note de lecture : Anne doguet : « se montrer dogon les mises en scène de l'identité ethnique »
Depuis plusieurs décennies, le mythe anthropologique dogon se fissure et une réflexion épistémologique visant à déconstruire les recherches menées dans la région s’est imposée. Néanmoins, l’image « grand public » de cette société ne semble pas affectée du même discrédit. Dans la presse, écrite comme audiovisuelle, les Dogon jouissent toujours de leur notoriété en tant que société traditionnelle, immuable et harmonieuse. Relevant à l’évidence de l’utopie, ces qualités construites dans l’imaginaire folklorique semblent fonder une sorte de spécificité ethnique et culturelle. Ces représentations perdurent dans la littérature vulgarisatrice, qui au fil du temps reproduit le même discours enchanteur. Alors la question se pose de leur maintien in situ, les visiteurs se pressant en pays dogon poury recueillir les derniers vestiges d’une Afrique authentique menacée de disparition.
Les regards extérieurs ont pour effet de déterminer chez toute population observée une présentation de soi et donc une mise en scène. Le succès durable de la société dogon suppose donc le succès de cette mise en scéne: les « Dogons doivent se montrer dogons » et les interlocuteurs locaux ont intérêtà préserver une identité ethnique spécifique aux yeux des touristes, des ethnologues ainsi que de nombreuses agences de coopération internationale.
En pays dogon, la mise en valeur de spécificités culturelles a suscité un foisonnement exceptionnel d’écrits ethnologiques qui ont fait de ce peuple l’archétype des sociétés traditionnelles africaines. Métamorphosés sous la plume d’anthropologues français en savants détenteurs d’une riche et profonde cosmogonie, les Dogon bénéficient d’une image exceptionnelle auprès du public occidental. Parallèlement, les intermédiaires dogons de cette construction se sont montrés complaisants ou même directifs dans le processus d’ethnologisation de leur culture. Comme le montre l’article précédent, leurs réticences apparentes s’avérent souvent un moyen de susciter l’intérêt des chercheurs pour le caractère prétendu ésotérique de leur savoir
L’anthropologie a depuis établi son autocritique mais la promotion touristique s’est elle rapidement emparée de cette construction pour faire des Dogon un des vestiges des premiers temps de l’humanité. Devenus une destination privilégiée des visiteurs du Mali, voire de l’Afrique de l’Ouest, certains villages dogons tirent de cette activité des revenus monétaires importants, bien que très inégalement répartis. Les sculptures dogons, par exemple, en tant qu’objets-référence de pureté et d’authenticité artistique, sont devenues une valeur sûre sur le marché des arts « primitifs .
L’analyse d’Anne Doguet développe les élèments principaux de la théatralisation identaire :
« Mentionnons brièvement le caractère pittoresque de la position géographique. L’immense paroi abrupte que constituent les falaises de Bandiagara, coupée de failles et couverte d’éboulis à la base, abrite de nombreux petits villages mêlant petites maisons de terre, greniers aux toits coniques et sanctuaires aux formes insolites, qui semblent s’intégrer naturellement dans le décor environnant. Le charme naturel et architectural des sites a sans aucun doute contribué à la perception, auprès des visiteurs étrangers, d’une aura d’harmonie flottant dans la région. Ce sentiment a pu être accentué par le déploiement de certaines conduites sociales. En effet, l’organisation de la société dogon accorde un privilège dans la vie publique aux attitudes conciliantes et respectueuses de l’usage au détriment des pulsions personnelles. Dans de multiples circonstances, les individus doivent ainsi s’identifier à l’image requise par la situation en maîtrisant les attitudes de leur personnage social. Cette théâtralisation de la vie publique crée l’image d’une conformité exemplaire à la règle, même si le dissentiment trouve son lieu d’expression dans d’autres moments. Contester ou contrecarrer les normes officielles est bien entendu possible, mais ces règles sont compensées dans un ordre social sous-jacent à la structure de surface et beaucoup moins visible que l’ordre théorique qui prévaut dans les aspects immédiatement mis en scène de la culture. Ce qui frappe au premier abord l’œil de l’étranger, c’est le consensus social. L’individu adopte publiquement une position de soumission au réseau de relations rigides dans lequel il est enserré »
si des antagonismes émaillent la vie sociale, un œil non averti ne retiendra donc que les aspects paisibles des relations et s’émerveillera devant les bénédictions et les salutations interminables entendues de toutes parts. Par contre les illusions d’un certain nombre de chercheurs sont moins compréhensibles sauf à pointerdes positions de savoir et de pouvoir : « qui serait le maître des mots ? », sinon l’herméneute ou le décrypteur des mythes. L’école griaulienne a ainsi fait du mythe et du symbole ses principaux centres d’intérêt et au point d’en inhiber l’étude de la vie. « Les ethnologues s’en seraient alors tenus à l’ordre superficiel de la société, composée d’actes et de propos conformes à un modèle répétitif et harmonieux, sans examiner les réalités souterraines de l’ordre social qui ne les préoccupaient pas »
Les actes quotidiens des villageois ne viennent en rien contredire les cosmogonies recueillies, censées être réservées à un tout petit nombre d’initiés. Comme on l’a vu dans l’article précédent,« Il est ainsi aisément imaginable que la présence des ethnologues n’ait produit qu’un spectacle identitaire réduit, puisque joué seulement par quelques informateurs privilégiés. Néanmoins, le regard des ethnologues s’est rapidement conjugué avec celui d’autres visiteurs, beaucoup plus avides d’images significatives. »
Selon Anne Doguet, Le phénomène touristique a débuté en pays dogon après la Deuxième Guerre mondiale pour connaître un grand essor au lendemain de l’indépendance malienne (1960)., « aujourd’hui, les touristes cherchent la preuve de la pérennité des traditions et viennent inconsciemment reconnaître les lieux que les illustrations des reportages sur la culture dogon leur ont donnés à voir. »
En pays dogon, l’objet de la quête touristique réside dans la vision de la culture et les chasseurs d’images sont pilotés par un petit nombre d’habitants qui consacrent toute leur énergie à les satisfaire. Mis à part les personnes directement impliquées dans les activités touristiques, et avant tout les guides, les villageois dogon entrent rarement en contact avec les visiteurs et vaquent à leurs occupations quotidiennes sans paraître leur prêter aucune attention. Rares sont de toutes façons les touristes qui se déplacent sans guide et les visiteurs rétifs sont généralement convaincus par un argument imparable : les villages sont parsemés de lieux sacrés et interdits dont la pénétration constitue une profanation offusquante tant pour les villageois que pour les ancêtres.les étrangers s’aventurent peu en dehors des chemins indiqués et empruntent en fin de compte des parcours très balisés
L’exemple privilégié qu’analyse l’auteur est celui du masque:
L’image spirituelle des Dogon possesseurs de cosmogonies exceptionnelles s’est progressivement concrétisée dans l’image matérielle des Dogon acteurs d’une tradition immuable, celle des danses masquées. Amateurs d’exotisme de tous bords ont ainsi projeté dans l’objet la représentation utopique de la société dogon coupée de l’évolution du monde. En même temps, lorsque le masque fit l’objet d’un regain d’intérêt anthropologique, ce n’est plus qu’à la lumière des savantes cosmogonies qu’il fut réinterprété. Éclatantes de mouvements et de couleurs, les danses attirèrent l’œil des touristes et devinrent le symbole de la tradition immuable des Dogon.
Pour Anne doguet , les danses masquées, au contraire de la stabilité apparente de surface de l’ordre social, constituent en fait des moments subversifs.
Les masques renversent en effet les hiérarchies, au niveau des générations comme des lignages. Ils autorisent simultanément certains comportements prohibés dans la vie quotidienne. Les danses constituent par exemple un lieu d’expression de la compétitivité ou de la sorcellerie. Enfin, s’inscrivant dans un processus d’évolution permanente où émergent des figures inédites et disparaissent des éléments désuets, le masque figure un contre-modèle de la répétition et de l’harmonie et constitue un des ressorts de l’élan culturel, en même temps qu’un terrain d’aménagement critique des normes.
Or constate l’auteur, la composition et les réactions du public peuvent en effet être déterminantes pour l’allure des danses. Or à Sangha, les évolutions formelles et thématiques des objets ont montré ces dernières années une progressive correspondance entre masques attendus et masques regardés. La possibilité de créer un masque au thème ou à la forme inédits est ainsi écartée et seuls les objets classiques figurent dans le corps du ballet. C’est dire que les mises en scène folkloriques et rituelles du masque se sont peu à peu imprégnées de la conception touristique de l’objet-symbole. En ce sens, on peut supposer qu’en s’exposant aux regards extérieurs, les jeunes villageois auraient peu à peu assimilé la vision folklorique de la tradition, qui parfois transparaît également dans leur discours.Les jeunes danseurs, dont l’intention est de satisfaire le public étranger, reconstituent un rituel propre à l’imaginaire colonial : aucune trace d’évolution ne transparaît dans ce folklore qui ne conserve que les moments les plus spectaculaires de la représentation En survalorisant les récits locaux légitimant la force des coutumes, les ethnologues, relayés par les touristes, ont pu leur donner corps.
Conceptions endogènes et exogènes du masque se sont ainsi stabilisées dans une fixité artistique, qui pourrait traduire une cristallisation identitaire.
A Sangha, alors que les danses de l’áva ont toujours donné forme à des éléments apparus au fil de l’évolution de la culture, il paraît aujourd’hui inenvisageable de sculpter un masque qui n’aurait jamais figuré dans le corps du ballet. Ceux qui sont nés le plus récemment (dont les masques du touriste et de l’ethnologue !) disparaissent au profit des modèles « classiques » figurant dans tous les ouvrages. Les éléments qui témoignaient de l’extrême dynamisme de l’áva sont précisément ceux que les jeunes danseurs refusent aujourd’hui. L’art des masques traduit ainsi dans une certaine mesure une conception unifiante de la tradition, conception qui découle de l’orientation spécifique des travaux ethnologiques sur leur société
Dieu d’eau, est sans contexte le texte le plus connu et en quelque sorte l’archétype du livre ethnologique fondateur de la notoriété de Dogon, de l’agglomération de villages de Sangha, devenus les Dogon de Griaule et au fil des années dans la vulgarisation folklorique, les Dogon tout court
Il développe une métaphysique qui dépasseles frontières du « monde noir» et qui pourrait ainsinous expliquer des conceptions qui sont aux sources de notre histoire et de notre culture. « une cosmogonie, une métaphysique, une religion, qui les met à la hauteur des peuples antiques et que la christologie elle-même étudierait avec profit »
Les traces du Zodiaque méditerranéen retrouvées chez les Dogon sont, pour Griaule, la preuve de cette métaphysique fondamentale qui a traversé les millénaires et qui, dans le pays dogon, a mystérieusement trouvé un lieu privilégié de conservation. C’est pour cela que Griaule dit s’opposer aux influences islamiques qui menacent d’appauvrir le fond mythique œcuménique qu’il a mis au jour. Il estime en effet, que la connaissance profonde des Dogon rend possible la découverte de systèmes de pensée qui remontent à des temps dont les modernes ont perdu le souvenir.
Avec Ogotemmêli affirme Griaule — la civilisation dogon apparaissait comme un corps immense dont chaque organe avait sa fonction propre et locale comme aussi celle de contribuer au développement général de la société. Et dans ce corps entraient toutes les institutions. Aucune ne restait en marge et les unes après les autres, les plus aberrantes en apparence, les moins expliquées prenaient place dans un système dont la charpente se montrait chaque jour avec plus de netteté
Mythe et pouvoir :
Gaetano garciaa soulignéque la réalité des conversations (négociation » entre l’auteur etson guide n’est sans doute pas une simple décision personnelle de celui-ci mais aussi l’option collective d’un groupe de dignitaires informés des arcanes de la culture dogon. Et que cette « négociation » a eu un « effet » sur forme et contenu transmis : l’enquête ethnographique semble avoir contribué à une sorte de conversion ésotérique, puisque le savoir spécialisé acquiert, dans cette situation, une dignité intellectuelle et une valeur sociale que très probablement il ne possédait pas, du moins en ces termes, avant le questionnement des ethnologues. Un « déballage » de l’information sur certaines institutions culturelles, loin de réduire les connaissances à une vulgate commune, produit d’importantes distinctions en fonction de la capacité des individus ou des groupes à administrer la possession d’informations et à répondre à la demande. Cette hiérarchie secrète traduit une forme depouvoir et donc, indissolublement, de mystère, ce qui semble avoir produit, dans le cas des Dogon de Sangha, un halo d’ésotérisme.
Logique du pouvoir, le secret l’est en ce qu’il saisit du passé certains évènements qui se rapportent précisément à l'origine du groupe et qui, en tant que tels, constituent les fondements historiques locaux de son identité politique actuelle. A cet égard, la grande réticence de la société à constituer les événements fondateurs en phénomènes historiques montre que, si une partie de l'Histoire dogon est effectivement connaissable par l'anthropologue, le savoir historien n'y trouve pas sa place : un traditionalismefonde son autorité sur des connaissances secrètes procédant d'une alliance exclusive avec des puissances surréelles qui gouvernent le monde phénoménal Dans ce contexte traditionaliste, il n'est pas possible au récepteur de la tradition de poser un regard critique sur ce qui est transmis. Selon jacky bouju: Ce qui permet aux contemporains de s'affronter par passés interposés, non seulement en choisissant leur ancêtres mais surtout, en choisissant parmi les événements accomplis, ou subis, par les ancêtres ceux dont il importe de garder la mémoire afin de légitimer les positions de domination historiquement acquises.
L’auteur a montré que les pouvoirs locaux dogons se perpétuent ainsi à partir de multiples chaînes de dépendance clientéliste, qui s'emboîtent en unissant, de proche en proche, des débiteurs à des créditeurs , des protecteurs (les premiers occupants fondateurs) à des clients (les derniers arrivés) ou des patrons (les familles conquérantes successives ou aujourd’hui les guides touristiques)à des obligés (les autochtones dominés). Du point de vue politique contemporain la conséquence importante est qu'au niveau local toutes les hiérarchies historiques tendent à se conserver au fil du temps.
« L’important, c’est qui est le maitre des mots !!». levis caroll
La difficulté pour le chercheur tient au fait que l'histoire locale est au service d'une mémoire collective sélectivement construite et réaménagée autour d'événements ancestraux dont les conséquences sont au coeur des enjeux politiques locaux contemporains
Dans notre cas,l ’intérêt de l’ethnologue pour la sphère symbolique ne suscite pas son équivalent pour la sphère « civile » : Griaule ne souhaite pas « entrer dans les chevauchements territoriaux, dans les querelles sans issues, dans les affaires de priorités personnelles, familiales ou tribales, dans les décomptes infinis des ascendances, des droits et prétentions […] L’initiation de Marcel Griaule par le vieillard aveugle lui permet en fait de réaliser un idéal ethnographique, celui d’apparaître comme le seul véritable initié à “ l’ontologie dogon ” qu’il s’attacha par la suite à construire comme le symbole de “ la culture africaine ” et comme signe de son pouvoir d’en décrypter les mythes.
Préstructuraliste, avec Ogotemmêli l’ethnologie atteindrait ce « haut lieu » où se dévoile la transversalité des liens symboliques qui unissent « les institutions les unes aux autres, rite par rite, loi par loi »
S’exprime doncla volonté de construire une altérité culturelle, exotique, en postulant l’homogénéité, la cohérence et la permanence, la “ pureté ” de la culture dogon. Pour en arriver là, il a fallu inventer une “ sagesse secrète ”, présentée comme originale, authentique et complexe, mais qui, chose étrange, n’était pas susceptible d’être expliquée par l’histoire ou l’anthropologie. La rencontre avec a accompli le « miracle » de révéler le point suprême où confluent « les très secrets mobiles des hommes, les enchaînements du réseau, les pourquoi et les comment, les fins mécanismes de la pensée dogon »
Ne sommes nous pas devant une interprétation théâtrale (et elle même mythique) doublement intéresséede la réalité, présentée comme initiation ? L’ethnologue s’élève ainsi au rang d’initié (Dans le livre, l’auteur insiste sur la relation logique entre son acharnement dans la recherche et la confiance qu’Ogotemmêli lui aurait octroyée sept ans après son dernier séjour en 1939,) et l’interlocuteur indigène est dorénavant présenté moins comme un guide-interprète que comme un dignitaire, le docteur d’un savoir.
D’une part l’étude de Gaetano Garcia montre unGriaule, avide de savoir( très sincèrement humaniste) mais qui reste pris dans le modèle narratif du roman exotique.(« la subsistance d’une grande civilisation disparue ou menacée et l’évocation d’un héros énigmatique par le truchement duquel on accède à une connaissance ésotérique sont les éléments ou les ingrédients primordiaux dans la fabrication romanesque du mystère » La littérature exotique poursuit l’œuvre œuvre d’enchantement du monde à travers une poétique du voyage et de son récit, exprimée par une formule que Jean-Claude Berchet a synthétisée ainsi « […] moi aussi je suis allé en Arcadie ; j’en rapporte même un récit : « Cette insertion du réel [le voyage] dans le champ imaginaire, réactive le mythe, parce qu’il lui donne un nouvel enjeu »
D’autre part , Ogotemmêli : le « maître » complaisant (et peut être manipulateur) à travers une théâtralité voulue (précautions, réticences, silences) joue parfaitement son rôle de gardien face à l’ethnologue complice et qui écrit : « le Blanc et son assistant noir, le sergent Koguem, étaient penchés vers le vieillard comme pour d’effroyables complots » .
C’est le plus ancien article du code, prétendit le roi.
Dans ce cas, cela ne pourrait être que l’article premier, riposta Alice.
Le roi pâlit et s’empressa de refermer son carnet .levis caroll
Les cultures ne sont pas indépendantes des rapports sociaux qui sont presque toujours des rapports inégalitaires. Les différents groupes qui constituent la société se trouvent plus ou moins en position de force ou de faiblesse les unes par rapport aux autres : elles n’ont pas le même degré de reconnaissance sociale .
Pour cette raison, la culture, qu’elle soit « traditionnelle » ou non, constitue toujours une ressource stratégique ou un enjeu pour les acteurs sociaux engagés dans les luttes sociales et politiques.
Petit à petit, la recherche anthropologique a montré que toutes les cultures du monde étaient des constructions sociales et historiques en constant ajustement ; que les traditions n’en étaient pas vraiment ; que les différences culturelles s’effondraient ici pour se reconstruirent ailleurs et autrement ; enfin et surtout, elle a montré l’ancienneté et l’universalité des mélanges entre les populations. la conception unitaire et substantive des cultures exotiques s’est heurtée à la réalité tangible de sociétés qui, comme toutes les autres, sont des agrégats historiques, syncrétiques et contingents, travaillés par d’anciennes et durables coupures idéologiques, sociales et même économiques
En tous temps, les Dogon furent en situation d’interaction avec des cultures voisines et, de ce fait nécessairement confrontés, le plus souvent sur un mode dominant-dominé, aux traditions dont la culture des “Autres” était porteuse. Cette confrontation commence dès la période pré-coloniale, où les Dogon, dominés par les empires musulmans esclavagistes, ont dû faire le choix entre leur tradition et l’islam et construire leur ethnicité.
les visions du monde sont aussi des “ divisions du monde ” (Bourdieu,) qui tracent dans l’espace social des lignes de démarcation entre les pratiques valorisées positivement des uns et les pratiques dévalorisées qui sont, par définition, celles des “ Autres ”. Elles participent pleinement à la construction et à la garde des frontières symboliques de toute collectivité sociale particulière: les cultures servent à poser des limites entre les groupes
Pour affronter cette adversité, la culture dogon a inventé la notion de tradition et s’est réfugiée dans le traditionalismeLes Dogon conçoivent leur culture, comme un héritage, une tradition reçuele dit d’autrefois que l’on a trouvé (en naissant) ” Cet héritage a été transmis selon la coutume la “ voie dogon ”, dont on ne peut s’écarter car elle est entièrement constitutive de l’identité collective. Dans ce système de représentations, la culture, conçue comme un patrimoine transmis héréditairement de génération en génération, est au fondement de l’identité collective .
Le gardien issu de la tradition a pour tache de maintenir l’ordre symbolique en menant la lutte pour imposer les valeurs culturellement légitimes. Ces instances qui détiennent le pouvoir culturel de donner la définition “ politiquement correcte ” du monde cherchent toujours à le conserver. Mais, fort heureusement, le consensus n’est jamais unanime ni définitif : il n’est que majoritaire ! Les querelles de mots manifestent cette opposition entre des représentations divergentes ou contradictoires de la réalité et l’on observe généralement que l’une l’emporte plus ou moins largement sur les autres. Ceci montre bien à quel point les rapports de pouvoir réels sont indissociables de l’activité symbolique de légitimation qui consiste à décrire culturellement et à nommer la réalité. Pour cette raison, l’autorité traditionaliste ne permet pas que soit mise en question son interprétation des valeurs et des normes “ traditionnelles ” et elle interdit toute mise en question de la validité de la tradition. Mais ce faisant, elle empêche aussi que la société fasse l’expérience de la relativité de ses valeurs et de l’aspect conventionnel de sa tradition. Tout discours sur l’authenticité culturelle renvoie finalement à la question de la définition légitime de la réalité. Et cette question est de première importance pour toute société, toute classe, tout groupe ou tout acteur social, car son enjeu c’est le changement ou le maintien de l’ordre existant.
Un dignitaire dogon commence t’il à révéler un secret qu’un autre proteste :( selonjacki bouju)
voilà, c'est ainsi, il ne faut pas parler de ce qui a été dit, nous ne devons pas parler de ce qui a été dit, si en racontant nous avons eu l'audace de parler de lui, maintenant, il ne faut plus en parler ; et puis, il y a lui qui est ici et ce dont il a parlé, le jour du sacrifice au binou, à cause de tout ce qu'il a dit avec sa propre bouche ; lui, le jour du sacrifice au binou, qu'il soit pardonné; à cause de çà, il donnera du bétail, il donnera des poulets ; car lui ne doit parler de ces choses-là! [...]
L’explication du différend est vite donnée
Le secret de ba-binou : c'est nous les Karambé ; nous sommes la descendance de ba-binou [...] Si on veut bien voir, ba-binu c'est une personne et nous sommes ses enfants. Bonogo est avec Dombado son enfant ; la descendance de Bonogo, c'est nous, le clan qui est sorti du Mande
Sur le terrain, l'ethnologue est accueilli, observé, épié, manœuvré par la population qu'il étudie, et qui, en retour, le jauge. Il n'est pas le seul à déployer des stratégies dans la relation... et d'en jouer. L'accent porte ainsi sur la réciprocité de la mise en scène de Soi et de l'Autre tant par l'ethnologue que par ses partenaires sur le terrain. L'enquête ethnologique est un jeu qui se joue nécessairement à plusieurs. Ses règles et ses enjeux évoluent au gré de l'immersion et de la perception de l'altérité réciproque, toujours présente, même dans le cas d'une enquête " chez soi ". Tous sujets d'un même terrain, les acteurs - l'ethnologue comme ses partenaires - négocient des positions mouvantes autour du contexte et de l'imaginaire de l'enquête.
Dieu d’eau paraît en 1946 mais il fait suite à de nombreux travaux et recherches menés sur le terrain (les falaises de Bandiagara) à partir de 1931, année de départ de la mission Dakar-Djibouti. Mais, c’est au sein de la Société des Africanistes (1930) et autour de son Journal (1931) que s’organise sous l’impulsion de Marcel Griaule la nébuleuse africaniste : ethnologues, muséographes, administrateurs, missionnaires, voyageurs. Le début des années trente apparaît alors comme un moment clé de l’histoire de l’africanisme lors duquel se constitue une ethnologie originale dont les travaux sur les Dogons sont à l’origine d’une tradition d’anthropologie religieuse .
Scène primitive et événement mythique
En 1946, MARCEL GRIAULE s’établit en pays dogon pour une mission qui durera trois mois et demi. l'équipe, restreinte, comprend, outre Griaule, trois autres chercheurs, Solange de Ganay, Germaine Dieterlen et la jeune étudiante Geneviève Griaule, alors âgée de vingt-deux ans.
L'équipe s'installe à Ogol-du-Haut, la partie "haute" des villages des Ogol, plus communément appelés Sangha,.
Un jour, l'improbable se produit. L'on vient chercher Griaule sous un prétexte, la vente d'une amulette dont il ne sera plus jamais question. Devant sa porte, un vieillard aveugle l'attend.Ogotemmêli
Se place ainsi un moment «miraculeux» dans l’histoire de l’ethnologie et dans l’existence de Griaule et qui culmine avec la publication de Dieu d’eau en 1948, un an après la mort de celui (Ogotemmêli) qui a ouvert à Griaule le chemin qui conduit, par étapes, de la « parole de face » à la « parole claire », stade ultime de la connaissance profonde des choses.
. La connaissance ne se transmet qu'à ceux qui sont prêts à la recevoir, de la même manière qu'elle ne peut être transmise que par un initié, un sage, dépositaire de la tradition. " Griaule rappelle ainsi qu’à la suite de la blessure de chasse qui l’a rendu aveugle, Ogotemmêli a approfondi des connaissances dont il devait l’essentiel à son grand-père et à son père :
« […] après son accident, il avait appris davantage encore. Replié sur lui-même, sur ses autels et sur chaque parole entendue, il était devenu l’un des plus puissants esprits des Falaises[…]
Ogotemmêli apparemment sait qui est Griaule ; on lui a rapporté ses recherches, de même que son assiduité à comprendre le religieux. S'il le fait venir ce jour-là, avec l'accord du conseil des anciens de Sanga, c'est parce qu'il estime qu'il en sait suffisamment pour accéder au niveau supérieur de la connaissance. Le vieil initié commence par choisir avec soin le lieu de ce premier entretien, à l'abri des oreilles indiscrètes, puis il attend, dans cette position familière, assis, le visage penché, les mains croisées au-dessus de la tête. car le vieux Chasseur avait la réputation d’être devenu « l’un des plus puissants esprits des falaises » Celui-ci s’était donc fait une opinion positive des recherches menées sur le terrain et voulait instruire les Blancs de son savoir transmis par son grand-père, puis par son père. Les entretiens auront alors lieu dans la maison d’Ogotemmêli, dans le plus grand secret car une des difficultés de l’enquête sera de faire attention à tous, des enfants au Hogon, de « l’inconcevable curiosité » des femmes à la « sottise » des hommes (). Il fut alors laborieux de trouver l’endroit adéquat qui permettrait de s’isoler et plus encore, d’être systématiquement attentifs au moindre bruit suspect qui trahirait une présence. Ainsi, dans presque chacun des chapitres, on parle « d’autres oreilles », parfois immatérielles, il faut alors chuchoter afin que la voix soit presque imperceptible, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer le Lébé car son prêtre, le Hogon habite la maison qui se situe derrière celle du vieux Chasseur la discrétion pour évoquer la cosmogonie est liée au rôle fondamental que joue la parole chez les Dogon) . Une autre difficulté apparaît immédiatement à Ogotemmêli, il se demande comment instruire un Blanc, cette question restera en suspens mais le sergent Koguem se chargera des traductions lors de ces entretiens libres -chaque jour, l’Aveugle décide du thème de la journée en suivant un ordre précis- mais presque semi-directifs puisque Griaule relance son interlocuteur et lui pose des questions précises : il consigne chaque soir le compte-rendu des informations recueillies dans la journée.
Ce que Griaule pense découvrir alors, jour après jour, entretien après entretien, c'est une vertigineuse cohérence de l'organisation chez les Dogon, vertigineuse parce qu'elle est parfaite, parce que tout s'explique, tout est lié, tout est symbole.Le moindre aspect de la vie renvoie à l'ensemble, à la conception de l'univers, ramène immanquablement au divin, comme l'architecture d'une maison ou celle d'un grenier à grain qui évoquent toutes deux le système du monde, les peintures sur les sanctuaires, le rôle du chef religieux, le Hogon, celui, également symbolique, du forgeron, la redistribution de la force vitale dans le rite du sacrifice, la cérémonie qui a lieu avant la récolte du mil, les jeux des enfants, les danses, la société des masques, les correspondances établies entre les êtres, les objets, les animaux, et leur classement en catégories qui constituent une explication de l'univers1. Seuls quelques initiés savent la vraie signification de certains gestes du quotidien, de certaines paroles, des cérémonies, mais le peuple dogon dans son entier vit avec un sens aigu du symbole et du sacré, dans le respect de cette organisation mise en place par les huit Ancêtres. "En travaillant avec Ogotemmêli, mon père a découvert des étymologies passionnantes du point de vue de la symbolique, et il me demandait alors d'étudier de près certains termes", se souvient Geneviève Calame-Griaule, qui cite en exemple le mot soy (tissu) interprété comme soi (c'est la parole), que Griaule avait noté pendant un entretien sur la révélation de la parole par le tissage.
A son retour de mission, Griaule s'empresse de répandre la bonne nouvelle. Il a l'idée d'un livre littéraire, Dieu d'eau, sans l'appareil scientifique habituel, qui donnera à voir, au plus grand nombre, la mythologie dogon, mais le projet, trop immense, ne peut apaiser pour l'heure son enthousiasme . Il commence donc par rédiger dans l'urgence deux articlessur ce récit mythique, sans allusion au contexte, ni même à Ogotemmêli. En évoquant l'union du Dieu Amma, le Ciel, et de la Mère primordiale, la Terre, la naissance du fils incestueux et perturbateur de la création, Yourougou, puis du rédempteur sacrifié, le couple Nommo, Griaule montre qu'il s'agit là d'une cosmogonie véritable, une mythologie tout aussi intéressante, complexe et respectable que les autres, celles, dit-il souvent, "de la Grèce et de la Rome antiques, de l'Egypte, de la Chine ou de l'Inde". Dès lors, Griaule est animé tout entier par la volonté de faire connaître la grandeur de ces civilisations dites "primitives", considérées avec mépris par des Occidentaux imbus d'eux-mêmes, figés dans leurs préjugés et leur ignorance. Il s'indigne : "L'habitude est très généralement répandue en France d'aborder les problèmes de la mentalité des populations «non civilisées» avec assurance. Les non-civilisés - terme poli -, les sauvages - terme courant - sont de grands enfants, des simples, des arriérés, des anthropophages2" ; il multiplie les déclarations : "C'est donc une sorte de grande religion, de grande pensée cohérente qui se dessine dans les savanes occidentales.
Savoir initiatique ou ethnofiction ? APPROCHE CRITIQUE
On ne peut pourtantque souligner en premier lieu ( quels que soient les défauts, qu’on verra par la suite) que ces travaux ont eu, à l'époque coloniale, un immense mérite,celui de donner une dignité à des ensembles humains à qui était déniée la possibilité même de posséder une culture. Que ceci ait été payé parfois de « l'invention des cultures dogon », bambara ou malinké n'ôte rien à ce mérite, car il s'agissait du seul moyen de les sortir des ténèbres dans lesquelles les avait plongés la condition d'indigène telle qu'elle avait été définie par le colonisateur. Là résidait la seule possibilité de les faire sortir de l'indistinction coloniale et de les faire exister humainement. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les intéressés dogon, bambara ou malinké aient témoigné, en retour, une reconnaissance sans bornes à leurs pères et mères spirituels en puisant allègrement dans le réservoir immense offert par leurs oeuvres.
Notons également que Marcel Griaule a fait construire un barrage à Sanga qui a permit à la région de prospérer et que pour lui marquer leur reconnaissance, les Dogon ont enterré -symboliquement- l’auteur comme l’un des leurs.
Enfin, du point de vue de la recherche ethnologique, cet ouvrage est précurseur car il a l’avantage de rendre compte de tous les aspects d’ordre symbolique et matériel qui déterminent les conceptions et les pratiques des Dogon, en mettant en avant de nombreuses interprétations qui font de Dieu d’eau une des « monographies » fondatrices du genre.(Eleonore chapuis). Selon l’article qu’elle consacre à dieu d’eau, l’un des plus grand mérite de l’auteur en tant que chercheur serait la découverte des signes zodiacaux : en réfléchissant à propos du bélier, des jumeaux, du scorpion, des vierges, il se rendit compte que le zodiaque n’était pas inconnu des Dogon (même si ils n’en avaient pas l’utilisation commune que nous lui connaissons actuellement). Il retrouva alors une trace interprétative, un chaînon manquant d’un système de signes qui pose encore des difficultés aux chercheurs quant à son origine, avec la seule connaissance à l’époque d’une large diffusion dans le bassin méditerranéen sans pouvoir en expliquer les sources.
En situant sur le même plan les Dogon et les Bambara d'une part et les Grecs, les Hindous et les Chinois d'autre part, M. Griaule et G. Dieterlen ont hissé, pour le meilleur et pour le pire, ces « peuplades » du Soudan au rang des grandes civilisations de l'Orient et de l'Antiquité
L’anthropologie passionnée qu’a suscitée le peuple dogon et le caractère spéculatif de certains de ses écrits ont été discutés par différents chercheurs, Georges Balandier sera le premier en France à porter un regard critique sur l’œuvre de Griaule. En 1959, il publie dans les Cahiers internationaux de sociologie une critique dense de son école, lui reprochant entre autres un manque de références aux cadres sociaux objectivement observés, un privilège excessif donné aux aspects les plus ordonnés de la société et l’absence de perspective historique dans les analyses.. Le principal reproche que lui fait anthropologie française est l’idéalisation de la culture à laquelle aboutit une étude où se confondent l’univers mythique et la réalité sociale.En effet, que ce soit au niveau des échanges commerciaux avec le Maghreb, de la diffusion de l’arabe écrit, de l’échange des femmes depuis plusieurs siècles et de la véhiculation de l’Islam, on ne peut ignorer que les conceptions religieuses des Dogon et l’ensemble de leur culture n’aient été influencés. « L’idée pure » d’un mythe intrinsèquement lié au canton de Sanga qui ne tient compte ni des relations transversales entre les peuples, ni de l’effet du temps et de la transmission orale demande une révision, d’autant plus nécessaire que le livre se base sur le recueil d’un seul témoignage
En effet, en tous temps, les Dogon furent en situation d’interaction avec des cultures voisines et, de ce fait nécessairement confrontés, le plus souvent sur un mode dominant-dominé, aux traditions dont la culture des “Autres” était porteuse. Cette confrontation commence dès la période pré-coloniale, où les Dogon, dominés par les empires musulmans esclavagistes, ont dû faire le choix entre leur tradition et l’islam et construire leur ethnicité. Ensuite, la colonisation française s’impose et invente les coutumes Dogon qu’elle codifie.
Enfin, laquestion se pose désormais de la construction d’une ontologie culturelle par l’Ecole Griaule et de ses « effets
Les critiques anglo-saxonnes formulées envers son ouvrage majeur, Dieu d’eau, sont généralement plus poussées que celles des compatriotes de Griaule. James Clifford (1995) s’est ainsi attaché à éclairer le renversement de situation survenu à partir des fameux entretiens avec Ogotemmêli et introduit la problématique de l’important rôle des Dogon eux-mêmes dans l’évolution ethnographique des travaux de Griaule .a paru en 1991 un article d’un hollandais, Van Beek, qui a tenté de vérifier les travaux de Griaule sur le terrain, et les confronte dans « Dogon restudied » avec les données qu’il a lui-même recueillies durant onze ans. Or ses informateurs, qui reconnaissent parfaitement les mythes publiés dans Masques dogons, disent ne jamais avoir entendu parler de la version relatée par Ogotemmêli. Van Beek essaie de reconstruire les composantes du mythe, démontrant l’amalgame opéré entre différentes réalités dogon et européennes. Cet article est d’autant plus précieux qu’il est suivi des commentaires de nombreux auteurs « spécialistes » du monde dogon qui considèrent pour la plupart Dieu d’eau comme le produit d’une interaction entre un chercheur opiniâtre et un informateur intelligent et créatif.Au regard de ces différents commentaires, il est désormais admis que les mythes recueillis après la guerre par Griaule et ses collaborateurs, bien que comprenant de nombreux éléments autochtones, sont des constructions.
Selon Walter Van Beek, ce parti pris méthodologique a conduit à la “ création collective d’une culture dogon mystagogique ” c’est-à-dire une culture gouvernée par les mythes et dont les “ vrais secrets ” n’étaient connus que de quelques-uns. Ils ont ainsi prétendu avoir découvert “ un ensemble logique de symboles exprimant un système de pensée qui révèle à l’étude une cohérence interne, une sagesse secrète, et une appréhension des réalités ultimes égales à celles que nous, européens estimons avoir atteint. ” (Griaule et Dieterlen, 1954 : 83)
Fait donc question la volonté de construire une altérité culturelle, exotique, en postulant l’homogénéité, la cohérence et la permanence, la “ pureté ” de la culture dogon. Pour en arriver là, il a fallu inventer une “ sagesse secrète ”, présentée comme originale, authentique et complexe, mais qui, chose étrange, n’était pas susceptible d’être expliquée par l’histoire ou l’anthropologie. le mythe suffirait à expliquer la société, ses institutions tout autant que sa culture matérielle. Á l’instar de l’ethnologie ou de la sociologie, le mythe dogon serait un moyen de compréhension de la société dogon tout entière.
On peut toutefois noterque cette médiatisation de la culture ne concerne les individus dogon que de façon inégale. . le pays dogon couvre un vaste territoire s’étendant du sud-est du Mali au Burkina Faso, or un village a été l’objet d’un intérêt nettement plus important que les autres, tant au niveau de la recherche anthropologique qu’au niveau du tourisme. A cheval sur la falaise sud et la plaine dans la région dite Bombou, le village de Sangha constitua le point d’arrêt de la fameuse mission Dakar-Djibouti, première mission ethnographique française qui de 1931 à 1933 traversa quinze pays d’Afrique afin d’enrichir les réserves du Musée du Trocadéro et d’affermir la spécificité de la démarche de l’anthropologie, discipline alors balbutiante. C’est à Sangha que la mission s’arrêta en 1931 et que Marcel Griaule, à sa tête, fut pris d’un coup de cœur pour la culture dogon. C’est à Sangha encore que se succédèrent les différentes missions scientifiques conduites par Griaule et ses successeurs, puis qu’arrivèrent ensuite les touristes en mal d’exotisme. Le terme « dogon » employé ici correspond au village de Sangha et à sa périphérie, zone où les contacts avec les étrangers sont permanents. L’apport financier des missions ethnologiques a entraîné une amélioration des conditions de vie des habitants, concrétisée par la construction en 1950 du barrage de Sangha à l’instigation de Marcel Griaule. Le rôle de médiateur politique qu’a tenu ce dernier entre les Dogon eux-mêmes mais surtout entre eux et l’administration a également pu jouer en leur faveur.
La dimension idéologique à l’œuvre dans l’ethnologisation de leur culture n’a ainsi sans doute pas échappé aux interlocuteurs des chercheurs, qui se sont montrés particulièrement actifs dans le prolongement des enquêtes à leur sujet. Ainsi, la mise en valeur anthropologique de la culture dogon a animé un vif engouement exotique pour cette société.
le mot ômôlô estt utilisé par les dogons pour qualifier leur propre paganisme, dans un esprit de fierté, de particularisme revendiqué, d'authenticité, de fidélité à L’atèm (à la tradition, aux us et coutumes des ancêtres). .
La représentation de deux niveaux d'ancêtres (les morts anciens comme "législateurs", les morts récents comme "juges" gardiens de l'ordre) et les pratiques adoptées dans la gestion des rapports sociaux (la garde de leurs cultes et les avantages et prérogatives auxquels elle donne droit) constituent l'essentiel de la religion dogon.
LE CULTE DES ANCÊTRES
Certains anthropologues (Louis-Vincent Thomas et René Luneau) qualifient la religion dogon d'ancestrisme" et ces rites d'ancestrôlatrie.
L'ômôlô, qui marque un souci de fidélité à la loi des ancêtres (atèm), est le fondement légitime de la société ; c'est ce que la conscience populaire a retenu des ancêtres, des "héros culturels", en l'érigeant en loi. Une loi qui gère les rapports sociaux : les règles de dévolution du patrimoine, les normes matrimoniales, les formes de solidarité, les interdits, les comportements sociaux idéaux à hiérarchie sociale, le système de contrôle des cultes et des rites. Une analyse de la notion d'"ancestralité" dogon permet de distinguer deux niveaux d'ancêtres : les morts anciens et les morts récents, jouant chacun un rôle distinct dans la genèse de l'atèm et le respect des règles qui en découlent. Ils sont par conséquent soumis à des traitements différents.
Les morts anciens
Le discours indigène désigne les morts anciens par des termes variés se rapportant à un même contenu : anré-nam ou wonron-nam ("ceux d'avant", "ceux d'antan"), yagalumgô ("ceux qui sont passé hier"), emintirèm ("nos ancêtres") qui renvoient tous aux premiers hommes et à leur culture dont se réclament les Dogon. Ils sont la source de l'atèm, c'est-à-dire de la tradition et des institutions. Tout ce qui se fait aujourd'hui n'est qu'une imitation de ce qu'ils ont fait (loin de nous toutefois de soutenir la thèse d'une histoire répétitive). Les morts anciens sont les fondateurs des "lois" et les législateurs. Ils sont anonymes et ne bénéficient donc d'aucun autel personnalisé à leur honneur, mais se confondent tous dans le wagem (culte clanique représentant tous les morts anciens du groupe). ômôlô est aussi la conséquence de la violation des recommandations des ancêtres. Ce terme désigne donc également le désordre (au sens de Louis-Vincent Thomas et René Luneau, qui soutiennent que "respecter l'ordre c'est [...] se soumettre à la loi des ancêtres'] engendré par l'entorse faite à l’atèm. Ce concept religieux englobe les notions de désobéissance, de rébellion, d'insoumission, d'injustice, de péché, de mal, avec leur corollaire : la menace de châtiment. L'observance de certaines pratiques contraignantes (dans les relations sociales, les alliances matrimoniales, la dévolution du pouvoir et des patrimoines matériels et symboliques) répond à la peur de l’ ômôlô. C'est l'arme spirituelle d'imposition et d'acceptation de l'ordre social, car lui sont attribués plusieurs faits sociaux fondamentaux : la maladie, la mort, la stérilité, l'absence de réussite dans les projets individuels, etc.
Le wanu (divination par les cauris), yurugu kunu (divination par le renard pâle), le déde-guékunu sont les arts divinatoires ayant pour objet premier la recherche de la faute, du désordre. Ils consistent à déceler, à "faire sortir" l’ômôlô. Les morts anciens sont seulement "législateurs" ; ils ont tracé la ligne à suivre afin d'assurerla cohésion sociale, la marche dela communauté.
Les morts récents
Les morts récents occupent une place capitale dans l’ancestrisme" dogon. Ils se distinguent des ancêtres anonymes, que le vocable indigène ne qualifie plus de "morts" car ils sont confondus avec les temps initiaux, et représentent les ancêtres encore présents dans la mémoire des différents segments de parenté. Désignés par les termes gnlwim (les "morts") ou gniwim nam ("ceux du monde des morts"), les morts récents jouent le rôle de gardiens de l’atem. Ils veillent au règne de l'ordre, de la justice, de la droiture, de la solidarité entre les "frères", mais aussi à l'observance de la tradition, de la loi légiférée par les morts anciens. Leur incombe de protéger les femmes des hommes, les faibles des forts, les cadets des aînés et vice versa. En tant que corps exécutif des ancêtres, ce sont eux qui châtient et punissent (c'est le fondement d'une anthropologie de la maladie et de la mort). L’ômôlô représente aussi leur colère, le résultat de leur constat d'entorse à \atèm, à la loi des morts anciens. Afin d'assurer l'intimité entre les morts et les vivants du groupe ; l’ômôlô dans son acception totalisante, englobante (qui lui confère le statut de religion) a abouti à la formation de deux institutions politico-religieuses : le bunon et le narin.
Le bunon, le culte des morts récents
L e bunon (la poterie funéraire) relève du culte rendu aux morts récents. On y fait des sacrifices pour apaiser leur courroux ou bénéficier de leur protection, mais aussi pour leur "donner à boire" car ils ont souvent soif, comme le dit la pensée locale. Les jarres d'une famille ne doivent jamais être vides la nuit car les morts récents viennent s'y désaltérer. Chaque mort récent, accepté dans l’ancestralité", dispose de son bunon personnalisé à travers lequel les membres vivants de son groupe de parenté s'adressent à lui. Les moments de crise (maladies, épidémies, difficultés pendant l'accouchement, etc.) et les grandes fêtes traditionnelles sont les occasions propices aux sacrifices sur les bunon. Dans chaque famille, une case était réservée aux poteries funéraires. Le bunon se situe au niveau des segments du lignage (les tiré). Les morts anciens, en revanche, se confondent tous dans un culte anonyme dénommé wagèm ("loin dans le temps et dans l'espace") et placé sous la responsabilité du chef du lignage. Le wagèm est donc le gouffre, le creuset généalogique où viennent se confondre, finalement, tous les morts oubliés du groupe. Lorsque le Dogon offre un sacrifice à ses ancêtres, il les appelle nominalement jusqu'à la cinquième génération ; à partir de la sixième, il dit "que tous ceux qui sont passés viennent boire »
Le narin a pour fondement la croyance en la réincarnation des morts dans un nouveau-né du groupe de parenté. Ainsi, à la naissance d'un enfant, dès les premiers signes de malaise, les parents partent consulter un devin pour connaître l'ancêtre protecteur (le narin) de l'enfant. Chaque année un sacrifice est offert à cet ancêtre par le père.
le narin est une institution sélective. Les vivants peuvent ainsi refuser la volonté ou la demande de réincarnation de certains ancêtres récents -s'il s'agit de parents ayant succombé à une mort violente (suicide, homicide, etc.) ou à une "mauvaise mort" (lors d'un accouchement, en grossesse, pendant les règles, etc.). Un parent refusera aussi que son enfant ait pour narin un ancêtre qui était marginalisé de son vivant. La raison fondamentale de cette sélection semble être la croyance en la transmission des caractères et des chances (donc de la malchance) de l'ancêtre narin à son narin répondant. Pour éloigner un mort candidat au narin d'un nouveau-né, le père de l'enfant dépose une branche d'épines sur le chemin des morts, lieu où l'on fait habituellement des offrandes aux morts, où on leur "donne à boire" lors de circonstances mineures. Le père demande alors à l'intéressé de laisser cet enfant et d'attendre une prochaine naissance. Cette méthode dénommée narin tingu (barrer, empêcher la réincarnation) atteste que le refus de funérailles n'est pas le seul moyen discriminatoire dans le traitement des morts. Tous les morts ne deviennent donc pas ancêtres. L'institution du narin marque aussi la frontière entre les niveaux d'"ancestralité" (entre les morts anciens et les morts récents). Par l'effet du temps, les morts cessent de se réincarner ; ils tombent dans l'oubli, dans l'anonymat. Le vocable indigène dit alors qu'ils "ne viennent plus en narin" ou qu'ils "ne sortent plus en narin. En général, la réincarnation ne va pas au-delà de trois générations
Mais le spirituel va au-delà des rapports entre les hommes : il couvre également les rapports entre ceux-ci et la nature comme manifestation d'une représentation de l'univers.
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C'est en octobre 1946, par la voix d'un vieux chasseur aveugle, que fut révélé à Marcel Griaule , ce qu'il considèra comme "le mythe fondateur de la société dogon", "une cosmogonie aussi riche que celle d'Hésiode" dira-t-il plus tard. Ces trente-trois jours d'entretiens avec Ogotemmêli, rassemblés dans « Dieu d'eau », apportèrent aux travaux de Marcel Griaule une dimension nouvelle et lui ouvrirent de nouvelles pistes de réflexion : l'importance de la pensée symbolique, le rôle métaphysique et social de la parole, la dualité de l'être humain. En 1965, le monumental ouvrage Renard Pâle coécrit avec Germaine Dieterien, se fixa l'ambition de révéler l'ensemble du mythe.
[Certains travaux critiques des ethnologues plus contemporains (hollandais et anglo-saxons) peuvent laisser à penser cependant que le livre culte de Griaule ,qui eut un succès mondial, serait peut être "un mythe sur les mythes" au point d'infléchir paradoxalement dans son sens (avec l'appoint du tourisme) l'identité dogon elle-même.(un prochain article traitera de cette problématique)]
La sculpture africaine comporte deux domaines dominants : la statuaire et le masque.
Il y a un paradoxe des masques : ceux-ci qui n'ont de sens que par le mouvement - apparaissent pourtant plus immobiles que les statues. Pris en dehors de l'action ils sont morts, incapables de manifester la moindre vie. La seule exception à la règle se trouve dans les expressions du visage. Pourtant, ils constituent chacun une matrice de mouvements qui est en soi le mouvement même en puissance.
Dans la tradition africaine, le masque est perçu comme étant quelque chose de divin. Il n'a de sens que dans son rapport avec les dieux. Considéré dans sa nature propre, le masque n'est pas un objet et encore moins une créature humaine. Il est le sacré se manifestant aux hommes à l'occasion de cérémonies spécifiques (initiation, fête annonçant l'ouverture des activités agricoles, décès d'un gardien des traditions, épidémies, par exemple). C'est pourquoi les jeunes initiés bobo (dans l'ouest du Burkina Faso) se rendent en brousse à l'écart des regards indiscrets pour entrer en communication avec ces dieux qui viendront auprès des hommes à la fin du cycle d'initiation. Le masque a pour fonction de réaffirmer, à intervalles réguliers, la vérité et la présence des mythes dans la vie quotidienne. Il a aussi pour but d'assurer la vie collective en toutes ses activités et en sa complexité; chez les Dogon, s'exhibent des masques d'étrangers (Peuls, Bambara, Européens) qui, avec leurs caractéristiques, manifestent la diversité du monde. Ces cérémonies sont des cosmogonies en acte qui régénèrent le temps et l'espace : tentant, par ce moyen, de soustraire l'homme et les valeurs dont il est dépositaire à la dégradation qui atteint toute chose dans le temps historique. Mais ce sont aussi de véritables « moments cathartiques » au cours desquels l'homme prend conscience de sa place dans l'univers, voit sa vie et sa mort inscrites dans un drame collectif qui leur donne un sens.
Ainsi perçu, le masque est une présentification (et non une représentation) ; il est ce processus à travers lequel un être invisible vient à la visibilité. Il est ce à partir de quoi un mouvement est possible. Celui du passage d'un état à un autre de l'invisible au visible, de l'immatériel au matériel, l'univers des dieux à celui des hommes.
Le masque est donc mouvement parce qu'il est le processus par lequel le dieu advient et c'est précisément ce qui lui donne son sens, sa raison d'être comme masque. Cette notion du mouvement associée au masque essentiellement de sa destination, qui est de danser. Voir le masque danser, c'est participer à une fête dont le caractère est bien particulier. La danse du masque est, en effet, l'occasion d'un. évènement qui concilie le profane et le sacré, le naturel et le surnaturel. Comme telle, la danse du masque exprime une fête de l'harmonie des contraires et, ainsi, détermine l'ensemble de l'univers ce union perpétuelle des contraires dont le bien-être dépend de la conservation de l'équilibre des différences.
En ce sens, il s'agit d'une fête proprement sacrée (distincte du religieux mais manifestation même de la religion). C'est pourquoi la danse du masque est celle des dieux hommes ; elle manifeste la présence des dieux auprès des hommes, ce qui, autrement, impossible. À travers le masque, les hommes invitent les dieux, qui donnent leur accord manifestant par la danse et qui, de la sorte, partagent le même espace avec leurs hôtes pour un temps donné : celui de la durée de la fête comme rencontre des dieux et des hommes, « occasion »,
L’homme acquiert des attributs divins et le dieu des qualités humaines. Cela est d’autant plus vrai que lors de la danse, le danseur dissimulé sous le masque n'est jamais un être en disparaissant dans son costume de fibres ou de feuilles, il ne cherche pas à se « déguiser disait Jean Laude, pour le plaisir ou la joie de la fête ; il se retranche derrière une image conforme aux exigences du mythe qui font de lui une individualisation, un miroir du dieu . En même temps, le masque, au moment de la danse, est bien une entité indépendante perceptible et mobile. Il est matériel et, par conséquent, appartient à la sphère de la sensibilité
Se servir d'un support humain pour produire un être nouveau n'est d’ailleurs pas sans danger pour l'homme masqué. Le masque figure un être connu, répertorié dans la nomenclature des dieux, génies, etc., possédant une histoire, une biographie, mais il doit aussi protéger celui qui le porte contre les effets de la personnalité qu'il endosse provisoirement et littéralement l'investit
En aucun cas, le danseur ne doit être reconnu. A cet effet, de multiples précautions sont prises : pour qu'il ne se détache pas, le masqueestcomplétépar unecagoulede fibres enveloppant la tête; ou il a la forme d'un heaume; il est fixé à l'aide de bretelles qui l'assujettissent fermement aux épaules. A l'intérieur du masque est fixée une languettede cuir que le porteur serre entre ses dents. Lorsque la dimension du masque et la nature de la chorégraphie l'exigent, le danseur est assisté d'un aide : chez les Dogon, dans la danse du grand masque sirige, il doit se rejeter complètement en arrière : aussi, un de ses camarades se place devant lui pour dérober sa gorge aux regards.Levisagedudanseursetrouverait-il, momentanément,à découvertet visible pour les spectateurs, de graves conséquences s'ensuivraient. Les précautions sont étendues à tout le corps, pour éviter de découvrir une partie par où pourrait s'introduire legénie.
La société des masques est organisée à l'image de la société dans son ensemble. Les masques ont une mère, un père, des frères et une sœur. C'est l'association sociale la plus secrète. On ne peut pas parler des masques comme cela... " Aussi, parler des masques revient à proférer des paroles graves, surtout quand on se trouve dans un groupe de non-initiés.
"Si tu dis son nom on te tue !"
circonstances de production du masque
les circonstances de production, sont celles qui occasionnent la sortie des masques. On peut en citer trois : la première, et la plus importante, est le Dama, la deuxième, le décès d'un vieillard membre de la société des masques et la troisième, la perturbation de l'ordre social.
Le Dama
Le mot dama (variante : dawan) signifie "interdit". Pendant longtemps les ethnographes ont considéré ce phénomène uniquement comme une cérémonie de levée de deuil. Aujourd'hui, il convient de revoir le contenu de la notion car dans la confédération villageoise d'Ireli, comme dans beaucoup d'autres, le Dama est une circonstance exceptionnelle de renouvellement des masques. Dans ce village, le plus grand de ces événements appelés Dawan-na ("grand" Dawan) date de 1956. En 1969 a eu lieu une autre cérémonie de masques appelée Dawan-tdi ("vrai" Dama) qui a précédé le soixantenaire du Sigui. Les préparatifs combien difficiles, qu'exigé l'organisation de la cérémonie, expliquent les écarts entre deux Dama.
L'organisation d'un Dama doit coïncider avec une année faste, car il faut beaucoup de céréales
pour la préparation de la bière de mil ainsi que d'ovins et de caprins à immoler sur les différents autels du village .. Quand bien même l'année du déroulement d'un Dama est fixée (pour savoir si l'année sera faste, on consulte les devins), il est difficile de préciser le mois et encore plus la semaine, parce qu'un ultime sacrifice est obligatoire. Si celui-ci ne s'opère pas avant fin mai, les cérémonies sont reportées sine die.
Les hommes font leur retraite lorsque le sacrifice ultime a été fait. En principe, pendant cette retraite (de quarante-cinq jours à trois mois), les jeunes "apprennent à danser aux masques", et surtout à se familiariser avec les épreuves qu'un homme est censé rencontrer au cours de sa vie. Jeunes et vieux, femmes et enfants... toute la communauté est mobilisée pour l'organisation d'un Dama.
La mort d'un vieillard
Lorsqu'un vieillard qui appartenait à la confrérie des masques meurt, les masques honorent sa sortie de ce monde et facilitent son entrée dans le monde des ancêtres par une cérémonie de danses masquées. Tant que les masques ne dansent pas en son honneur, l'âme du défunt est condamnée à errer, menaçant les vivants. Les cérémonies sont organisées par le fils aîné du défunt. La partie essentielle a été l'arrivée des masques dans la famille mortuaire : ils sont montés sur le toit de la maison dans laquelle le vieillard dormait ; au-dessus de la porte sont accrochés quelques objets usuels du défunt, que les danseurs masqués ont décrochés un à un et jetés par terre en remerciant le mort : "Va en paix et dors en paix ! Merci pour hier ! Merci pour l'eau ! Si les sacrifices offerts ne t'ont pas plu, lève la tête ! Merci ! Va en paix !" À la fin de ce rituel, l'aîné dans un long soupir dit : "Père, merci pour hier" et, à notre intention, il a ajouté : "Maintenant je peux dormir en paix. Voilà trois pluies qu'il est mort et toutes les nuits, il venait demander à ma mère son viatique." Cela voulait dire que depuis la mort de son père, il ne dormait pas, tant il vivait dans la psychose, la culpabilité et le déshonneur vis-à-vis de lui.
La fabrication des masques
Les masques sont fabriqués pendant la retraite
. Chacun commande celui qui lui convient. Les hommes qui sont sûrs d'eux se font tailler les plus prestigieux, comme le masque à étage ou arbre. Certains jeunes quittent alors la falaise pour la plaine où l'on trouve des arbres dont le bois est léger. Ils font ainsi plus de 60 km pour se tailler un masque et le transportent de nuit afin de le cacher aux yeux indiscrets des femmes et des enfants. À l'approche d'un grand Dama, les forgerons les plus "adroits" sont assaillis par les commandes de masques. Malgré tout, certains danseurs sculptent eux-mêmes leurs masques, comme le masque échassier qui demande beaucoup de connaissances secrètes. Dans certaines régions du pays dogon, le grand masque, qui est la propriété de toute la communauté (ginna), ne peut être taillé pour un individu. Le moment de la retraite est aussi l'occasion pour les jeunes d'approcher les maîtres sculpteurs, très sollicités en ces circonstances, et d'apprendre un peu de leur art.
Les épreuves de l'initiation
En principe, tous les jeunes qui s'apprêtent à s'initier aux masques se regroupent en un même lieu : en général une grotte servant de lieu de décharge. Autrefois, le nettoyage de ce lieu rempli de déchets humains était la première épreuve puisqu'il fallait le faire les mains nues, sans se servir de balai. Le régime alimentaire était "inhumain". Aujourd'hui on observe un certain relâchement dans le respect de ces principes rigoureux. L'épreuve la plus difficile consistait à placer ['"apprenant" à quelque 100 m du lieu de rassemblement et à lui faire couvrir cette distance en dansant sous le soleil des mois d'avril et mai. Celui qui n'exécutait pas correctement les pas appris la veille couvrait la distance plusieurs fois en dansant. Quand un membre d'une classe d'âge commettait une faute, tous les membres du groupe s'alignaient et couvraient la distance en faisant le "roulé-boule" sous le soleil d'après-midi d'avril. Ces épreuves étaient redoutées, certaines personnes ayant gardé des marques à vie, cicatrice ou attribution d'un sobriquet. Des épreuves de courage étaient organisées, qui consistent à faire s'affronter deux camps de jeunes en simulant un combat au terme duquel on pouvait dénombrer un certain nombre de blessés, soignés dans le camp de retraite, une sorte d'école de guerre où l'on apprenait non seulement à danser mais aussi à défendre le groupe en cas de menace extérieure. Ce n'était qu'une fois ces épreuves passées que l'on pouvait mériter le titre d'"enfant du masque" .
Les bergers des enfants du masque
La désignation de bergers des masques témoigne de l'importance du masque dans le monde dogon. Pendant tout le temps que dure la retraite, aucun "apprenant" ne garde son masque dans le camp de retraite. Le masque est confié à un "berger", un jeune frère ou un neveu utérin qui, chaque matin, vient remettre le masque à son propriétaire (grand frère ou oncle maternel, ninyu) et le rapporte le soir dans la maison paternelle. Sur le chemin du retour, personne ne doit voir le nouveau masque, qui ne sera exposé au regard extérieur que pendant le grand défilé du Dama, considéré comme un jour de naissance et/ou de renaissance.
Sacre et profane
Ce qui fait du masque un objet sacré est moins la fonction qu'il joue, que les circonstances de sa naissance et de sa sortie lors des cérémonies funéraires. Le masque, par son essence, appartient à la fois aux mondes domestique et sauvage, en tant qu'œuvre d'art et puissance dévastatrice. L'homme masqué n'est plus lui-même, mais l'incarnation d'une force, d'un souffle vivant provoqué par un groupe, à travers la bouche des plus âgés (dans le masque, il faut voir le visage du père, son autorité et ses avatars socio-psychiques, les ancêtres, les esprits...). L'être humain, mais aussi l'animal, est ainsi doté d'un caractère sacré, imprimé dans l'image de la figure abstraite rendue visible par un discours collectif. Quand par exemple on dit : "Emina gowa de sanakure so-ila" ("Les masques sont sortis, les habits de feuillages n'ont pas leur place"), tout adulte initié comprend de quoi il s'agit. Le caractère imprimé dans chaque image n'est pas périssable, même si celle-ci est soumise à l'évolution du groupe. Les exemples montrent qu'étant "essentiellement de nature religieuse, le masque est souvent, au plan social, signe hiérarchique symboliquement relié aux systèmes prégnants des relations et des pouvoirs" Aucun garçon ne passe automatiquement des "habits de feuilles", qui ne représentent rien, au bois taillé, sans passer par la circoncision qui est une étape importante de l'apprentissage . Ces exemples sont assez éloquents pour faire comprendre qu'en milieu dogon, le vouloir, le savoir et le pouvoir sont tous détenus par les anciens, dont les exécutants sont les masques et leurs acolytes, les prêtres.
En milieu dogon, l'idée du "profane" n'a pas le même sens que celui admis en anthropologie. Comme l'a si souvent souligné Leiris, le sacré est partout présent. "Ce qui était sacré, même désacralisé, garde une partie de sa puissance d'hier" dit-on ; maxime dont la réplique profane est : "On trouvera assez de piment dans un sac vide ayant contenu du piment pour irriter les yeux quand on le secoue." On entend très souvent les gens dire que lorsque les cérémonies du Dama sont passées, les anciens masques sont "souillés". Cela signifie qu'après les cérémonies du Dama, les masques ne peuvent et ne doivent plus servir aux cultes. Aussi sont-ils brûlés ou jetés dans des grottes comme objets anciens à garder loin des regards des enfants et des femmes, de crainte que leur vue porte malheur. C'est une des raisons pour lesquelles, quand une femme voit un masque jeté sur un lieu abandonné, elle doit dire : "mes yeux noirs", formule consacrée pour conjurer l'effet maléfique de cette rencontre et l'interdit même de la nommer.
esthétique des masques
Le bois taillé, même pour des circonstances particulières, est vu comme un objet sans vie, inerte et à la limite du profane. ne devient lazugou lawa ("masque" en langue secrète) que lorsqu'il est incarné dans et par un porteur pour devenir mouvement et vie.
Le masque dogon est par essence mouvement et son esthétique en cela réside dans le mouvement même de la chose inerte qu'est le bois (l'observation d'un certain nombre de masques déposés contre un mur, sans distinction de taille et de volume, laisse appréhender la présence à la fois intrinsèque et extrinsèque du mouvement en tout masque et/ou en tout objet taillé). Le mouvement est surtout exprimé par le contour des objets et l'habillage des porteurs-danseurs : souplesse et densité des fibres autour de la taille, largeur et densité des habits en coquillages. Pour que le porteur-danseur exprime l'élégance du personnage qu'il incarne, il est indispensable qu'il y ait une parfaite harmonie entre ces différents éléments. Le masque le mieux sculpté, le mieux réussi en tant qu'œuvre d'art inerte devient laid lorsque son porteur est reconnaissable par tout le monde à travers son masque, tout comme le meilleur danseur qui porte un masque dissymétrique paraîtra ridicule quand bien même ses pas seront synchronisés à ceux des autres danseurs. Le masque doit avant tout donner à voir du « beau » comme l'atteste la parole des maîtres-guides : "Wanran fe)/"(" nez ! Approchez !"), " Yara yèw ("C'est beau, c'est correct"),"Le huitième à partir de la queue ne suit pas la tête", les expressions les plus usitées.
Les masques dansent pour le plaisir des yeux, pour être appréciés des spectateurs. Chaque geste doit imprimer dans les fibres des volumes qui rendent la danse des masques surréelle, à la limite de la transe : jeux de rein, de jambes, de cou et de bras participent tous ensemble « cet effet de volume, rendant le " texte chorégraphique " surréaliste. Ce qui fait la beauté du masque est qu'il est une double expression : celle d'une "forme achevée" dans la matière inerte et celle d'un "ensemble de mouvements" (costume corps, rythme) dont la forme achevée se trouve dans le rhombe son expression musicale.
L 'arène des masques est un lieu de rivalité par excellence. Il existe un très grand nombre d'anecdotes relatives à des faits divers liés aux rivalités entre jeunes danseurs de masques. On raconte qu'un jour un jeune danseur de masque tègèn-tagan ("échassier") se trouva confronté à un problème très grave. En pleine cérémonie de danse, un des pieds du masque se cassa. Et sans la vigilance des maîtres-guides et des spectateurs, le jeune homme serait tombé, se blessant grièvement. On rapporta l'aventure à son père resté à la maison ce jour-là. En apprenant la nouvelle, il fut indigné. Il tira alors de son togu (abri des hommes) une tige de mil qu'il envoya au malheureux danseur, en remplacement du bois afin de réparer le tort causé à son fils. On raconte que le jeune porteur de masque dansa toute la journée un pied posé sur du bois taillé et l'autre sur une tige de mil, défiant ainsi les rivaux de tous âges
Les carnavals masqués , continuent à rendre hommage aux mythes anciens un peu partout . Habillé sous forme de chèvre, de diable, d’ours ou de monstre avec mâchoire en acier, « l’homme sauvage » appartient au monde de ces mythes.
Le photographe Français Charles Freger découvre le Krampus ) à Salzburg lors d’une mascarade. - créature démoniaque, née dans des pays comme l’Autriche, la Bulgarie ou la Slovénie. Fasciné par la rencontre, il se mit à la recherche des divers figures du mythe dans une chasse photographique à travers, ce qu’il appelle « l’Europe tribale ».
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